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La Turquie craint d’être acculée par l’offensive russo-syrienne à Idleb

Chaque kilomètre perdu par l’opposition syrienne est un atout qui échappe à Ankara dans les négociations, expliquent des responsables turcs à MEE
Les forces gouvernementales syriennes tirent à l’arme lourde lors d’affrontements entre rebelles et forces progouvernementales dans la région de Jabriya, dans la campagne du nord de la province syrienne de Hama (AFP)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

Alors que les forces gouvernementales syriennes mènent une offensive contre le nord de la Syrie aux mains des rebelles, les autorités turques tentent désespérément de convaincre l’alliée de Damas, la Russie, de cesser cette attaque – en vain.

Des sources turques ont confié à Middle East Eye qu’Ankara craignait que ses relations tendues avec Moscou ne se dégradent et qu’un cessez-le-feu soit loin d’être garanti.

Consciente de perdre du terrain et, par là même, un moyen de pression politique, la Turquie – soutien de l’opposition syrienne – a livré des cargaisons d’armes lourdes à des groupes rebelles fin mai, ont indiqué à MEE des sources appartenant à l’opposition.

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Des groupes rebelles soutenus par la Turquie ont également été déployés sur les fronts les plus durs, dans le but d’empêcher les forces gouvernementales syriennes et leur allié russe de progresser dans la province d’Idleb qui est sous le contrôle des rebelles.

Cette offensive met la Turquie en difficulté, elle qui pensait avoir endigué les desseins du président syrien Bachar al-Assad concernant la conquête du dernier refuge rebelle par le biais d’un accord signé à Sotchi avec la Russie en septembre.

Depuis avril, toutefois, les forces d’Assad ont gagné du terrain dans le sud de la province d’Idleb et le nord de la province de Hama.

Et plutôt que de surveiller Damas, comme le promettait l’accord de Sochi, la Russie a rejoint les forces du gouvernement syrien dans leur offensive, contribuant aux bombardements qui ont provoqué le déplacement de 300 000 civils et la mort de milliers d’entre eux.

Des responsables turcs ont expliqué à MEE que Moscou se justifiait en affirmant qu’Ankara n’avait pas réussi à débarrasser convenablement la zone de désescalade entourant l’enclave rebelle de groupes militants tels que Hayat Tahrir al-Cham (HTS), dirigé par l’ancienne branche syrienne d’al-Qaïda.

« Les Russes se servent de la présence de Hayat Tahrir al-Cham à Idleb comme prétexte pour attaquer. Ils affirment que la mise en œuvre de l’accord visant à les chasser de la région a traîné trop longtemps », a déclaré un responsable turc à MEE sous couvert d’anonymat.

« Ils pensent que les stations d’observation turques ont offert un filet de sécurité à l’opposition armée et ont facilité la récupération [de ses combattants]. »

La Russie, selon ce responsable, tente de faire pression sur la Turquie sur le terrain afin de lui imposer des concessions lors des négociations sur un règlement politique qui se déroulent actuellement de manière intermittente dans la capitale kazakhe, Astana.

Selon l’ONU, environ trois millions de personnes sont prises dans les combats à Idleb et dans ses environs, la majorité d’entre elles ayant été déplacées par le conflit.

La Turquie accueille déjà plus de trois millions de réfugiés syriens et a fermé ses frontières à des milliers d’autres pour tenter de maîtriser la crise.

« Ils savent que les réfugiés sont notre point faible. Nous ne voulons pas de pertes de vies humaines et nous ne pouvons pas nous permettre une nouvelle crise de réfugiés. Cela dit, nous maintenons nos canaux habituels avec les Russes et les discussions politiques se poursuivent », a déclaré le responsable.

Jeu politique

Les responsables turcs sont persuadés que la Russie a toujours eu la même stratégie.

Ankara pense que Moscou pousse militairement la Turquie à bout afin de l’emporter dans les négociations d’Astana, au cours desquelles la Turquie, l’Iran et la Russie discutent de la composition d’un comité chargé de rédiger une nouvelle Constitution syrienne.

« Le régime [syrien] est dans un très mauvais état, à la fois sur le plan militaire et économique. Ils ont peur de perdre leur occasion politique », a déclaré le responsable.

« Le régime [syrien] est dans un très mauvais état, à la fois sur le plan militaire et économique. Ils ont peur de perdre leur occasion politique »

- Un responsable turc

Une pénurie de carburant ainsi que des conditions économiques difficiles dans les territoires contrôlés par Assad – conséquences de sanctions internationales strictes – ont provoqué la colère et frustré de nombreux Syriens qui sont restés du côté du président pendant la guerre civile.

Dans le même temps, une contre-offensive rebelle dans le nord de la province de Hama a exposé la vulnérabilité des forces du président syrien.

Des sources de l’opposition syrienne qui se sont entretenues avec MEE sont d’accord avec l’évaluation de responsables turcs selon laquelle la Russie souhaiterait priver Ankara de ses atouts dans les négociations. Cependant, elles ne croient pas que Moscou cherche simplement une solution politique.

