INTERVIEW du négociateur en chef palestinien Saeb Erekat
Jéricho, Cisjordanie – Middle East Eye s’est entretenu avec le négociateur vétéran Saeb Erekat peu avant l’examen au Conseil de sécurité de l'ONU du projet de résolution fixant un calendrier pour la fin de l’occupation israélienne.
Erekat est un acteur des négociations israélo-palestiniennes depuis 1991, lorsqu’un ami lui aurait transmis une note de Yasser Arafat lui demandant s’il se joindrait à la délégation palestinienne à la conférence de paix de Madrid.
Il a participé aux négociations des accords d'Oslo avant de devenir, en 1995, le négociateur en chef palestinien, position qu’il a maintes fois abandonnée au fil des ans, mais qu’il occupe à nouveau à présent.
MEE : Vous avez récemment déclaré être sûr que les Etats-Unis n’opposeront pas leur veto à votre récent projet de résolution à l'ONU. Sur quoi basez-vous vos propos ?
Les Etats-Unis dirigent une coalition composée d’Arabes et de musulmans, et bombardent deux pays arabes et musulmans. Quelle serait la réaction des Arabes et des musulmans face à un veto américain refusant la reconnaissance d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967 ? Ce serait trop. Trop, car Israël et son comportement – la poursuite des activités de colonisation, le rejet d’une solution à deux Etats et les Palestiniens tués de sang-froid – sont en train de devenir un fardeau pour l’Europe, les Etats-Unis et toutes les nations civilisées.
Vous avez vu ce qui est arrivé au ministre palestinien portant un rameau d'olivier. C’est pour cela qu’un veto américain causé par les pressions du Congrès n’ira pas sans conséquence dans la région. Car lorsque vous luttez contre l'extrémisme, vous ne le combattez pas avec des flèches et des balles. Vous essayez d’assécher la source qui le nourrit.
Il me semble que les agissements d'Israël, tels que la colonisation, Gaza et les attaques contre al-Aqsa, constituent la principale source de munitions alimentant l'extrémisme dans cette région. Daesh est dirigé par un certain Abou Bakr al-Baghdadi, autoproclamé chef du Tanzim [organisation] de l'Etat Islamique. Israël est dirigé par un homme, Benjamin Netanyahou qui agit comme le chef du Tanzim de l'Etat juif. Alors, quelle est la différence entre quelqu'un qui met à genoux des journalistes occidentaux et leur tranche la gorge, et quelqu'un qui met à genoux un enfant [palestinien] appelé Abou Khdair, l’asperge d’huile et de carburant et le brûle vif ? Ou encore avec quelqu'un issu d'une famille de la classe moyenne supérieure de New York ou de Paris qui vient en Cisjordanie croyant que le fait de tuer des Palestiniens, brûler des arbres ou faire du mal aux Palestiniens, le rapprochera de Dieu ? Ce jeune homme, cette femme, retourneront dans leurs pays, seront vos voisins. Je ne sais pas. Voulez-vous d’eux comme voisins, à New York, à Tel Aviv ou à Paris ?
De tels phénomènes propres à l’humain, ces maladies de la bigoterie et du racisme, une fois sous votre peau, personne n’en est immune - Arabes, Juifs, Blancs, Noirs ou Chrétiens. Des personnes les ont justifiées, parfois par des raisons sociologiques, parfois par des raisons psychologiques ou économiques, et aujourd'hui un pays appelé Israël justifie cela sous le prétexte de la sécurité. Aujourd’hui, ils construisent 800 km de routes en Cisjordanie, et notez bien le terme : « routes stérilisées ». Stérilisées, que seuls les juifs peuvent emprunter. Stérilisées ! Observez ce terme. Des bus que les personnes de mon espèce ne sont pas autorisées à emprunter. Qu'est-ce que c'est ? Même si vous contrôlez l'ensemble des médias du monde, ignorer les faits ne signifie pas qu'ils n’existent pas. Quel sera l'impact réel de tout cela sur la société israélienne ? Qu’obtenez-vous ainsi dans cette région ?
MEE : Que répondez-vous à ceux qui vous disent qu'il est trop tard pour une solution à deux Etats ?
