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Un « accord entre gentlemen » : comment Israël a obtenu ce qu’il voulait d’Oslo

Vingt-cinq ans plus tard, des analystes estiment qu’Oslo n’a pas été un échec : l’accord a en effet offert à Israël une formule pour bloquer l’émergence d’un État palestinien et renforcer son occupation
Le président de l’OLP Yasser Arafat tend la main en direction du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin après la signature de l’accord de paix d’Oslo, en septembre 1993 (Reuters)

Il n’y a pas eu de cérémonie d’anniversaire cette semaine pour marquer la signature du premier accord d’Oslo à Washington il y a 25 ans. C’est un jubilé d’argent pour lequel il n’y a pas de fêtes de rue, pas de tasses commémoratives, pas de pièces de monnaie spécialement frappées.

Les Palestiniens ont pratiquement ignoré cet anniversaire historique, alors que la commémoration d’Israël n’était rien d’autre qu’une poignée de malheureux articles dans la presse israélienne sur ce qui a mal tourné.

« Oslo n’est jamais mort. Il continue de faire aujourd’hui exactement ce pour quoi il a été créé »

– Diana Buttu, avocate palestinienne et ancienne conseillère de l’AP

L’événement le plus important est un documentaire, The Oslo Diaries (Au cœur des accords d’Oslo), diffusé à la télévision israélienne et dont la diffusion est prévue cette semaine aux États-Unis. Il retrace les événements entourant la création des accords de paix, signés par le dirigeant palestinien Yasser Arafat et le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin à Washington le 13 septembre 1993.

L’euphorie engendrée par le processus de paix lancé par la Norvège, il y a un quart de siècle, semble désormais extrêmement déplacée selon la plupart des observateurs. Les retraits par étapes promis par Israël des territoires palestiniens occupés sont restés bloqués à un stade précoce.

Et les pouvoirs de l’Autorité palestinienne, futur gouvernement palestinien créé par Oslo, n’ont jamais dépassé la gestion des soins de santé et la collecte des ordures dans les zones palestiniennes densément peuplées, tout en assurant la coordination avec Israël en matière de sécurité.

Tous les efforts actuels pour tirer les leçons de ces développements ont abouti à la même conclusion : Oslo fut une occasion manquée pour la paix, les accords n’ont jamais été correctement appliqués et les négociations ont été exterminées par des extrémistes palestiniens et israéliens. 

Une réorganisation de l’occupation

Cependant, les analystes interrogés par Middle East Eye adoptent un point de vue très différent.

« Il est faux de penser qu’Oslo déraille ou de tenter d’identifier le moment où le processus d’Oslo est mort », estime Diana Buttu, avocate palestinienne et ancienne conseillère de l’Autorité palestinienne. « Oslo n’est jamais mort. Il continue de faire aujourd’hui exactement ce pour quoi il a été créé. »

« À peu près tous ceux que je connaissais à cette époque et moi-même avons été séduits par le battage médiatique annonçant que l’occupation allait bientôt prendre fin. Mais en réalité, Oslo était sur le point de réorganiser l’occupation, pas d’y mettre un terme »

- Michel Warschawski, activiste israélien pour la paix

Michel Warschawski, un activiste israélien pour la paix qui a développé des liens étroits avec les dirigeants palestiniens au cours des années d’Oslo, abonde dans son sens.

« À peu près tous ceux que je connaissais à cette époque et moi-même avons été séduits par le battage médiatique annonçant que l’occupation allait bientôt prendre fin. Mais en réalité, Oslo était sur le point de réorganiser l’occupation, pas d’y mettre un terme. Cela a créé une nouvelle division du travail.

« Rabin se fichait de savoir si les Palestiniens obtenaient des indicateurs de souveraineté – un drapeau et peut-être même un siège à l’ONU.