« La Russie n’a jamais cru en la voie politique », a affirmé à MEE Labib al-Nahhas, un politicien de l’opposition syrienne anciennement attaché au groupe Ahrar al-Cham.

« L’année dernière, attaquer Idleb n’était pas réalisable en raison de la réactivité des groupes armés et du refus de l’Iran de soutenir l’attaque, ainsi que de l’échec de l’infiltration de la Russie dans les zones contrôlées par l’opposition. Ils voulaient convaincre les habitants du coin d’accepter des accords de réconciliation similaires à ceux signés à Damas et à Deraa. »

D’après Labib al-Nahhas, les Russes estimaient avoir besoin d’une avancée urgente, les négociations politiques étant au point mort et le gouvernement syrien aux prises avec des difficultés économiques.

« Ils voudraient infliger des dégâts considérables aux zones civiles, provoquer des déplacements et faire pression sur les civils et les groupes armés pour qu’ils se rendent », a-t-il déclaré.

Les décombres d’un bâtiment bombardé dans la province d’Idleb (MEE/Harun al-Aswad)
Les décombres d’un bâtiment bombardé dans la province d’Idleb (MEE/Harun al-Aswad)

Les raisons du désaccord turco-russe à Idleb ont fait l’objet de nombreuses spéculations.

Certains analystes ont suggéré que les pressions exercées dans le nord de la Syrie pourraient s’inscrire dans le cadre d’une stratégie plus globale visant à montrer à Ankara qu’il ne peut pas renoncer à son achat d’un système de défense antiaérien S-400 de fabrication russe, ce qui a provoqué une crise majeure entre la Turquie et les États-Unis, son allié de l’OTAN.

Des sources ont toutefois rejeté cette idée.

« Les S-400 ne sont pas du tout liés à cette question », a déclaré le responsable turc.

« D’autres personnes ont également affirmé qu’il s’agissait de l’annexion de Tall Rifaat [dans le nord de la Syrie par la Turquie] contre le fait de céder du territoire à Idleb. Ils ont tort. »

Un haut responsable syrien de l’opposition, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a déclaré à MEE que les responsables turcs considéraient Idleb comme essentiel pour la sécurité nationale de la Turquie.

« Sans le contrôle d’Idleb, il serait presque impossible de sécuriser Afrin et les enclaves sous contrôle turc le long de la frontière », a déclaré la source. 

Elle a ajouté qu’à la télévision, les responsables turcs ne blâmaient pas directement les responsables russes, mais seulement le gouvernement syrien, car ils souhaitent toujours garder les canaux de communication ouverts avec Moscou. 

Et Washington dans tout cela ?

Le rôle des États-Unis reste important.

L’année dernière, les vives déclarations du président Donald Trump contre l’offensive d’Idleb ont permis à Ankara de convaincre la Russie de signer l’accord de Sotchi. Cette fois, cependant, les États-Unis semblent moins impliqués.

« Les États-Unis continuent d’être alarmés par les actuelles frappes aériennes de la Russie et du régime dans le nord-ouest de la Syrie. La violence doit cesser. Nous continuerons à souligner publiquement et par voie diplomatique les effets dangereux de ces actes », a déclaré le département d’État américain dans un communiqué le 28 mai.

Un article de l’agence Reuters citant une source des renseignements occidentaux affirme que Washington a autorisé les forces de l’opposition soutenues par la Turquie à recevoir des missiles antichars fournis par les États-Unis et entreposés depuis.

Des sources de l’opposition syrienne et des responsables turcs l’ont nié.

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« Les Américains ont tout rapporté aux États-Unis. Ils n’ont rien laissé derrière eux. Les missiles TOW utilisés ont été distribués il y a des années », a déclaré à MEE un autre responsable turc anonyme.

Une source de l’opposition syrienne estime que la seule solution à Idleb est la signature d’un accord entre la Russie et le leader de HTS, Abu Mohammed al-Jolani, qui autoriserait la présence militaire russe dans le sud d’Idleb.

« Les Russes et la Turquie pourraient également s’entendre sur une zone humanitaire proche de la frontière. Ce ne sont toutefois que des spéculations », a ajouté la source.

D’autres pensent qu’il est encore trop tôt pour dire ce qui se passera à Idleb.

Hasan Basri Yalçın, directeur des recherches stratégiques au sein du think tank turc conservateur SETA, a déclaré que la Russie devrait réfléchir aux liens plus larges qu’elle entretient avec la Turquie en ce qui concerne Idleb.

« Si la Russie avait su quoi faire à Idleb, elle aurait pu prendre la ville depuis longtemps », a-t-il déclaré à MEE.

« Elle a toujours besoin du soutien de la Turquie. En fin de compte, elle ne veut pas nuire à la relation qu’elle a développée avec Ankara. À bien des égards, elle est plus importante que le contrôle d’Idleb. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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