Coronavirus : ce qui changera cette année pendant le Ramadan
Avec la propagation du coronavirus qui touche des millions de personnes dans le monde, le mois sacré du Ramadan, censé débuter le jeudi 23 avril ou autour de cette date, pourrait être très différent cette année.
Que se passe-t-il généralement pendant le Ramadan ?
Pour les musulmans du monde entier, le Ramadan est l’un des mois les plus vénérés de l’année. Au cours de ce neuvième mois du calendrier islamique, Dieu aurait révélé les premiers versets du Coran, le texte sacré, au prophète Mohammed.
Pendant le Ramadan, une grande partie des musulmans à travers le monde, dont le nombre est estimé à 1,6 milliard, jeûnent chaque jour : pour manifester leur foi, ils s’abstiennent, du lever au coucher du soleil, de manger et de boire ou encore de fumer et d’avoir des relations sexuelles.
L’islam suit le calendrier lunaire, ce qui signifie que les dates du Ramadan changent chaque année. Les musulmans pensent que le jeûne leur permet de renforcer leur relation avec Dieu, de fortifier leur volonté et de s’identifier aux plus démunis.
Chaque jour du mois, les musulmans pratiquants tentent également de renouer avec leur foi par des actes de culte tels que la prière, la lecture du Coran et les dons caritatifs, mais aussi en ravivant leurs relations avec leurs amis et leur famille.
Au coucher du soleil, la rupture du jeûne, ou iftar, est généralement vécue en communauté : les musulmans se réunissent soit chez eux, soit dans de grands espaces publics pour manger ensemble.
Les heures de jeûne dépendent du lever et du coucher du soleil, ce qui affecte sa durée d’un endroit à l’autre de la planète : cette année, par exemple, le jeûne durera plus longtemps à Londres qu’à Sydney. Seuls ceux qui en sont physiquement capables sont censés jeûner, ce qui signifie que les malades peuvent en être exemptés.
Les personnes qui respectent le jeûne se couchent souvent tard pour profiter des heures durant lesquelles il est permis de manger et de boire. Il est de tradition de se réveiller pour le souhour, un repas pris avant l’aube servant d’alternative au petit déjeuner qui serait autrement manqué.
Le Coran aurait été révélé au prophète Mohammed lors de l’une des dix dernières nuits du Ramadan, appelée Nuit du Destin. Certains musulmans choisissent de vivre et de dormir dans une mosquée durant ces derniers jours pour se consacrer entièrement au développement de leurs connaissances religieuses.
En quoi les préparatifs du Ramadan pourraient-ils être différents en 2020 ?
Les musulmans qui respectent le Ramadan profitent des semaines qui le précèdent pour s’assurer que leur cuisine est bien approvisionnée en ingrédients pour les repas traditionnels.
Au Moyen-Orient, au Maghreb et ailleurs, il s’agit d’une période commerciale faste et les magasins vendent des friandises traditionnelles et des décorations à thème. Les rues sont parsemées de lanternes de fête et de lumières colorées, tandis que les habitants parent leur maison d’ornements, certains en forme de croissant ou d’étoile, pour marquer le début du mois.
Cette année, en raison des couvre-feux et des mesures de confinement imposés dans certains pays ainsi que des heures d’ouverture réduites, de nombreux musulmans auront du mal à se préparer comme d’habitude pour le mois à venir.
Les aliments viennent à manquer dans de nombreux magasins, les rayons ayant été vidés de leurs produits de première nécessité. Certains propriétaires de magasins ont également limité le nombre de produits par client, ce qui complique les achats des familles nombreuses.
Les entreprises seront également touchées par les changements – beaucoup ont vu leurs bénéfices diminuer suite aux mesures de confinement, alors que certaines ont dû fermer pour une durée indéterminée. Afin de faire face à la pandémie, les effectifs ont également été réduits et les stocks ont été limités, dans la mesure où les entreprises ont du mal à s’approvisionner auprès des grossistes.
Les commerces indépendants et les vendeurs sur les marchés feront probablement partie des principales victimes de la pandémie, étant donné que le Ramadan est généralement une période cruciale pour les boulangeries, les restaurants et les vendeurs d’artisanat. Durant le mois sacré, les menus comprennent des pâtisseries de saison, tandis que les marchés vendent des produits uniquement réservés au Ramadan, notamment des noix et des dattes.
Comment le coronavirus affectera-t-il le jeûne ?
Le jeûne pendant le Ramadan est obligatoire. Sont exemptés les enfants, les femmes enceintes, en période de menstruation ou allaitantes et les personnes malades ou en voyage. Les personnes qui présentent des symptômes du COVID-19 peuvent s’abstenir de jeûner si elles en sont physiquement incapables.
La journée commence généralement avant l’aube dans de nombreuses communautés. Dans les ruelles étroites du Moyen-Orient, on peut parfois entendre un tambour battant aux premières heures du jour pendant le Ramadan. C’est le mesaharati, qui réveille les habitants à temps pour le souhour avant l’aube et qui leur souhaite un mois béni.