« Mais Israël était déterminé à continuer de contrôler les frontières, les ressources des Palestiniens, l’économie palestinienne. Oslo a changé la division du travail en sous-traitant la partie difficile de la sécurité d’Israël aux Palestiniens eux-mêmes. »

À LIRE ► Palestine, Israël et les accords d’Oslo : ce qu’il faut savoir

Les accords ont été signés au lendemain de plusieurs années de soulèvement palestinien dans les territoires occupés – la première Intifada – qui se sont révélées coûteuses pour Israël, à la fois en termes de victimes et de trésorerie.

« Israël était déterminé à continuer de contrôler les frontières, les ressources des Palestiniens, l’économie palestinienne. Oslo a changé la division du travail en sous-traitant la partie difficile de la sécurité d’Israël aux Palestiniens eux-mêmes »

- Michel Warschawski, activiste israélien pour la paix

En vertu d’Oslo, les forces de sécurité palestiniennes se sont mises à patrouiller dans les rues des villes palestiniennes, sous la supervision et en étroite coordination avec l’armée israélienne. L’addition, quant à elle, a été payée par l’Europe et Washington.

Dans une interview accordée au journal Haaretz la semaine dernière, Joel Singer, l’avocat du gouvernement israélien qui a contribué à la rédaction des accords, a concédé la même chose. Rabin, a-t-il déclaré, « pensait que cela renforcerait la sécurité [israélienne] si les Palestiniens étaient ceux qui combattaient le Hamas ».

Ainsi que l’a observé l’ancien Premier ministre israélien, l’occupation ne serait plus tenue responsable devant les « cœurs sensibles » de la Cour suprême israélienne et de la communauté active des droits de l’homme en Israël.

Pas un véritable État

L’hypothèse largement répandue selon laquelle Oslo aboutirait à un État palestinien était également erronée, selon Buttu.

L’avocate relève que nulle part dans les accords il n’était fait mention de l’occupation, d’un État palestinien ou de la liberté pour les Palestiniens. Et aucune mesure n’a été prise contre les colonies de peuplement illégales d’Israël – le principal obstacle à la création d’un État palestinien.

Au lieu de cela, l’objectif déclaré du processus d’Oslo était la mise en œuvre de deux résolutions des Nations unies en suspens – les résolutions 242 et 338. La première concernait le retrait de l’armée israélienne des « territoires » occupés pendant la guerre de 1967, tandis que la seconde exhortait à des négociations menant à une « paix juste et durable ».

« Les dirigeants palestiniens ont qualifié Oslo d’’’accord entre gentlemen’’. Leur approche était au-delà de la naïveté : elle était imprudente. Ils se sont comportés comme des amateurs »

– Diana Buttu, avocate palestinienne et ancienne conseillère de l’AP

« J’ai parlé à Arafat et à Mahmoud Abbas [son successeur à la présidence palestinienne] à ce sujet, explique Buttu. Ils considéraient qu’un langage plus clair sur l’État palestinien et l’indépendance n’aurait jamais passé le cap de la coalition de Rabin.

« Arafat a donc traité les résolutions 242 et 338 comme des mots de code. Les dirigeants palestiniens ont qualifié Oslo d’’’accord entre gentlemen’’. Leur approche était au-delà de la naïveté : elle était imprudente. Ils se sont comportés comme des amateurs. »

Selon Asad Ghanem, professeur de science politique à l’Université de Haïfa et expert du nationalisme palestinien, les dirigeants palestiniens étaient conscients dès le début qu’Israël n’offrait pas un véritable État.

« Dans ses mémoires, Ahmed Qoreï [l’un des principaux architectes d’Oslo du côté palestinien] a admis son état de choc lorsqu’il a commencé à rencontrer l’équipe israélienne », explique Ghanem.

« Uri Savir [le négociateur en chef d’Israël] a déclaré en toute franchise qu’Israël n’était pas en faveur d’un État palestinien et qu’ils proposaient moins. L’attitude des Israéliens était “c’est à prendre ou à laisser”. »

Sympathie avec les colons

Tous les analystes ont convenu qu’un manque de bonne foi de la part d’Israël était tout à fait évident depuis le début, en particulier en ce qui concerne la question des colonies.

