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Libye : le Maroc exclu du dossier après des années de lobbying

Alors que Rabat cherchait à se positionner comme acteur incontournable dans le dossier libyen, il vient d’en être totalement exclu. Un échec pour la diplomatie marocaine, qui voit l’Algérie lui ravir sa position
Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, et Ghassan Salamé, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Libye, donnent une conférence de presse, le 8 décembre 2017, à Rabat (AFP)

Malgré d’intenses efforts de lobbying, Rabat a été écarté des négociations dans la crise libyenne. Son exclusion de la conférence de Berlin, qui s’est tenue le 19 janvier, n’a pas manqué de provoquer l’indignation de la diplomatie marocaine.

« Le Royaume du Maroc a toujours été à l’avant-garde des efforts internationaux pour la résolution de la crise libyenne », s’est étonné, dans un communiqué du 18 janvier, le ministère des Affaires étrangères, non sans exprimer son « profond étonnement quant à son exclusion ».

Rabat ne comprend pas non plus, souligne le communiqué de Nasser Bourita, « ni les critères ni les motivations qui ont présidé au choix des pays participant à cette réunion », taclant au passage l’Allemagne : « Le pays hôte de cette conférence, qui est loin de la région et des complexités de la crise libyenne, ne saurait la transformer en instrument de promotion de ses intérêts nationaux. »

La colère du Maroc est si vive qu’Emmanuel Macron a dû, le même jour, appeler Mohammed VI pour éteindre l’incendie. « Le rôle important du Royaume du Maroc et ses efforts reconnus, depuis de longues années, en vue de la résolution de la crise dans ce pays maghrébin ont été soulignés. Ces efforts ont, notamment, produit l’accord de Skhirat, entériné par le Conseil de sécurité [de l’ONU] et soutenu par la communauté internationale », a rappelé un communiqué du cabinet royal le 18 janvier au sujet de la discussion.

Le 17 décembre 2015, à Skhirat (Maroc), les différentes parties libyennes viennent de signer un accord pour la création du Gouvernement d’union nationale, parrainé par l’envoyé de l’ONU pour la Libye (AFP)

Le 23 janvier, le voisin algérien a remué le couteau dans la plaie en réunissant les ministres des Affaires étrangères tunisien, égyptien, tchadien et malien pour tenter de trouver un règlement politique à la crise.

Officiellement, les participants « ont exhorté les belligérants libyens à s’inscrire dans le processus de dialogue, sous les auspices de l’ONU, avec le concours de l’Union africaine et des pays voisins de la Libye, en vue de parvenir à un règlement global, loin de toute interférence étrangère ».

Aucune mention n’est ainsi faite du Maroc, qui, le 18 janvier, refusait de s’avouer vaincu : « Le Royaume du Maroc poursuivra son engagement aux côtés des frères libyens et des pays sincèrement intéressés et concernés, afin de contribuer à une solution à la crise libyenne », soulignait un communiqué.

Madrid à la rescousse

Le 24 janvier, l’Espagne, par l’entremise de sa ministre des Affaires étrangères, Arancha González Laya, en visite au Maroc, s’est montrée solidaire, se déclarant « en faveur d’un élargissement de la coalition internationale sur la Libye » et ajoutant « que celle-ci nécessite la contribution d’acteurs comme le Maroc, vu son importance dans la région, capables d’apporter des solutions afin de mettre fin aux hostilités. »

La colère du Maroc s’explique par le rôle « décisif » qu’il a joué « dans la conclusion de l’accord de Skhirat [conclu en 2015 et visant à sortir la Libye de la crise], à ce jour le seul cadre politique – appuyé par le Conseil de sécurité et accepté par tous les protagonistes libyens – en vue de la résolution de la crise dans ce pays maghrébin frère. »

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Seulement, la donne a bien changé depuis 2015. Préférant prôner la non-ingérence pendant que les bruits de bottes s’intensifiaient en Libye, le royaume a peu à peu perdu de son influence. Même aux yeux du Gouvernement d’union nationale (GNA).

En effet, à l’annonce des participants, le ministère des Affaires étrangères de Fayez al-Sarraj a défendu ardemment la présence de la Tunisie et du Qatar sans dire un mot sur le Maroc, qui ne lui est pourtant pas hostile.

« Pourtant, le peu de légitimité restant au gouvernement al-Sarraj sur la scène internationale est le fruit de l’accord de Skhirat, signé le 17 décembre 2015. Un accord que la conférence de Berlin devrait gommer pour repartir sur de nouvelles bases », souligne le site Yabiladi.

À l’heure, donc, où la situation s’embrasait en Libye, où les puissances de la région choisissaient de soutenir le général Haftar ou le Gouvernement d’union nationale, le Maroc, lui, mettait en garde la communauté internationale contre toute ingérence, tout en proposant « de mettre toute son expertise pour accompagner la Libye dans le vaste chantier d’édification institutionnelle, de restructuration administrative et de reconstruction du pays ».

Une position ambigüe qu’il a soutenue à grand renfort de lobbying. Ainsi, avant même la signature de l’accord de Skhirat, la machine diplomatique marocaine se mettait en branle pour contrer l’influence de l’Union africaine (UA) et, surtout, celle de l’Algérie, comme l’atteste un document confidentiel révélé en 2014 par un hacker portant le pseudo de Chris Coleman.

« Le Maroc peut jouer un rôle pour éviter que les efforts des Nations unies ne soient phagocytés par l’Algérie »

- Jeffrey Feltman, secrétaire général adjoint américain aux Affaires politiques

Il s’agit d’une note du Représentant permanent du Maroc aux Nations unies, Omar Hilale, adressée, en octobre 2014, au ministre des Affaires étrangères dans laquelle il fait part d’un échange avec Jeffrey Feltman, alors secrétaire général adjoint américain aux Affaires politiques ​​​​​: « Le Maroc peut jouer un rôle pour éviter que les efforts des Nations unies ne soient phagocytés par l’Algérie », lui aurait confié le responsable américain, selon la note dont MEE garde une copie.

Un grand effort de lobbying

Jeffrey Feltman ajoute que « l’influence du Maroc est importante dans la région. Il serait hautement souhaitable de l’utiliser pour soutenir les efforts de Bernardino León [alors représentant spécial du secrétaire général en Libye]. »

Ce à quoi Omar Hilale répond que « le Maroc suit avec beaucoup d’attention les tractations politiques en cours tant de l’UA et de l’Algérie, que des Nations unies. »

En guise de conclusion, Hilale fait part au ministre des Affaires étrangères de son souhait « d’organiser un déjeuner de travail réunissant M. León avec les représentants permanents influents pour le soutenir dans sa mission. »

En février 2016, soit un peu plus de deux mois après l’accord de Skhirat, Abdellatif Loudiyi, ministre marocain délégué à la Défense, a rencontré le secrétaire général délégué de l’OTAN pour parler, entre autres, de la crise libyenne.

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Il ne s’agissait pas de la première action de lobbying auprès de l’OTAN, révélait en 2016 Le Desk : « Le 29 janvier, un autre haut responsable de l’organisation militaire, le général Petr Pavel, président du comité militaire de l’OTAN, a été reçu par le général Bouchaib Arroub. Selon nos sources, le Maroc propose que Rabat prenne plus de responsabilités dans le dossier libyen. Le royaume aurait même proposé de former des troupes libyennes. »

Un grand effort de lobbying qui ne semble pas avoir porté ses fruits, l’Algérie étant bien plus influente aujourd’hui sur le dossier libyen… au grand dam du Maroc.

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