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Le Sahel, nouvel eldorado pour les compagnies militaires privées

Certains pays et même l'ONU font appel à elles pour la collecte d'informations ou l'évacuation médicalisée : dans la région du Sahel, la guérilla islamiste est devenue un véritable business pour les armées privées

La publication cette semaine du rapport d'enquête du Pentagone sur l'embuscade meurtrière le 4 octobre 2017 dans l'extrême ouest nigérien, au cours de laquelle neuf militaires dont quatre membres des forces spéciales américaines (ici en exercice avec l'armée nigérienne) ont été tués, permet de se rendre compte de l'imbrication des forces militaires privées dans le dispositif militaire tactique américain (US Army)

Derrière chaque soldat des différentes forces internationales présentes dans le Sahel, vous trouverez peut-être un « garde » d'une compagnie militaire privée ou un quelconque moyen logistique militaire appartenant à une société privée.

Ces agents sont aussi visibles en coulisses, à garder des sites miniers, à former les gardes du corps de certains présidents, ou même à assurer la sécurité ou le support logistique des opérations de maintien de la paix de l'ONU.

Dans son incapacité à mettre sur pied des bases permanentes en Afrique, l'armée américaine, à travers l'AFRICOM (le commandement des États-Unis pour l’Afrique), se retrouve même totalement dépendante des sociétés de sécurité privées, dans des domaines comme la récolte d'information sur le terrain, l'intervention spécialisée, le transport tactique, l'évacuation médicalisée et parfois pour « l'exploitation » des individus arrêtés.

La publication cette semaine du rapport d'enquête du Pentagone sur l'embuscade meurtrière qui a eu lieu le 4 octobre 2017 dans l'extrême ouest nigérien, au cours de laquelle neuf militaires dont quatre membres des forces spéciales américaines ont été tués, permet de se rendre compte de l'imbrication des forces militaires privées dans le dispositif militaire tactique américain.

Il apparaît dans le rapport qu'en plus des huit membres des forces spéciales américaines et des deux soldats américains en support, un mystérieux « civil chargé du renseignement », dont ni l'identité, ni la nationalité n'ont été révélées, était aussi présent.

Les images diffusées par le Pentagone et prises par un drone ont montré que l'évacuation des blessés a été partiellement faite par un hélicoptère civil Bell 214 de la compagnie privée, Erickson Inc, stationné au Niger.

Une autre entreprise de transport militaire privé aurait été mise en alerte selon le chercheur et auteur David Trevithick. Son nom : Berry Aviation. 

Sur son site internet, l’entreprise Berry Aviation ne fait pas un mystère de son engagement en Afrique (Berry Aviation)

Sur son site internet, elle ne cache en rien son engagement en Afrique aux côtés de l'armée américaine pour des missions de transport de fret et de passagers, de parachutage et d'évacuation sanitaire de combat.

Un budget annuel de plusieurs dizaines de millions de dollars

En conclusion, il a suffi qu'une mission tourne mal pour que soit dévoilé le nom de trois entreprises militaires privées.

Juste pour l'AFRICOM, ce sont 21 entreprises américaines qui s'affichent comme prestataires de service militaire en Afrique du Nord et au Sahel.

Comme les États-Unis ne sont pas les seuls présents dans la région (MINUSMA, Barkhane...), des dizaines d'autres compagnies ont progressivement occupé la zone. Leurs missions vont de la fourniture de repas à l'intervention armée. Elles sont françaises, britanniques ou ukrainiennes et elles se partagent un budget annuel de plusieurs dizaines de millions de dollars.

Wagner Group, un nom lié à l’intervention russe en Syrie, où ses agents protègeraient certains sites pétroliers et seraient utilisés par l'armée syrienne lors des combats

Depuis peu, ce sont les russes qui s'infiltrent en Afrique du Nord et en Afrique centrale. Une compagnie militaire privée bien connue, Wagner Group, est en train de prendre pied de manière durable dans la région et selon les analystes, elle signifierait que Moscou revient aux affaires en Afrique. 