Voyez-vous, je leur dis que je suis né ici, à Jéricho, la plus ancienne ville sur terre. Elle est vieille de 10 000 ans. Elle fut brûlée, elle a vu se succéder des cortèges de rois et de dictateurs mais elle a survécu, pendant toutes ces années, et elle perdure. Je crois que les dirigeants israéliens qui insistent à appeler ma ville natale par son nom biblique Jeriho, ou Jérusalem Jerushalaim, et Naplouse Shraim, seront désignés par l'Histoire comme ceux ayant provoqué la destruction d'Israël. Je leur dis, nous avons, à juste titre, offert une solution à deux Etats dans les frontières de 1967, nous avons reconnu le droit d’Israël à vivre en paix et en sécurité, et nous avons accepté d'établir notre Etat sur les 22% restants de la terre, c'est-à-dire la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.
Malheureusement, depuis que nous avons signé ces accords, les gouvernements israéliens n’ont cessé de tenter de saper la solution à deux Etats. Dans l'esprit de Netanyahou, il est un concept que j’appelle « un Etat, deux systèmes ». Il croit que la responsabilité absolue de la sécurité revient à Israël, et que les Arabes devraient être une minorité jouissant de droits religieux et de droits d’investissement.
Lors de mes conversations avec mes collègues israéliens, y compris Ariel Sharon, je leur demandais de fermer les yeux et de m’accompagner dans une balade imaginaire allant du Jourdain à la Méditerranée en 2020. D’ici cinq ans, que voyez-vous lorsque les dirigeants deviennent politiquement aveugles, qu'ils se sentent autorisés à imposer leurs diktats parce que soutenus par 3 000 chars, 2 000 avions de combat, des armes nucléaires et le soutien aveugle du Congrès et du Sénat américains ? Je l’ai dit à Sharon et à Netanyahou : depuis qu’Eve a négocié avec Adam, je suis le négociateur le plus désavantagé de l'Histoire. Je n’ai ni armée, ni marine, ni aviation, ni économie. Mon peuple est fragmenté. Alors qu’allez-vous faire de moi ? Les chrétiens et les musulmans de cette terre ne se convertiront pas au judaïsme et ne deviendront pas israéliens, car vous n’avez pas encore décidé ce qui définit un juif, et les juifs n’ont pas pour habitude de se convertir à l'islam ou au christianisme et de devenir palestiniens. Alors qu’allez-vous faire de moi ? Je ne suis pas en train de vous faire une faveur. Je veux vivre et laisser vivre. Que répondez-vous à cette logique ? Que dites-vous à ce leadership ? Aux Palestiniens qui émergent avec courage ?
J’ai découvert qu'ils ne voulaient pas de personnes comme moi. Ils veulent des extrémistes palestiniens qui puissent passer à la télévision, qui puissent dire quelque chose contre les juifs, pour l’enregistrer et ensuite prétendre qu’ils n’ont pas de partenaire palestinien. Que me font-ils depuis les vingt dernières années ? Ils m’attachent les mains et les jambes, me jettent à la mer et me demandent de nager. « Il se noie », crient-ils par la suite, « il ne peut être notre partenaire ! ». Ils ont systématiquement tout fait pour affaiblir les Palestiniens modérés. En fin de compte, je ne sais pas à qui sert tout cela.
MEE : Pensent-ils qu'ils s’en sortiront impunément ?
Ils ne peuvent pas. Ils ne s’en sortiront pas impunément. Sur cette terre, vous ne pouvez pas vous en tirer comme ça. Et les juifs devraient savoir qu'ils ont toujours vécu en Orient avec nous. Nous n’avons jamais tué et brûlé des juifs puis rentrés chez nous pour écouter du Beethoven. Nous n’avons jamais fait cela. De telles idées diaboliques n’ont même jamais été pensées dans cette région. Alors à nous traiter de cette façon, comment peuvent-ils s’en tirer ? Comment pouvez-vous vous en tirer avec ces comportements ? Mais l’aveuglement politique est capable du pire. Nous l’avons vu à travers l’Histoire, l’aveuglement politique est une maladie.
MEE : Croyez-vous que l'opinion de la communauté internationale est en train de changer ?