Dans certains quartiers très soudés, les mesaharati appellent même les enfants par leur nom. Cette année, en raison des règles de confinement, le son des mesaharati pourrait manquer à l’appel.
Pendant la journée, la plupart des musulmans qui respectent le jeûne continuent de travailler ou d’aller en cours, tout en s’abstenant de s’alimenter.
Mais la pandémie de coronavirus a obligé des milliers d’établissements d’enseignement à fermer et des millions de personnes à travailler depuis chez elles. Cela pourrait soulager quelque peu certains de ceux qui respectent le jeûne : les heures habituellement passées à se rendre au travail et à en revenir peuvent en effet être utilisées pour rattraper le sommeil perdu pendant les longues nuits.
En quoi les repas du Ramadan seront-ils différents ?
Tout au long du mois, le Ramadan est une fête très communautaire – mais cet aspect aussi pourrait être affecté par la pandémie de coronavirus.
L’iftar – qui se traduit littéralement par « rupture du jeûne » – est un repas très attendu, souvent partagé avec la famille élargie et les amis.
La propagation du COVID-19 empêchera probablement les familles élargies et les amis de se rassembler, dans la mesure où les gouvernements du monde entier demandent aux gens de maintenir une certaine distance physique les uns des autres. Cela pourrait également empêcher les personnes vivant dans des familles de plus petite dimension de se joindre aux rassemblements auxquels elles sont souvent conviées.
Souvent, des organismes de bienfaisance ou des particuliers érigent de grandes tentes où les musulmans peuvent se rassembler et rompre le jeûne : celles-ci sont ouvertes à tous et permettent aux plus démunis de partager également un repas. On ne sait pas ce qu’il adviendra de ces initiatives.
Il est probable que les souhours que certaines organisations du Maghreb et du Moyen-Orient utilisent pour remplacer les événements d’entreprise ou de presse qui auraient autrement lieu pendant la journée soient également touchés.
Pour contourner les restrictions en matière de distanciation sociale, certaines organisations et mosquées ont mis en place des webinaires et des vidéoconférences en ligne. On peut citer en exemple Ramadan Tent Project, un organisme britannique qui propose généralement des iftars ouverts en plein air à chaque Ramadan : cette année, il diffusera des webinaires en ligne pour aborder des questions spirituelles et donner des conseils afin de profiter du mois sacré.
Dans quelle mesure les prières seront-elles affectées durant la pandémie ?
Chaque soir pendant le Ramadan, des prières prolongées, appelées tarawih, ont lieu dans les mosquées du monde entier. Ces actes de culte communautaires sont organisés dans la conviction que les prières faites en communauté sont mieux récompensées.
Les mosquées se remplissent de fidèles pendant cette période : les lieux les plus populaires sont bondés, les fidèles suivant les prières depuis la cour et les rues voisines.
Mais cette année, de nombreuses mosquées du Maghreb et du Moyen-Orient, comme la mosquée du Prophète à Médine, en Arabie saoudite, ont déjà fermé leurs portes afin de freiner la propagation du virus.
En France, le Conseil français du culte musulman (CFCM) et l’association Musulmans de France ont appelé les mosquées du pays à suspendre toutes les prières collectives jusqu’à nouvel ordre en raison du confinement. De même, l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB) a demandé à toutes les mosquées du pays de fermer leurs portes au public et propose aux fidèles des vidéos de discours religieux.
Certaines mosquées, comme l’Atlanta Masjid aux États-Unis, ont commencé à diffuser en direct la « khutba », le sermon donné avant la prière communautaire du vendredi. Ces assemblées virtuelles pourraient se poursuivre pendant le Ramadan afin que les fidèles puissent suivre les prières depuis chez eux, à l’abri.
Dans certaines régions du Maghreb et du Moyen-Orient, l’adhan, l’appel à la prière diffusé cinq fois par jour depuis les mosquées, sert désormais à encourager les gens à rester à l’abri. Au Koweït, en Palestine ou encore au Maroc, l’appel a été modifié et les mots « priez chez vous » ont désormais remplacé la formule habituelle « venez prier ».
Dans quelle mesure les restrictions liées au coronavirus ont-elles touché les pèlerins ?
Le Ramadan et les mois qui le précèdent font partie des périodes les plus chargées pour les voyages à destination de la ville sainte de La Mecque, lieu de naissance du prophète Mohammed, en Arabie saoudite. La ville attire des millions de musulmans du monde entier, qui économisent souvent pendant des années pour effectuer la oumra, un pèlerinage facultatif qui leur permet de renouer avec leur foi, de rechercher le pardon et de prier pour leurs besoins.
Habituellement, les pèlerins doivent prouver qu’ils sont vaccinés contre la méningite lorsqu’ils entrent dans le royaume – mais la propagation du coronavirus a entraîné la multiplication des mesures.
Le 27 février, l’Arabie saoudite a temporairement suspendu les voyages vers les sites les plus sacrés du pays, craignant que cela ne favorise la propagation du coronavirus ; les agents de voyage ont alors dû se démener et réarranger les réservations. De nombreux pèlerins ont purement et simplement annulé leur voyage.
Au début du mois, la Grande Mosquée de La Mecque a été vidée et nettoyée afin de prévenir la propagation du virus.
