La toxicomanie au Liban, un enjeu de société
Le Liban est une plaque tournante de la drogue au Moyen-Orient, un point de passage vers l’Europe qui fait d’ailleurs l’objet de nombreuses saisies, dont une de près d’un million de comprimés de Captagon en avril dernier.
Le pays du Cèdre est lui-même producteur de cannabis, qu’il exporte à hauteur de 50 % selon le chef de la brigade antistupéfiants, Ghassan Chamseddine.
Toutefois, malgré ces cultures connues de tous, la loi libanaise est assez stricte en matière de stupéfiants. D’ailleurs, elle ne fait pas la différence entre les drogues douces et dures, chaque consommateur étant traité de la même façon.
Des avancées législatives maigres
La loi se scinde en deux parties. D’abord, chaque personne en possession de drogue, chaque acheteur ou chaque consommateur peut être emprisonné pour une durée de trois mois à trois ans et/ou sommé de payer une amende de 1 300 à 3 300 dollars.
« Cependant, la loi libanaise offre le traitement de l’addiction comme alternative », explique Michelle Wazan de l’association Skoun, qui s’occupe d’offrir des soins aux personnes dépendantes. Cette alternative de traitement permet aux juges et aux avocats de proposer, pour éviter la case prison, de passer par une cure de désintoxication.
D’autres pays pratiquent cette réorientation vers les soins : en France, par exemple, le procureur peut décider d’une injonction thérapeutique comme alternative aux poursuites.
« Nous voyons de plus en plus de personnes être redirigées vers des centres [de désintoxication] plutôt que d’être accusées de crime »
- Michelle Wazan, association Skoun
Cette loi en deux solutions a été implémentée en 1998, mais comme souvent au Liban, elle n’a réellement été mise en place que quinze ans plus tard, quand le Comité d’addictions aux drogues a été activé pour permettre aux personnes dépendantes d’avoir une alternative à la prison. Auparavant, la loi était officielle mais les moyens pour éviter la condamnation pure n’existaient pas.
« C’est à la suite de sa réelle implémentation que le public libanais, le pouvoir judiciaire et les avocats en particulier ont accepté le fait que l’usage de drogue soit un problème de santé publique. Ainsi, nous voyons de plus en plus de personnes être redirigées vers des centres plutôt que d’être accusées de crime », renchérit Michelle.
Cette ouverture d’esprit face à la consommation de drogue n’est toutefois pas présente dans tout le pays. « Certains juges dans des zones reculées envoient directement les prévenus en prison, ils ne proposent même pas d’aide », explique Nadya Mikdashi, qui travaille elle aussi à Skoun.
L’association fait partie de la dizaine d’organisations qui aident les usagers de drogues dans le pays. Leur accréditation auprès du ministère de la Santé publique leur permet de recevoir des personnes ayant été arrêtées et qui ont choisi de suivre un traitement.
C’est seulement lorsque le suivi de la personne est terminé et que celle-ci est considérée comme « sans drogue » que les autorités abandonnent les poursuites à son encontre, garantissant un casier judiciaire vierge de problèmes de drogue.
Une consommation relativement récente
Les drogues consommées au Liban sont les mêmes que partout dans le monde. Même si aucun recensement n’existe officiellement, Skoun a lancé une enquête en ligne qui place l’alcool, le tabac et la marijuana en haut de la liste.
Mais d’autres drogues comme la Salvia (feuilles de plantes originaires du Mexique qui se fume ou se mâche) ou le Captagon ont fait leur apparition depuis quelques années. Ce dernier, très répandu dans les milieux islamistes armés dans le contexte de la guerre civile syrienne, n’a pas été largement adopté par le public, même s’il a fait des ravages dans les camps de réfugiés à la frontière du fait de son prix abordable.
La consommation de drogue est assez récente au Liban, comme l’explique Antoine Boustany, médecin et auteur d’un livre sur les drogues et la guerre. Elle a commencé réellement pendant la guerre civile, qui a débuté en 1975. « C’est au sein des milices de tous bords, quelle que soit leur appartenance religieuse, politique, sociale et idéologique, que le phénomène s’est amplifié », écrit-il.
Malgré l’absence de données officielles, il a été estimé par l’association Health Risk Assesment (HRA, qui s’occupe de prévention sanitaire à l’échelle mondiale) que dans le « Grand Beyrouth » en 2015, environ 3 000 personnes s’injectaient de la drogue.
D’autres chiffres datant de 2010 estiment le nombre de consommateurs entre 10 000 et 15 000 sur l’ensemble du territoire libanais, un chiffre en croissance perpétuelle.
Alors que les mentalités changent peu à peu vis-à-vis de l’usage de drogue, les Libanais le considérant désormais davantage comme une déviance plutôt qu’un crime, l’État peine à s’aligner et les associations de défense des consommateurs, qui militent pour une dépénalisation, luttent pour obtenir des engagements concrets. Dans un pays où l’enjeu principal est la sécurité, la drogue n’est pas une priorité.
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