Bien sûr. Que font les parlements européens ? Que disent-ils à Israël ? Ils lui disent : « ça suffit ! Nous n’allons plus tolérer de telles politiques. Nous vous avons reconnus, soutenus et armés, mais nous ne pouvons continuer comme à l’accoutumée ». C’est le message principal. Les Israéliens tentent de manœuvrer derrière le dos des Européens en s’adressant au Congrès et au Sénat américains. Le Congrès et le Sénat sont à 10 000 kilomètres d'ici et, en fin de compte, l'Amérique aussi est une superpuissance et a ses propres intérêts dans la région. Toutes les guerres de ces vingt dernières années se sont déroulées dans cette région. Alors, que voulez-vous ?
Et à ceux qui disent qu'Israël est là pour protéger les intérêts occidentaux, je demande : Quels intérêts ? La coalition contre l'Afghanistan ? Les pays exclus de la coalition étaient la Corée du Nord, l'Iran, la Libye et Israël. La coalition contre Saddam Hussein ? La Corée du Nord, la Libye, l'Iran et Israël étaient exclus. La coalition contre Daesh, le pays exclu est Israël. Je suis sûr qu’en Occident, au Pentagone et à la CIA, il y a des gens qui pensent à ce sujet : « Entendez-vous ces clameurs qui résonnent si fortement ? ». Bien sûr, très bientôt, vous l’entendrez, dans les universités américaines, les institutions de recherche, chez les citoyens et les milieux d’affaires. Les Saoudiens ont mis en place une initiative de paix arabe, vous demandant de vous retirer aux frontières de 1967 en échange d’une reconnaissance arabe. Qu’y a-t-il de mauvais là-dedans ? Non, je ne pense pas qu'ils puissent s’en tirer.
MEE : Pouvons-nous éclaircir la question de l’adhésion à la Cour pénale internationale (CPI) ? L'Autorité palestinienne donne l'impression que l’accession au traité de Rome n’est qu’un outil de négociation. Est-ce vrai ?
Non.
MEE : La justice devrait être la justice, pas de la politique.
La justice c’est la justice et les gens n’ont pas idée des efforts fournis par mon équipe et moi-même pour préparer la Palestine à l’adhésion à ces conventions et protocoles. Vous savez quel était le statut de l'OLP à l'ONU avant 2012. Nous avons fait une tentative d’adhésion à la CPI en 2009, elle a été rejetée. C’est pourquoi nous avons eu l'idée de proposer le statut d'Etat non-membre. Il n’existe rien de tel dans la charte des Nations unies. Nous nous sommes inspirés des tentatives d’adhésion qui avaient eu lieu durant les années 1950, auxquelles Soviétiques et Américains apposaient leur veto à tour de rôle. Il y avait une compétition de vetos. Nous avons réussi à obtenir un statut d'Etat non-membre qui, juridiquement parlant, nous qualifie à adhérer à la CPI. Or, dans le processus d'adhésion à la CPI, la Palestine devait devenir membre des Hautes conventions contractantes. Nous l'avons fait en avril. Les conventions de La Haye. Il y a vraiment de très nombreuses choses auxquelles nous sommes censés adhérer. Dans le cas de l'adhésion à la CPI, nous avions besoin d'obtenir les signatures de toutes les factions palestiniennes car, selon l'article 12.3, nous devons produire une déclaration de compétence. Et j’avais à obtenir les signatures du FPLP, du FDLP, du Fatah, du Hamas, etc.
MEE : Mais vous avez les signatures maintenant.
Sauf celle du Djihad [islamique], mais cela ne pose pas de problème. Ce que j’essaye de vous dire, c’est qu’il s’agit d’un long processus. Les choses ne se réalisent pas par le simple fait qu’on vous les demande.
MEE : Quand ?
Pour être honnête avec vous, je l’ignore. Cela pourrait être aussi tôt que la semaine prochaine.
MEE : Et cela ne dépend d’aucun autre facteur ? Ne s’agit-il pas d’une carte que vous jouez ?
C’est quelque chose qui devra se produire de toute façon, car nous avons pleinement le droit de défendre notre peuple, et ni moi, ni le président Abbas ne voulons de nouvelles attaques sur Gaza, comme celles auxquelles nous avons assisté l'été dernier. Cela dit, en même temps, nous pesons les conséquences de tels actes, car ils devraient être assortis de la redéfinition des relations israélo-palestiniennes. Cela signifierait qu'Israël devienne puissance occupante et soit entièrement responsable de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est. Quel sont les dommages collatéraux ? C’est ce que nous étudions aujourd'hui. Donc, il ne s’agit pas de s’assoir et donner une interview à Ramallah, avec les élites qui vous disent de faire ceci et cela.