Ainsi, plutôt que de stopper ou d’inverser l’expansion des colonies pendant la prétendue période de transition de cinq ans prévue par l’accord, Oslo a permis à la population de colons de croître à un rythme considérablement accéléré.

« Uri Savir [le négociateur en chef d’Israël] a déclaré en toute franchise qu’Israël n’était pas en faveur d’un État palestinien et qu’ils proposaient moins. L’attitude des Israéliens était “c’est à prendre ou à laisser” »

- Asad Ghanem, professeur de science politique à l’Université de Haïfa

La multiplication quasiment par deux du nombre de colons en Cisjordanie et à Gaza pour atteindre 200 000 à la fin des années 1990 a été expliquée par Alan Baker, conseiller juridique du ministère israélien des Affaires étrangères après 1996 et lui-même colon, dans une interview en 2003. 

La plupart des colonies ont été présentées au public israélien comme des « blocs » israéliens, hors du contrôle de l’Autorité palestinienne nouvellement créée. Avec la signature des accords, a déclaré Baker, « nous ne sommes plus une puissance occupante, mais nous sommes présents dans les territoires avec leur consentement [des Palestiniens] et soumis au résultat des négociations. »

Des interviews récentes réalisées par Haaretz auprès de leaders des colons laissent également transparaître la sympathie idéologique entre le gouvernement soi-disant de gauche de Rabin et le mouvement des colons.

Des colons manifestent contre Oslo en novembre 1993 (AFP)

Israel Harel, qui dirigeait alors le Conseil Yesha, l’organe dirigeant des colons, a jugé Rabin « très accessible ». Il a souligné que Zeev Hever, un autre leader des colons, avait travaillé avec les planificateurs de l’armée israélienne quand ils créaient une « carte d’Oslo » découpant la Cisjordanie en différentes zones de contrôle.

À propos des colonies qui, selon la plupart des observateurs, auraient été démantelées en vertu des accords, Harel constatait : « Lorsque [Hever] a été accusé [par d’autres colons] de coopérer, il répondait qu’il nous avait sauvés d’un désastre. Ils [l’armée israélienne] ont marqué des zones qui auraient pu isoler des colonies et les faire disparaître.

L’avocat israélien d’Oslo, Joel Singer, a confirmé la réticence des dirigeants israéliens à s’attaquer au problème des colonies.

« Nous nous sommes battus avec les Palestiniens, sur ordre de Rabin et de [Shimon] Peres, contre un gel des colonies, a-t-il déclaré à Haaretz. Ce fut une grave erreur de permettre aux colonies de continuer d’aller de l’avant. »

Le refus d’agir de Rabin

Neve Gordon, professeur de science politique à l’Université Ben Gourion, dans le sud d’Israël, explique que le test crucial de la volonté de Rabin de s’attaquer aux colonies s’est présenté moins d’un an après le processus d’Oslo, lorsque Baruch Goldstein, un colon, a tué et blessé plus de 150 musulmans palestiniens lors d’une prière dans la ville palestinienne d’Hébron.

« Cela donnait à Rabin l’occasion d’expulser les 400 colons extrémistes établis dans le centre d’Hébron, a indiqué Gordon à MEE. Mais il n’a pas agi. Il leur a permis de rester. »

L’absence de réponse d’Israël a alimenté « en représailles » une campagne d’attentats-suicides organisée par le Hamas, attentats qui ont à leur tour été utilisés par Israël pour justifier son refus de se retirer de la plupart des territoires occupés.