Son nom est mêlé à la guerre dans la région séparatiste du Donbass en Ukraine et à l'intervention russe en Syrie où ses agents protègeraient certains sites pétroliers et seraient utilisés par l'armée syrienne lors des combats. Elle a également pris possession, le 24 mars dernier, de l'ancienne demeure du président Bokassa en République centrafricaine pour la transformer en centre d’entraînement. 

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Une centaine de ses hommes ont décroché le précieux contrat de la formation de milliers de soldats de l'armée reconstituée de Centrafrique. L'apparition des instructeurs russes avait été précédée en 2017 par des livraisons d'armes de Moscou, qui avait provoqué des remous à l'ONU, en particulier de la part de la France et des États-Unis, qui considéraient que la Russie violait l'embargo international sur les armes, appliqué après les violences de 2013 responsables de centaines de morts en Centrafrique. Mais c'est l'ONU qui acceptera finalement de délivrer un laissez-passer pour les autorités russes qui accepteront de former l'armée de Bangui.

Au Soudan, Wagner Group protège les les exploitationsminières d'or, de diamant et d’uranium pour le compte du président du nord du Soudan, Omar el-Béchir (AFP)

Dans les coulisses, on apprend aussi que du personnel de Wagner aurait été affecté à la protection rapprochée du président Faustin-Archange Touadéra, pendant qu’un autre groupe s'occuperait de la sécurité de la principale mine de diamants du pays.

En janvier dernier, c'est au Soudan que les hommes de Wagner ont été aperçus, selon l'agence de renseignement privée américaine Stratfort. Là aussi, les mercenaires de Wagner protègent les exploitations minières d'or, de diamant et d’uranium pour le compte du président du Soudan du Nord, Omar el-Béchir. En conflit avec le Soudan du Sud, l'état-major de l'armée du Nord recevrait les conseils très spéciaux d'agents de l'organisation Wagner.

De la Libye à la Côte d’Ivoire

En Libye, ce sont d'autres compagnies militaires russes qui opèrent. Selon le blog russe BMPD, la société militaire russe RSB aurait déjà envoyé une équipe de déminage dans la région de Benghazi. La même source ajoute que des agents privés russes ont entraîné des militaires du maréchal libyen Haftar sur la base égyptienne de Sidi Barrani, proche de la frontière libyenne.

Au Sahel, l'Ukraine n'est pas en reste. De nombreuses entreprises ukrainiennes sont directement impliquées avec les acteurs internationaux. Au Mali, Ukrainian Helicopters, fournit des moyens d'évacuations médicalisés aéroportés à la MINUSMA depuis deux ans. On les retrouve aussi au Soudan, au Congo et en Côte d'Ivoire.

Plus musclée, la société militaire privée Omega Consulting Group a ouvert une filiale au Burkina Faso avec l'envoi de plusieurs hommes. Cette entreprise ukrainienne, recrutait jusqu'à récemment sur sa page Facebook, des « opérateurs » francophones ayant une solide expérience du combat.

Andrei Kekbalo, patron de cette compagnie affirmait dans un entretien accordé à BBC Ukrain, que les salaires proposés par sa société allaient, selon le danger, de 2000 à 5000 dollars par mois. 

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Pour les postes au Burkina-Faso, Omega Consulting Group exige des profils de baroudeurs. Expérience en Irak, Yougoslavie, Afghanistan, Afrique pour un salaire de 14 000 dollars.

Aujourd'hui, la guérilla islamiste dans la région du Sahel est devenue un véritable business pour de nombreux acteurs qui agissent parfois dans le flou le plus total et en marge de la légalité internationale. 

Une conjoncture qui inquiète de plus en plus les pays riverains d'Afrique du Nord qui regardent, tétanisés, la situation sécuritaire de leur prolongement naturel leur échapper complètement.

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