MEE : Quels sont les dégâts collatéraux ?
Nous avons vraiment de nombreuses questions à traiter. Nous avons entre 150 000 et 180 000 employés, en plus des forces de sécurité et des universités dont nous devrons nous occuper. Nous n’allons pas adopter une attitude suicidaire face à ces enjeux. Nous visons à internationaliser le problème. Ces étapes sont censées ramener la Palestine sur la carte, non pas à la faire dérailler, non pas à interrompre le processus de création de la Palestine. Cela demande donc beaucoup de réflexion et beaucoup de papier. Dire aux gens ce qu'ils aiment entendre est une chose, leur dire ce qu'ils devraient entendre est une question de leadership.
MEE : Vous pourriez perdre tout votre argent en rejoignant la CPI ?
Cela n’a aucune importance car Israël collecte 100 millions de dollars de nos impôts. Vous savez, avant 1992, j’étais l’enfant de cette ville aussi. Il y avait un commandant militaire [israélien] responsable de la municipalité, de l'école, de l'hôpital. Israël était le seul responsable. Mais nous avons de vraies préoccupations avec l'appareil de sécurité, et bien d'autres questions encore sur lesquelles nous travaillons.
MEE : Quelle est votre position face à la menace de suspendre la coopération en matière de sécurité ?
Ce n’est pas une menace. L’Autorité palestinienne est née suite à un contrat passé avec Israël. Nous avons nos obligations. Ils ont les leurs. Jéricho est située en zone A. L'armée israélienne n’est pas censée entrer ici. Pourtant ils peuvent venir dans mon bureau et le fouiller s’ils le souhaitent. Ils peuvent venir vous arrêter. Selon les accords conclus, ils ne sont pas censés faire ça, ils n’honorent pas leurs engagements pris dans le cadre des accords d'Oslo. Donc, si vous n’honorez pas vos engagements, ne comptez pas sur nous pour honorer les nôtres. Car de quelle autorité jouissons-nous ?
Netanyahou a une stratégie à trois dimensions. Un, il veut que l’Autorité palestinienne survive mais sans aucune autorité, et il a réussi. Deux, il veut une occupation sans coût. Trois, il veut une bande de Gaza hors du ressort de la Palestine, car il sait qu'il n'y a pas d'Etat palestinien à Gaza et pas d’Etat palestinien sans Gaza. C’est pourquoi il a mené une guerre contre la bande de Gaza, contre l'unité nationale, parce qu'il veut faire dérailler une chose : l’Etat palestinien. Son cauchemar c’est l’Etat palestinien. Il est né pour détruire la solution à deux Etats. C’est sa mission dans la vie.
Comment gérez-vous cela ? En demandant à Israël, la puissance occupante, de reprendre pleinement ses responsabilités. C’est pourquoi la coopération en matière de sécurité n’a pas lieu d’être. Nous n’en sommes plus là. Il ne s’agit pas, comme certains le disent, d’un avertissement. Il s’agit de l’existence ou de la non-existence de l'Autorité palestinienne, parce que l'Autorité palestinienne, qui a été créée pour conduire les Palestiniens de l'occupation à l'indépendance, n’existe plus. Aujourd’hui, si le Président Mahmoud Abbas veut se rendre à Amman, il doit obtenir la permission du lieutenant [israélien] de Beit-Il, on lui octroie parfois deux ou trois voitures. C’est la vérité. Et c’est pareil pour moi.
MEE : Tous vos mouvements sont surveillés ?
L’essentiel de nos vies est sous leur contrôle. Légalement, territorialement, en matière de sécurité, de fonctionnement des institutions, tout, et je ne le nie pas. Je suis l’Autorité palestinienne sans aucune autorité. Je garantis à Israël une occupation sans frais, et c’est pourquoi je dis aux Américains : le statu quo ne peut plus durer. Stop. Nous ne sommes plus viables.
MEE : Donc, vous allez rejoindre la résistance ?