Warschawski a affirmé que Rabin aurait pu démanteler les colonies s’il avait agi rapidement. « Les colons étaient en déroute au début d’Oslo, mais il n’a pas agi contre eux. »

Des Palestiniens portent les corps de musulmans tués par le colon Baruch Goldstein dans la mosquée al-Ibrahimi d’Hébron en février 1994 (AFP)

Après l’assassinat de Rabin à la fin de l’année 1995 par un Israélien juif opposé à Oslo, son successeur Shimon Peres, également reconnu comme l’architecte du processus d’Oslo, a changé de tactique, selon Warschawski. « Peres a préféré mettre l’accent sur la réconciliation interne [entre Israéliens] plutôt que sur la réconciliation avec les Palestiniens. Après cela, le récit religieux des colons extrémistes a dominé. »

Cela a donné lieu quelques mois plus tard au triomphe électoral de la droite sous l’égide de Benyamin Netanyahou.

Le différentiel démographique

Bien que Netanyahou ait fait campagne avec véhémence contre les accords d’Oslo, ces derniers se sont révélés parfaits pour le genre de politique de rejet qu’il a cultivé, soutient Gordon.

« Les statistiques montrent que lorsqu’il y a des négociations, la croissance démographique de la population de colons en Cisjordanie augmente. […] Oslo était donc idéal pour le projet colonial d’Israël »

– Neve Gordon, professeur de science politique à l’Université Ben Gourion

Sous couvert de promesses vagues à propos de l’État palestinien, « Israël a pu renforcer le projet de colonisation », selon l’universitaire. « Les statistiques montrent que lorsqu’il y a des négociations, la croissance démographique de la population de colons en Cisjordanie augmente. Les colonies grossissent rapidement. Et lorsqu’il y a une intifada, les choses ralentissent.

« Oslo était donc idéal pour le projet colonial d’Israël. »

Et ce n’est pas seulement dû au fait que, sous la pression d’Oslo, les colons religieux se sont empressés de « s’emparer des collines », comme l’a exposé Ariel Sharon, célèbre général devenu plus tard Premier ministre. Gordon a fait référence à une stratégie du gouvernement consistant à recruter des colons d’un nouveau type au cours des premières années qui ont suivi Oslo.

Au début des années 1990, après la chute de l’Union soviétique, Sharon et d’autres responsables ont tenté de placer de nouveaux immigrés russophones dans de vastes colonies comme celle d’Ariel, dans le centre de la Cisjordanie. « Le problème était que beaucoup de Russes n’avaient qu’un enfant », explique Gordon.

Ainsi, à la place, Israël a commencé à déplacer les ultra-orthodoxes dans les territoires occupés. Ces juifs fondamentalistes qui forment la communauté la plus pauvre d’Israël ont généralement sept ou huit enfants. Ils recherchaient désespérément des solutions de logement, a souligné Gordon, et le gouvernement n’a pas hésité à mettre en œuvre des mesures incitatives pour les attirer dans deux nouvelles colonies ultra-orthodoxes, Modiin Illit et Beitar Illit.

« Après cela, Israël n’a pas eu besoin de recruter beaucoup de nouveaux colons, poursuit Gordon. Il fallait juste gagner du temps avec le processus d’Oslo et la population des colons se développerait d’elle-même.

« Les ultra-orthodoxes sont devenus la principale arme démographique d’Israël. En Cisjordanie, les colons juifs ont en moyenne deux enfants de plus que les Palestiniens – ce différentiel démographique a un impact énorme au fil du temps. »

Dépendance palestinienne

Pour Diana Buttu, un autre élément montre qu’Israël n’a jamais voulu que les accords d’Oslo donnent lieu à un État palestinien. Peu avant Oslo, à partir de 1991, Israël a introduit des restrictions de circulation beaucoup plus sévères pour les Palestiniens, notamment un système de permis de plus en plus perfectionné.

« Les déplacements de Gaza vers la Cisjordanie ne sont devenus possibles qu’en cas de nécessité, explique-t-elle. Ce n’était plus un droit. »

« Ils étaient brillants et bien éduqués, mais ils ignoraient ce qui se passait sur le terrain. Ils n’avaient aucune idée de ce qu’il fallait exiger d’Israël »

- Neve Gordon, ex-président de la branche israélienne de Physicians for Human Rights

Ce processus, a relevé le professeur Ghanem, a pris racine au cours du dernier quart de siècle et a finalement abouti à une séparation physique et idéologique complète entre Gaza et la Cisjordanie, désormais dirigées respectivement par le Hamas et le Fatah d’Abbas.