Quelles autres formes de culte pourraient être concernées ?
Certains musulmans se réunissent régulièrement pour approfondir la connaissance de leur foi dans un cercle d’étude appelé « halaqa ». Cette pratique remonte à l’époque du Prophète : une tradition de partage des connaissances permettait alors aux musulmans d’apprendre et de poser des questions.
Leur fréquence augmente pendant le Ramadan. Les discussions sont adaptées au profil démographique des participants. De même, les prières et les supplications ont généralement lieu en congrégation pendant les rencontres.
De nombreuses mosquées proposeront des alternatives en ligne, telles que des plateformes de vidéoconférence ou des diffusions en direct, pour remplacer cette tradition séculaire.
Qu’en est-il des initiatives de charité pendant la pandémie ?
Les actes de charité et l’aide aux plus démunis sont au cœur du mois du Ramadan. Les musulmans considèrent cela comme un élément clé de leur foi et pensent que les actes de bonté font l’objet de davantage de bénédictions au cours de ce mois.
Des collectes de fonds sont généralement organisées en marge d’événements communautaires tels qu’un grand repas d’iftar ou après les prières communautaires.
Habituellement, les bénévoles recueillent des dons afin de préparer des sacs de nourriture de Ramadan pour les plus démunis. Cette année, en raison des pénuries de denrées alimentaires essentielles telles que le riz, les pâtes et les lentilles ainsi que des restrictions de mouvement, les ménages bénéficiant de revenus faibles ou nuls seront probablement en difficulté.
Dans certains pays en proie à une crise économique, comme le Liban ou l’Égypte, le Ramadan est souvent la seule période de l’année où certaines familles peuvent manger de la viande, par exemple lorsque des morceaux de poulet sont mélangés au riz.
Le Ramadan est également le mois des records pour les dons, le « zakat », l’un des cinq piliers de l’islam. En France, un rapport sénatorial l’a bien pointé en 2016, citant l’exemple de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), dont « l’association cultuelle aurait récolté environ 1,3 million d’euros au cours du Ramadan ». Au Royaume-Uni, selon le Muslim Charities Forum (MCF), les musulmans donnent environ 150 millions d’euros au moins à des causes caritatives pendant le mois sacré.
Cette année, une grande partie de la collecte de fonds devrait se faire par l’intermédiaire de sites de dons en ligne.
Quelles autres traditions du Ramadan pourraient être touchées ?
Si de nombreux musulmans s’efforcent de renforcer leur foi et d’éviter les distractions matérielles pendant le mois sacré, le Ramadan est aussi une période où les séries télévisées touchent un large public aux heures de grande écoute.
Le nombre de téléspectateurs peut monter en flèche étant donné que certains fidèles cherchent à se divertir en attendant de rompre le jeûne. Des drames quotidiens captivants avec des acteurs de renom sont spécialement produits pour être diffusés au cours du mois, en prévision d’une large audience mondiale.
La période de préparation des programmes télévisés du Ramadan est toutefois courte : environ 70 % de toutes les séries télévisées n’avaient pas fini d’être tournées au moment de la publication de cet article, selon un initié du secteur qui explique que de nombreuses séries continuent d’être filmées pendant la période même du Ramadan.
Par ailleurs, alors que certains hôtels de la région organisent de gigantesques iftars suivis de divertissements, et que des concerts et festivals ont généralement lieu durant ce mois, ces événements devraient aussi être affectés cette année.
Qu’en est-il de l’Aïd avec le coronavirus ?
Le Ramadan se termine lorsque la pleine lune suivante est observée. Il s’agit du signal pour célébrer l’Aïd al-Fitr, qui dure trois jours.
À l’occasion des prières du premier matin de l’Aïd, les communautés se rassemblent, prient et mangent à la lumière du jour pour la première fois après un mois.
Dans une grande partie du Moyen-Orient et du Maghreb, l’Aïd est un jour férié national fait de repas et de festivités, au cours duquel les enfants portent de nouveaux vêtements, reçoivent de l’argent ou des cadeaux et mangent des friandises. Les familles sortent généralement pour une journée remplie d’activités pour les enfants et de rencontres pour les adultes.
À cette occasion, les maisons sont parées de lumières, de banderoles et de panneaux indiquant « Aïd Moubarak » (qui peut se traduire par « bonne fête »).
Mais en raison de la pandémie de coronavirus, l’Aïd risque d’être plus affectée que le Ramadan cette année. Alors que les traditions de base du Ramadan peuvent être suivies chez soi, notamment les prières communautaires diffusées en streaming, l’Aïd est généralement le moment où les musulmans sortent pour faire la fête, rendre visite à leur famille et à leurs amis et reprendre une vie quotidienne normale.
Cependant, comme les cinémas, les parcs à thème et les cafés seront vraisemblablement fermés cette année, les enfants devront rester confinés et les célébrations devront se faire à la maison.
Étant donné que les autorités religieuses et les gouvernements interdiront probablement les grands rassemblements conformément aux mesures de confinement, l’Aïd devrait être plus calme et plus mesurée cette année.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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