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Oslo a semé les graines d’un schisme entre Palestiniens

Le gouvernement d’union nationale et l’accord de réconciliation actuels entre Gaza et la Cisjordanie étaient voués, comme les précédents, à l’échec

Le 23 avril 2014, les factions palestiniennes dirigées par le Hamas et le Fatah se sont réunies chez le Premier ministre de l’époque, Ismaël Haniyeh, et ont conclu l’accord d’al-Chati. Malgré leurs différences idéologiques et politiques ainsi qu’une vision commune des conséquences (inévitable intervention extérieure, possibles réductions de l’aide des donateurs et intensification de la pression israélienne), les deux principaux partis palestiniens ont convenu de mettre fin à leur division et de former un gouvernement de consensus national. Cet accord était conforme aux accords du Caire et à la déclaration de Doha. Il prévoyait également des élections présidentielles, législatives et au Conseil national dans les six mois suivant la formation du gouvernement.

En quelques semaines, un gouvernement de consensus national a été formé. Ce dernier est entré en fonction en juin 2014. Les Palestiniens, qui avaient longtemps attendu ce moment, ont célébré la fin d’une division politique et territoriale longue et délibérée et ont espéré que cet accord ouvre la voie à une réconciliation palestinienne qui n’avait que trop tardé.

Le bonheur, hélas, ne dure jamais longtemps dans les territoires palestiniens occupés. Deux semaines après l’annonce du nouveau gouvernement, Israël a mené deux guerres visant à saper le choix de l’unité fait par les Palestiniens. La première a frappé la Cisjordanie – acte de vengeance après l’enlèvement de trois étudiants de la communauté des colons israéliens. Bien qu’on ait appris la mort de ces étudiants dans les heures qui ont suivi leur enlèvement, le gouvernement Netanyahou a organisé une campagne agressive de punition collective contre les Palestiniens en Cisjordanie, sous couvert d’une soi-disant mission de sauvetage des trois kidnappés. En quelques semaines, cette campagne de terreur a atteint la bande de Gaza, qui a été soumise à cinquante-et-un jours de bombardements aérien, terrestre et maritime. Cette opération a tué ou blessé plus de dix mille personnes et détruit ou endommagé sérieusement la majeure partie des infrastructures de Gaza, dont plus de 96 000 maisons.

Lorsque l’agression militaire israélienne a pris fin, la lourde tâche de reconstruire Gaza s’est ajoutée à la longue et difficile liste des tâches du gouvernement.

Aujourd’hui, un an après l’accord d’al-Chati et la formation du gouvernement de consensus national, la situation en Palestine occupée est bien pire qu’avant cet accord. Le fossé entre le Hamas et le Fatah se creuse et les élections tant attendues ne se profilent pas à l’horizon. La reconstruction de Gaza est de fait au point mort, tandis que le cadre conçu à al-Chati n’a pas réussi à dépasser la phase initiale.

Cette impasse peut être imputée à plusieurs facteurs et acteurs. Cependant, c’est l’accord d’Oslo – et sa vision parcellaire – qui demeure la principale cause des divisions continuelles entre le Hamas, le Fatah, l’Autorité palestinienne (AP) et le peuple. Il reste également le principal obstacle à une véritable réconciliation entre Palestiniens et à une stratégie unifiée de libération nationale.

Le 13 septembre 1993, l’Autorité palestinienne a été créée en vertu des fameux accords d’Oslo –conclus en secret et sans jamais bénéficier d’un consensus palestinien. Suite à ces accords, l’administration palestinienne a renoncé à mener un mouvement de libération nationale et à représenter les aspirations collectives du peuple palestinien. Elle a été prise au piège dans un accord libérant le gouvernement israélien des principaux fardeaux de l’occupation, les imposant à la place à son nouvel agent : l’Autorité palestinienne nouvellement créée. Plusieurs mécanismes sur le terrain ont été introduits pour faciliter la mise en œuvre. Ceux-ci comprenaient l’établissement d’un mécanisme sécuritaire (ou « coordination de la sécurité ») pour la naissante AP, qui se mit ainsi à assurer la sécurité de la puissance occupante. Ils comprenaient également une promesse de don de plusieurs milliards de dollars pour établir, recruter et former le personnel en Cisjordanie et à Gaza afin de réprimer toute résistance ou agitation populaire contre la corruption et la répression. Ce rôle en matière de sécurité a en effet maintenu le statu quo et a donné à Israël le temps nécessaire pour mener à terme son projet colonial. En retour, les nouveaux dirigeants palestiniens ont été récompensés par un statut VIP, une bonne vie et d’immenses privilèges.

Aux yeux de la majorité des Palestiniens, cette fonction sécuritaire – l’abject résultat d’Oslo – équivaut à un crime. Le prix à payer pour cet accord s’est révélé très lourd pour le peuple palestinien, impliquant dans les faits l’abandon du projet de libération nationale. À ce titre, cet accord continue également, avec succès, à alimenter les divisions palestiniennes.