Comme l’a observé Gordon, les arrangements économiques d’Oslo, régis par le Protocole de Paris de 1995, ont également privé les Palestiniens de leur autonomie financière.

« Les Palestiniens n’ont pas obtenu leur propre monnaie, ils ont dû utiliser le shekel israélien. Une union douanière a également relégué les Palestiniens dans un marché dépendant des produits israéliens et a permis à Israël de percevoir des droits de douane pour le compte de l’Autorité palestinienne. Le refus du transfert de cet argent est un bâton qu’Israël brandit régulièrement contre les Palestiniens. »

Selon les analystes, les dirigeants palestiniens qui, comme Arafat, ont été autorisés par le processus d’Oslo à revenir de leur exil en Tunisie – parfois désignés comme les « étrangers » –, ignoraient totalement la situation sur le terrain.

Yasser Arafat quitte Tunis pour se rendre à la cérémonie de signature du premier accord d’Oslo, à Washington, D.C., le 12 septembre 1993 (AFP)

Neve Gordon, qui dirigeait à l’époque la branche israélienne de Physicians for Human Rights, s’est souvenu d’avoir rencontré des jeunes Américains et Canadiens d’origine palestinienne au Caire pour discuter des arrangements ultérieurs en matière de santé dont l’Autorité palestinienne serait responsable.

« [Arafat] voulait remettre un pied en Palestine. Il se sentait fortement menacé par les dirigeants “de l’intérieur” [...] Il avait également grand besoin de reconnaissance internationale et de légitimité »

– Diana Buttu, avocate palestinienne

« Ils étaient brillants et bien éduqués, mais ils ignoraient ce qui se passait sur le terrain. Ils n’avaient aucune idée de ce qu’il fallait exiger d’Israël », affirme-t-il.

« Israël, par contre, avait des experts qui connaissaient intimement la situation. »

Warschawski a des souvenirs similaires. À l’époque, il a emmené un Palestinien haut placé fraîchement arrivé de Tunis pour une visite des colonies. Assis dans sa voiture, le responsable est resté bouche bée pendant tout le trajet.

« Ils connaissaient les chiffres, mais ils ne savaient pas à quel point les colonies étaient enracinées et intégrées dans la société israélienne, a-t-il expliqué. C’est alors qu’ils ont commencé à comprendre pour la première fois la logique des colonies et à s’apercevoir des véritables intentions d’Israël. »

Attirés dans un piège

Warschawski a constaté que la seule personne de son entourage qui avait rejeté le battage médiatique autour des accords d’Oslo depuis le début était Matti Peled, un général devenu activiste pacifiste qui connaissait bien Rabin.

« Lorsque nous nous sommes rencontrés pour discuter des accords d’Oslo, Matti s’est moqué de nous. Il a dit qu’il n’y aurait pas d’Oslo, qu’il n’y aurait pas de processus qui aboutirait à la paix. »

« Ils ne pouvaient avancer vers la formation d’un État parce qu’Israël leur barrait la route. Mais de la même manière, ils ne pouvaient pas non plus renoncer au processus de paix »

– Asad Ghanem, professeur de science politique à l’Université de Haïfa

D’après Ghanem, les dirigeants palestiniens ont fini par se rendre compte qu’ils avaient été attirés dans un piège.

« Ils ne pouvaient avancer vers la formation d’un État parce qu’Israël leur barrait la route, détaille-t-il. Mais de la même manière, ils ne pouvaient pas non plus renoncer au processus de paix. Ils n’ont pas osé démanteler l’Autorité palestinienne et Israël a donc pris les commandes de la politique palestinienne.