La question n’est pas de rejoindre ceci ou cela. Tant que l'occupation perdure, la résistance existera. Si les Israéliens continuent de tuer notre peuple, comme ils ont tué [le ministre] Abu Ein, il y aura une troisième, une quatrième, une cinquième et une dixième Intifadas. Si quelqu’un doit se regarder dans la glace lorsque des Israéliens et des Palestiniens sont tués, c’est bien le Premier ministre et le ministre de la Défense israéliens. Ce sont eux les responsables, ainsi que ceux qui les soutiennent aveuglément à Washington, au Congrès et au Sénat. Cette situation ne peut plus durer comme ça.
Vous savez, les Etats-Unis devraient se déclarer isolationnistes s’ils continuent d’apporter leur soutien aux activités de colonisation israéliennes. Un jour James Baker m'a dit : « Reconnaissez Israël, rejoignez-nous et vous aurez votre mot à dire ». Nous avons pleinement respecté tous les engagements qui nous ont été demandés. Au Congrès ou au Sénat, ça a toujours été ma parole contre celle des Israéliens. Or, je n’ai pas d'argent pour financer vos campagnes électorales. Je n’ai pas d’électeurs à vous apporter. Je ne dis pas que la vie est une question d'équité et de justice. Nous essayons de créer une solution à deux Etats parce que, honnêtement, quand on y pense, la solution à un seul Etat n’existe pas. Il y a la réalité d’un seul Etat. Il y a l'apartheid. Mais la vraie solution maintenant est celle de deux Etats sur les frontières de 1967.
MEE : Si vous vous asseyiez autour d'une table avec Isaac Hertzog comme Premier ministre pour reprendre les négociations, accepteriez-vous encore les principaux blocs de colonies ?
Je ne peux pas accepter les colonies, en aucune circonstance.
MEE : Retour immédiat au tracé de la ligne verte ?
Les colonies sont illégales. Une fois qu'ils nous auront reconnus comme Etat palestinien, que nous aurons recouvré notre souveraineté. Les nations souveraines ont le droit d’appliquer le principe d’échange de terres. La Jordanie et l'Arabie saoudite ont échangé 29 000 kilomètres carrés en 1965, ainsi firent le Pérou et l'Equateur, le Canada et les Etats-Unis, le Mexique et les Etats-Unis. Nous ne pouvons pas nous engager dans l'un de ces processus sans qu’Israël ne nous reconnaisse comme entité souveraine et indépendante. S’ils nous reconnaissent, nous pouvons nous engager dans un processus d’échange de terres. Avant la reconnaissance, comment serait-ce possible ?
La question est de savoir pourquoi Israël envoie tous les émissaires possibles pour inciter les parlements européens à ne pas reconnaître la Palestine comme Etat. Pourquoi Israël utilise tous les chanoines possibles pour saper le vote d’une résolution du Conseil de sécurité appelant à une solution à deux Etats ? Nous sommes censés négocier avec Israël pour parvenir à un retrait israélien des terres palestiniennes, non pas pour discuter de notre autodétermination. Notre autodétermination n’est pas négociable. C’est ce qu'on appelle l'autodétermination, pas le droit d'Israël à autoriser ou non les Palestiniens à déterminer leur avenir. Ils ont le pouvoir médiatique, l'argent et ainsi de suite. Ils vont employer leurs moyens d’extorsion, leurs politiques mafieuses et ainsi de suite. Que m’importe ? Nous sommes une réalité sur cette terre. Donc, la question qui devrait leur être posée est : quand vous aurez fini de saboter la solution à deux Etats, quelle est votre prochaine étape ? Que se passe-t-il le lendemain ?
MEE : Que répondez-vous à ceux qui disent que les Palestiniens n’ont pas de chef ?
Précisez votre question.
MEE : Qu'ils ont perdu confiance en l’Autorité palestinienne.