En fait, les accords d’Oslo ont semé dès le début les graines d’un schisme entre Palestiniens : ils ont établi une série de mesures pratiques empêchant toute position, stratégie ou vision palestinienne unifiée. Oslo a créé des classifications et établi des divisions. L’accord a séparé et stratifié le peuple palestinien et a conduit à la subdivision radicale des 22 % restants du territoire palestinien qu’il occupe encore.

Ce ne fut qu’après Oslo que les Palestiniens ont pleinement mesuré ce que signifiait la fragmentation du peuple avec l’élimination des réfugiés exilés de la carte politique et géographique de la nouvelle Autorité. Ce ne fut qu’après Oslo que les Palestiniens en sont venus à être étiquetés comme « modérés » ou « radicaux ». Ce ne fut qu’après Oslo que les Palestiniens ont été effectivement qualifiés et traités comme deux peuples : ceux sous le gouvernement de Ramallah et ceux sous le gouvernement de Gaza. Ce ne fut qu’après Oslo que Gaza et Jéricho ont été jugés « prioritaires », le reste du territoire étant relégué à l’infini ou dans l’inconnu. Et ce ne fut qu’après Oslo que 62 % du territoire palestinien restant (maintenant désigné comme « zone C »), a été placé sous le contrôle total et exclusif des forces de sécurité israéliennes. Cette division « administrative » a placé 28 % du territoire palestinien (« zone B ») sous administration conjointe israélo-palestinienne, tandis que (théoriquement) les 11 % restants de ce territoire (zone A) demeurent sous contrôle palestinien.

Lorsque les partis se sont rencontrés au camp d’al-Chati pour finaliser l’accord de l’an dernier, il ne s’agissait donc pas simplement d’une division politique entre les deux grandes factions en conflit sur les questions de pouvoir. Ce n’était pas non plus strictement le résultat des événements de 2007 menant à la prise de contrôle de Gaza par le parti qui avait gagné les élections de 2006, c’est-à-dire le Hamas. C’était le produit de vingt ans de mise en œuvre systématique d’un cadre conçu dès le départ pour favoriser ces déchirements : les accords d’Oslo. En outre, il s’agissait d’une division entre deux programmes parallèles sans perspectives convergentes réalistes. Le premier était le programme du Fatah, représentant l’Autorité palestinienne basée à Ramallah, dont la priorité n’était plus de mettre fin à l’occupation. Le second était le programme mené par le Hamas et les autres factions palestiniennes et soutenu par la majorité de la population palestinienne, favorisant la résistance comme moyen de mettre fin à l’occupation. Cette division était donc un affrontement entre une classe de l’élite dirigeante, considérée par une majeure partie de la société palestinienne comme un groupe d’intérêt qui possédait déjà tout ce qu’il pouvait espérer obtenir après la fin de l’occupation, et la grande majorité des Palestiniens dans et hors de la Palestine occupée, qui pour la plupart possédait très peu de choses et refusait toujours fermement de se soumettre. Alors que l’élite avait déjà cédé les droits fondamentaux du peuple palestinien en échange de fonds de donateurs et d’un « mini-État pathétique », les gens n’ont pas fléchi et ont insisté sur leurs droits. Voilà pourquoi cette petite bande de terre densément peuplée qu’est la bande de Gaza a été soumise à sept ans de blocus inhumain, le plus long de l’histoire, et à trois attaques militaires criminelles de la part d’Israël dans la même période.

L’impasse de l’accord d’al-Chati ainsi que l’échec du gouvernement de réconciliation à mettre fin à la division entre le Hamas et le Fatah et à respecter ses obligations étaient donc inévitables. Le gouvernement d’union nationale et l’accord de réconciliation actuels sont voués, comme les précédents, à l’échec.

Leur échec ne naîtra pas, comme le prétendent – à tort – les critiques, de la complexité de la lutte pour le pouvoir entre le Hamas et le Fatah. Il échouera car l’objectif stratégique primordial des accords d’Oslo et de tous les accords ultérieurs n’était pas de résoudre le conflit, mais plutôt de perpétuer une autonomie palestinienne fragmentée et limitée permettant une colonisation israélienne continue. Tant que les Palestiniens ne parviennent pas à affronter cette réalité, il n’y aura pas de véritable réconciliation nationale, ni d’unité.
 

Ghada Ageel est professeure détachée au département de sciences politiques de l’université de l’Alberta (Edmonton, Canada). Chercheuse indépendante, elle participe activement à l’initiative Faculty 4 Palestine de cette université. Son nouveau livre, Apartheid in Palestine: Hard Laws and Harder Experiences, est à paraître aux éditions University of Alberta Press (Canada).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Photo : l’un des chefs du Hamas, Ismaël Haniyeh, serre la main d’un dirigeant du Fatah, Rami Hamdallah (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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