« Si Abbas s’en va, quelqu’un d’autre prendra le relais à la tête de l’Autorité palestinienne et son rôle perdurera. »

Pourquoi les dirigeants palestiniens sont-ils entrés dans le processus d’Oslo sans prendre davantage de précautions ?

Selon Diana Buttu, Arafat avait des raisons de se sentir en danger à l’idée d’être hors de Palestine, comme les autres dirigeants de l’OLP vivant en exil en Tunisie, une question qu’il espérait voir être résolue par Oslo.

« Il voulait remettre un pied en Palestine, argumente-t-elle. Il se sentait fortement menacé par les dirigeants “de l’intérieur”, même s’ils lui étaient fidèles. La première Intifada avait démontré leur capacité à mener un soulèvement et à mobiliser le peuple sans lui.

« Il avait également grand besoin de reconnaissance internationale et de légitimité. »

Une guerre de tranchées

Selon Gordon, Arafat pensait pouvoir finir par obtenir des concessions d’Israël.

« Il voyait cela comme une guerre de tranchées. Une fois en Palestine historique, il avancerait de tranchée en tranchée. »

« Ils estimaient qu’Israël mettrait fin à l’occupation en échange d’une normalisation des relations avec le monde arabe. Arafat se considérait comme le pont qui apporterait à Israël la reconnaissance qu’il souhaitait. […] Il avait tort »

- Michel Warschawski, activiste israélien pour la paix

Warschawski a noté qu’Arafat et d’autres dirigeants palestiniens lui avaient affirmé qu’ils pensaient pouvoir exercer une influence importante sur Israël.

« Ils estimaient qu’Israël mettrait fin à l’occupation en échange d’une normalisation des relations avec le monde arabe. Arafat se considérait comme le pont qui apporterait à Israël la reconnaissance qu’il souhaitait. Sa position était que Rabin devrait lui baiser la main en échange d’un si grand exploit.

« Il avait tort. »

Première poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin lors de la cérémonie de signature du premier accord d’Oslo, le 13 septembre 1993 (AFP)

Gordon a fait référence au discours initial sur les avantages économiques d’Oslo, selon lequel il était supposé que la paix ouvrirait le commerce d’Israël avec le monde arabe tout en transformant Gaza en Singapour du Moyen-Orient.

Ce « dividende de la paix » a toutefois été contesté par un « dividende de la guerre » tout aussi attrayant.

« Avant même le 11 septembre, l’expertise d’Israël dans les domaines de la sécurité et de la technologie s’était avérée rentable. Israël a compris qu’il y avait beaucoup d’argent à gagner dans la lutte contre le terrorisme. »

En réalité, Israël a réussi à tirer parti du dividende de la paix comme du dividende de la guerre.

« Grâce à Oslo, Israël a normalisé ses relations dans la région, alors que paradoxalement, les Palestiniens sont devenus le corps étranger »

– Diana Buttu, avocate palestinienne et ancienne conseillère de l’AP

Diana Buttu a relevé que plus de 30 pays, dont le Maroc et Oman, avaient développé des relations diplomatiques ou économiques avec Israël à la suite des accords d’Oslo. Les États arabes ont renoncé à leurs politiques de boycott et d’anti-normalisation et les grandes sociétés étrangères ont arrêté de craindre d’être pénalisées par le monde arabe si elles commerçaient avec Israël.

« Le traité de paix [de 1994] entre Israël et la Jordanie n’aurait jamais pu être conclu sans Oslo », souligne-t-elle.

« En lieu et place de dénonciations claires de l’occupation, les Palestiniens se sont retrouvés face au vocabulaire des négociations et des compromis pour la paix.

« Les Palestiniens sont devenus un cas d’ordre caritatif, ils demandent l’aumône auprès du monde arabe pour que l’Autorité palestinienne puisse aider à maintenir l’occupation plutôt que mener la résistance. 

« Grâce à Oslo, Israël a normalisé ses relations dans la région, alors que paradoxalement, les Palestiniens sont devenus le corps étranger. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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