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L’Algérie face au conflit libyen : quelle marge de manœuvre ?

Le Parlement turc a donné son accord, jeudi 2 janvier, au déploiement de troupes en Libye, en soutien au Gouvernement d’union nationale de Tripoli. De son côté, l’Algérie a affirmé qu’elle n’accepterait « la présence d’aucune force étrangère » en Libye
Les drapeaux algérien et libyen lors d’une visite du chef du Conseil national de transition, Moustapha Abdel Jalil, à Alger, le 15 avril 2012 (AFP)

Le 26 décembre 2019, une réunion du Haut conseil de sécurité présidée par le nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, s’est tenue au siège de la présidence de la République.

Il s’agit d’une instance consultative composée du Premier ministre, des ministères de souveraineté (Justice, Intérieur et Affaires étrangères) et du représentant du ministère de la Défense, dont la dernière réunion remonte à 2011. 

Officiellement, cette réunion devait aborder la sécurité intérieure et la protection des frontières. En réalité, le conflit libyen était au centre des discussions, au moment où des bruits de bottes se font insistants chez le voisin libyen, dont le territoire est en train de devenir le terrain d’une nouvelle guerre par procuration que se livrent de nombreuses puissances aussi bien régionales qu’internationales.

Une nouvelle escalade

L’aval accordé par le Parlement turc à l’envoi des troupes en Libye vient entériner l’intention de la Turquie, affichée depuis plusieurs semaines, d’entrer en action militairement pour soutenir le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj contre les troupes du général Khalifa Haftar. Ce qui fait craindre une nouvelle escalade dangereuse susceptible de déclencher un conflit régional.

Sans grande surprise, l’Algérie réaffirme son attachement à une solution diplomatique et pacifique en Libye

En effet, le général Haftar bénéficie du soutien de la Russie, de la France, des Émirats arabes unis (EAU) et de l’Égypte ; pays perçus par la Turquie comme des rivaux dans sa quête d’hégémonie en Méditerranée orientale. 

Il faut rappeler qu’un accord turco-libyen de délimitation maritime, conclu en novembre, a provoqué la colère de nombreux pays de la région, notamment la Grèce, Chypre, Israël et l’Égypte.

Les énormes gisements gaziers dans cette zone orientale de la Méditerranée font l’objet de convoitises de la part de tous. 

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Sans grande surprise, l’Algérie réaffirme son attachement à une solution diplomatique et pacifique en Libye et insiste sur une issue à la crise à l’abri des interventions étrangères. En effet, la position de principe de l’Algérie consiste à privilégier les solutions internes et à rejeter toute présence militaire étrangère à ses frontières.

Rappelons que l’Algérie et la Libye ont une frontière commune longue de près de 1 000 kilomètres.

« L’Algérie prendra dans les prochains jours plusieurs initiatives en faveur d’une solution pacifique à la crise libyenne, une solution exclusivement interlibyenne », a déclaré, jeudi 2 janvier, le ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum.

Mais les interventions étrangères en Libye ne commenceraient pas avec l’envoi par de troupes en Libye par Ankara, si cela venait à être confirmé. 

Alliance militaire  sous l’égide la Turquie ?

En effet, selon un rapport de l’ONU publié le 9 décembre, plusieurs groupes armés du Soudan et du Tchad ont participé durant l’année écoulée à des combats en Libye.

De plus, le rapport affirme que les deux parties du conflit ont reçu « armes et équipements militaires, appui technique et combattants non libyens » et cite nommément la Turquie, la Jordanie et les Émirats arabes unis comme des pays ayant systématiquement violé l’embargo sur les armes imposé à la Libye depuis 2011.

« Si Tripoli tombe, Alger et Tunis tomberont à leur tour »

- Fethi Bachagha, ministre libyen de l’Intérieur

En déplacement à Tunis le 26 décembre, le ministre libyen de l’Intérieur, Fethi Bachagha, a fait une déclaration pour le moins surprenante : « Il y a une grande coopération avec la Turquie, la Tunisie et l’Algérie, qui se concrétise dans une seule et unique alliance permettant de servir nos peuples et notre stabilité et construire une coopération économique sur la base de la coopération politique et sécuritaire. »

Cette déclaration sous-entendait qu’il existerait une alliance militaire sous l’égide la Turquie qui engloberait l’Algérie et la Tunisie.

