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EXCLUSIF : Rami Makhlouf serait toujours en Syrie malgré une dispute avec Assad

Une source de MEE indique que le magnat des affaires et cousin du président syrien se trouve dans l’une de ses villas et n’a pas fui le pays contrairement à certaines informations
Le magnat syrien des affaires Rami Makhlouf, à gauche (capture d’écran), et le président syrien Bachar al-Assad (AFP)

Le magnat des affaires syrien Rami Makhlouf se trouve dans l’une de ses résidences en Syrie, malgré ses critiques publiques du président Bachar al-Assad, dissension rarement vue de la part d’un membre clé de la famille au pouvoir dans le pays, a appris Middle East Eye.

Makhlouf, qui est également le cousin d’Assad, est considéré comme l’un des membres du cercle intime du président syrien et contrôle un réseau de sociétés travaillant dans le pétrole, la construction, la banque, l’aérien et les télécommunications qui lui ont fait gagner une fortune estimée à plusieurs milliards de dollars.

Le 30 avril, Makhlouf a posté une vidéo sur sa page Facebook où il se plaint que le gouvernement syrien l’ait menacé du paiement d’une taxe et de demandes de licences télécoms de plusieurs millions de dollars, rappelant à Assad son soutien financier et son travail caritatif pendant les neuf années de la guerre civile en Syrie.

Les autorités syriennes auraient par la suite arrêté un certain nombre de cadres du géant des télécommunications Syriatel, une société de Makhlouf qui domine le marché du téléphone mobile dans le pays.

Makhlouf a réagi dans une seconde vidéo, se plaignant du « traitement inhumain » infligé lors des arrestations.

« Je connais personnellement Makhlouf, il n’ose pas défier l’État syrien. Ce qui m’amène à m’interroger sur la raison pour laquelle il fait cela »

- Source

Une source au fait de la politique interne du gouvernement syrien et du clan Assad a confirmé à MEE que Makhlouf se trouvait toujours dans l’une de ses villas en Syrie, en dépit des rapports le soupçonnant d’avoir fui aux Émirats arabes unis.

La source dit également croire que cette affaire est plus complexe qu’une simple « querelle intestine au sein du cercle intime d’Assad ».

Elle suggère que Makhlouf pourrait faire partie d’une intrigue bien plus générale et qu’il aurait été instrumentalisé soit par l’un des alliés de Damas pour accroître la pression sur le gouvernement syrien afin que ce dernier accepte une solution politique pour mettre fin à la guerre dans le pays, soit par Damas pour contrecarrer cette pression.

Pour l’heure, Makhlouf se trouve toujours en Syrie et n’a pas été arrêté », assure la source.

« Je connais personnellement Makhlouf, il n’ose pas défier l’État syrien. Ce qui m’amène à m’interroger sur la raison pour laquelle il fait cela. On parle d’un conflit portant sur 200 millions de dollars, ce qui n’est rien pour Rami, dont la fortune s’élève à plusieurs milliards de dollars. »

La source souligne que les enfants de Makhlouf possèdent des actifs tels que des villas, des voitures et des jets aux Émirats arabes unis valant à eux seuls « presque le montant que l’État syrien lui demande de payer ».

Les fils de Makhlouf, Mohammad et Ali, sont devenus des symboles notoires des fastueux excès associés à la famille.

En avril, Instagram a présenté des excuses pour avoir diffusé des images de Mohammad Makhlouf célébrant son anniversaire en isolement dans le cadre d’un message sur la pandémie de coronavirus.

« Que de l’argent »

Plus tôt ce mois-ci, le ministère syrien des Communications et de la Technologie a publié un communiqué ordonnant aux sociétés de télécommunications de Makhlouf, Syriatel et MTN, de payer des frais de licence s’élevant à 233,8 milliards de livres syriennes (422 millions d’euros) pour la période s’étendant entre 2015 et 2019.

Il ajoutait que les autorités fiscales syriennes montaient un dossier distinct contre ces sociétés de télécommunications pour évasion fiscale.

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Kamal Alam, analyste connaissant les dynamiques du gouvernement syrien, explique à MEE que Makhlouf pourrait être arrêté s’il ne cesse pas ses critiques.

« Ils vont lui parler… mais je ne pense pas qu’ils l’arrêteront publiquement pour l’instant, c’est trop tôt », estime-t-il.

« Mais s’il continue à poster sur les réseaux sociaux et qu’il ne paie pas, ils le feront et pourraient prendre ses actifs, ce qui le privera de son influence. »

Kamal Alam minimise les suggestions selon lesquelles la dispute entre Assad et Makhlouf montre de plus profondes divisions au sein de l’establishment au pouvoir en Syrie.

« Le gouvernement syrien ne vous autorise pas à être plus fort que lui, et Makhlouf n’a que de l’argent. Il y a d’autres personnes qui ont de l’argent en Syrie, il n’y a pas que lui », explique-t-il.

« Il n’a aucun rôle dans l’armée ni aucune popularité. Or, l’armée et les renseignements sont les institutions les plus puissantes en Syrie. »

Rester en Syrie pendant cette querelle pourrait être le meilleur moyen pour Rami Makhlouf d’assurer son avenir dans le pays, d’après l’analyste.

« S’il quitte le pays pour aller en vacances, ça ira. Mais s’il quitte le pays à cause de cette dispute, ce sera la fin et il ne pourra plus rentrer en Syrie. »

« Ils vont lui parler… mais je ne pense pas qu’ils l’arrêteront publiquement pour l’instant, c’est trop tôt »

- Kamal Alam, analyste

Makhlouf aurait contrôlé environ 60 % de l’économie syrienne avant que la guerre n’éclate en 2011 et sa richesse a été estimée à 5 milliards de dollars.

Il a été placé sur la liste des sanctions américaines pour son soutien au gouvernement de Damas et a été décrit comme « l’incarnation de la corruption en Syrie » dans un câble du département d’État de janvier 2008.

Le mois dernier, l’Arabie saoudite a découvert une planque contenant 44,7 millions de pilules d’amphétamines, connues sous le nom de « Captagon », introduites en contrebande dans le royaume depuis la Syrie dans un cargo portant le logo d’une compagnie de Makhlouf.

Cette répression vis-à-vis de l’empire de l’homme d’affaires intervient dans le cadre d’une initiative de lutte contre la corruption mise en place par Damas, à un moment où l’économie syrienne chancèle sous le poids des neuf années de guerre, des lourdes sanctions et de la crise économique au Liban voisin.

« Poursuivre Makhlouf est un élément de cette campagne, qui redorera l’image publique de Bachar al-Assad, lequel apparaîtra engagé dans la lutte contre la corruption, et montrera que personne n’est au-dessus des lois, pas même Makhlouf », affirme Kamal Alam.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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