Irak : dans les régions sunnites, c’est en ligne que les manifestants protestent
Alors que de nombreuses provinces irakiennes connaissent actuellement une vague de manifestations contre le chômage, la pauvreté et le manque de services, de nombreux sunnites hésitent à descendre dans la rue, craignant d’être accusés d’extrémisme ou de sympathie avec le groupe État islamique (EI).
Ceux qui ont soif de changement à Al-Anbar, Salah ad-Din, Kirkouk et Mossoul se sont joints au groupe grandissant de « manifestants en ligne » sur les réseaux sociaux.
Tahany Salih, un activiste de Mossoul âgé de 30 ans, explique à Middle East Eye que les sunnites sont en colère, mais que beaucoup craignent d’être trop visibles.
« Si nous manifestons, nous risquons d’être stigmatisés, d’être accusés d’être comme l’EI, les Saoudiens, les baasistes, etc. »
- Tahany Salih, activiste à Mossoul
« Les Mossouliotes souffrent toujours de l’état de dévastation laissé par l’EI, et le gouvernement n’a rien fait d’autre que de nous négliger », souligne-t-elle. « Si nous manifestons, nous risquons d’être stigmatisés, d’être accusés d’être comme l’EI, les Saoudiens, les baasistes, etc. »
Selon elle, les manifestants sunnites craignent également « d’affecter négativement » le mouvement de protestation en exposant d’autres activistes à ces accusations venant de politiciens et d’autres groupes d’intérêt qui souhaiteraient détourner l’attention et dépeindre les manifestations comme subversives.
« Nous continuerons à manifester en ligne, en nous assurant que notre message est clair et que ceux qui expriment leur espoir sont en sécurité », ajoute-t-elle. « Nous pourrions le faire différemment, mais ce serait beaucoup plus dangereux. »
Coupure d’internet
De nouvelles manifestations ont eu lieu samedi sous les tirs à balles réelles dans la capitale irakienne et dans le sud du pays, alors que le gouvernement avait du mal à convenir d’une réponse à plusieurs jours de rassemblements.
Le responsable des Nations unies en Irak a déploré les cinq jours de violences, lesquelles ont tué près d’une centaine de personnes à travers le pays et en ont blessé des milliers d’autres, affirmant que « cela doit cesser ».
« Cinq jours de morts et de blessés (…) Il faut que ça cesse », a tweeté Jeanine Hennis-Plasschaert, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU en Irak.
Selon la commission des droits de l’homme du Parlement irakien, 99 personnes ont été tuées et près de 4 000 blessées depuis que des manifestations contre le chômage et les mauvaises conditions de vie ont éclaté mardi à Bagdad avant de se propager dans le sud du pays.
Les rassemblements en grande partie spontanés de manifestants – dont les demandes ont évolué depuis mardi : de l’emploi et l’amélioration des services à un changement fondamental de gouvernement – se sont multipliés malgré la censure d’internet et les ouvertures proposées par l’élite du pays.
Hayder Hamzoz, fondateur et PDG de l’Iraqi Network for Social Media (INSM), estime que la censure constitue une « grave violation » des droits de l’homme.
« Les autorités irakiennes ont coupé internet, le rendant inaccessible pour plus de 75 % de l’Irak. Cela signifie que plus de 30 millions de personnes se sont retrouvées hors ligne, isolées et privées de l’accès à l’information », précise-t-il.
Selon lui, même au-delà de la censure, de nombreux activistes en ligne risquent d’être visés par les services de sécurité et d’autres groupes extra-étatiques.
Il conseille aux activistes d’utiliser des « plateformes sécurisées » et de « ne rien publier sur les réseaux sociaux pour expliquer où ils iront protester ou quand ».
« J’ai reçu une lettre de menace de la sécurité nationale. Ils m’ont dit que si je continuais à poster quoi que ce soit allant dans le sens de la contestation de Bagdad, je serais arrêté »
- Omar Huthaifa, activiste à Salah ad-Din
Un activiste de la province d’Al-Anbar, qui préfère conserver l’anonymat par crainte pour sa sécurité, confie qu’« un groupe prétendant appartenir à l’agence de la sécurité nationale » à Al-Anbar a « dressé une liste de ceux qui soutiennent les manifestations sur les réseaux sociaux ».
« Trois de ceux qui ont été menacés sont des amis à moi. Ils ont même été arrêtés et accusés d’être des terroristes, simplement parce qu’ils avaient exprimé une opinion que le gouvernement n’aimait pas », souligne-t-il.
Omar Huthaifa, un activiste de Salah ad-Din, ajoute : « J’ai reçu une lettre de menace de la sécurité nationale, ils ont dit qu’ils avaient des captures d’écran de tous mes messages où j’exprimais un certain soutien aux manifestations. Ils m’ont dit que si je continuais à poster d’autres choses dans le même genre, quoi que ce soit allant dans le sens de la contestation de Bagdad, je serais arrêté. »
Reportage complémentaire par l’AFP
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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