En effet, dans ce qui s’apparente à une tentative de forcer la main aux deux autres pays maghrébins, le ministre libyen a ajouté : « Si Tripoli tombe, Alger et Tunis tomberont à leur tour ».  

L’armée algérienne se contentera de verrouiller la frontière

La présence, fin décembre, de deux frégates turques dans le port d’Alger a alimenté les spéculations sur une possible opération conjointe avec les forces navales algériennes.

Or, sur un plan strictement militaire, il est très peu probable que l’Algérie s’éloigne de sa doctrine en matière d’alliances, elle qui n’a jamais fait partie de pactes ou de coalitions militaires, d’autant plus que l’offre viendrait de la Turquie, pays membre de l’OTAN.

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Idem pour la non-intervention de ses forces hors de son territoire. L’armée algérienne se contentera certainement de verrouiller la très longue frontière qui sépare l’Algérie de la Libye et de limiter les risques d’infiltration d’armes ou d’hommes armés. La question de la sécurité aux frontières étant devenue une préoccupation majeure des autorités militaires algériennes depuis plusieurs décennies.

Ceci est d’autant plus valable que jamais les frontières du pays n’ont été aussi instables, tout particulièrement sur les flancs est (Libye) et sud (Mali).

Ayant longtemps été organisée et formée pour faire face à des conflits selon des schémas interétatiques, l’armée algérienne a, depuis une vingtaine d’années, commencé à revoir sa stratégie pour répondre à des menaces d’origine non étatique (terrorisme, crime organisé, prolifération et circulation d’armes…). 

À cet égard, le nouveau conflit qui s’annonce en Libye représentera pour l’armée algérienne une menace qu’on pourrait qualifier d’hybride.

Il s’agira à la fois d’une intervention militaire étatique, turque en l’occurrence, dont pourrait résulter une circulation accrue d’armes et d’hommes armés. D’autant plus que les troupes turques sont attendues en Tripolitaine, une région proche de l’Algérie. 

Les initiatives d’Alger

Le défi est de taille pour le chef d’état-major par intérim, Saïd Chengriha, qui vient de prendre ses fonctions à la tête de l’armée algérienne, quand on sait que celle-ci a été très exposée sur un plan interne depuis le mois de février 2019 et le début du mouvement populaire inédit qui secoue le pays.

La Tunisie, l’autre voisin commun avec la Libye, défend le même principe du refus de toute intervention étrangère

Sur le plan diplomatique, le ministère des Affaires étrangères algérien n’a pas donné des détails sur les initiatives qu’il envisage de prendre dans les prochaines semaines. 

Il y a quelques mois, une tripartite Algérie-Tunisie-Égypte avait été évoquée par l’ex-ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum.

Une initiative incluant l’Égypte paraît aujourd’hui caduque sachant que cette dernière, eu égard à son appui de plus en plus franc aux troupes de Haftar, est considérée comme partie prenante au conflit.  

Ce qui est certain, c’est que la Tunisie, l’autre voisin commun avec la Libye, défend le même principe du refus de toute intervention étrangère dans ce pays, privilégiant la voie du dialogue entre les belligérants libyens.

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Les deux pays iront-il jusqu’à lancer une initiative commune sur le front diplomatique ? Quelle en serait la portée quand on sait que, sur ce plan, l’initiative est souvent venue d’acteurs externes à la région (France, Allemagne, …) ?

En même temps, garde-t-elle des canaux de communication avec le général Haftar susceptibles de lui permettre d’initier une action de médiation ? Ces questions restent posées. 

La position de l’Algérie est pour le moins inconfortable. Bien qu’elle soit proche du Gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj, elle demeure opposée à toute intervention militaire en Libye.

Pour l’instant, elle se tient à équidistance entre les belligérants et ambitionne de jouer le médiateur afin d’éviter le conflit régional qui s’annonce.

Jusqu’où pourra-t-elle poursuivre ce jeu d’équilibriste ? Les prochaines semaines nous le diront. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Nourredine Bessadi est enseignant-chercheur à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, en Algérie. Il est en même temps traducteur et consultant indépendant. Il travaille sur les questions se rapportant au genre, aux politiques linguistiques, aux droits humains ainsi qu'à la gouvernance Internet. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NourredineBess1
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