Je ne m’impose pas à ces Palestiniens. Ici c’est ma circonscription. J’ai été élu à deux reprises en 1996 et en 2006 par 57% des voix. Seulement. Dans cette circonscription, 43% des gens ont voté contre moi. Je me représente, et c’est pourquoi je dis au Hamas, le parti politique palestinien, je ne peux pas vous exclure, mais quand nous avons des différends, nous recourrons aux bulletins de vote, pas aux balles. Et le Hamas doit accepter cela. C’est notre Magna Carta. Quand nous ne sommes pas d’accord, nous retournons aux bulletins de vote, pas aux balles. Donc, pas de chef ? Cela fait partie de la propagande d'Israël. Ils ne reconnaissent ni la résolution 242 ni la résolution 338. Nous avons organisé des élections et avons élu Arafat. Et maintenant Abou Mazen [Mahmoud Abbas] a été élu président et nous avons été élus membres du conseil. J’ai été élu au comité central du Fatah. J’ai été élu pour chacun des postes que j’ai occupés. C’est la vérité. Je suis passé par quatre élections au cours des quatre dernières années. Et après ça ils viennent me dire qu’ils n’ont pas de chef. Alors je leur dis… .
MEE : Ils ne parlent pas de vous, ils parlent d’Abou Mazen.
Non, non. Abou Mazen a été élu comme mon président. Il a été élu par 62% des voix.
MEE : Ils vous considèrent plus actif que lui.
Je travaille pour lui. Je suis dans la même équipe et le même parti. Mais Abou Mazen a été élu par son peuple. Ce sont des prétextes. Même si Mère Theresa devenait présidente de la Palestine, Montesquieu chef du parlement palestinien et Thomas Jefferson Premier ministre, et qu’ils défendaient la solution à deux Etats sur les frontières de 1967, nous aurions toujours des voix en Israël pour les accuser d’affinité avec Ben Laden et d’être des terroristes et des non-partenaires. C’est la maudite vérité. Toute personne dotée d’une certaine décence le sait, et ceux qui ont choisi de se taire sont ceux-là mêmes qui s’opposent à la solution à deux Etats.
Ce monde est divisé entre ceux qui sont pour la paix et ceux qui sont contre. Arabes et musulmans sont prêts à reconnaître Israël et à échanger des ambassadeurs immédiatement si les Israéliens se retirent jusqu’aux frontières de 1967. Je dis aux Israéliens : mon option est une solution à deux Etats, mais si vous insistez à appeler ma ville natale Jeriho, Jérusalem Jerushalaim, et à m’appeler Ma Erekat, je vous invite alors à venir me parler. Je ne suis pas raciste. Je n’ai rien contre les juifs. Le judaïsme ne constitue pas une menace pour moi. C’est la vérité. Chrétiens, musulmans et juifs ont vécu sur cette terre pendant des siècles.
MEE : Mais le sionisme est une menace pour vous.
C’est une menace parce qu'ils occupent ma terre. Ils veulent continuer à jouer le rôle du maître ; je ne peux pas vivre avec un maître. Je suis un homme libre et je veux ma liberté. Alors si c’est ce qu’ils veulent, qu'ils viennent me parler. Alors ils me disent, « Oh vous, les Palestiniens, vous portez atteinte à la nature juive d'Israël ». Je leur réponds que je les reconnais, deux Etats. Mais ils répondent « Non non non. Nous devons construire des colonies ». Je leur dis : « Si vous voulez un seul Etat, alors ce sera une personne, un vote ». Ils disent « Oh vous portez atteinte à la nature juive d'Israël ». Je leur réponds que je ne peux pas vivre dans leur système d'apartheid. Je ne peux pas continuer à porter une carte d'identité verte, alors que vous, Israéliens, portez une carte d'identité bleue. Je ne peux pas continuer à conduire une voiture avec une plaque d'immatriculation de couleur blanche, alors que celle d’Israël est jaune. Ce n’est pas acceptable que je me fasse arrêter à un barrage routier parce que ma plaque est blanche, alors que vous, qui avez une plaque jaune, avez le droit de passer.
Que veulent-ils ? Ce n’est pas à moi de répondre à toutes ces questions. C’est à eux d’y répondre. Je vous l’ai dit, comme je l’ai dit à Sharon, depuis les temps où Eve négociait avec Adam, je suis le négociateur le plus désavantagé de l'Histoire. C’est vous seuls qui possédez 300 chars, 2 000 avions de combat et des armes nucléaires. C’est vous qui jouissez de l’appui du Congrès et du Sénat américains. Mais qu'allez-vous faire de moi le lendemain ? C’est la question que je pose aux Naftali Bennetts, aux Netanyahous. Qu'allez-vous faire de nous ?
MEE : Pensez-vous que cette élection fera une différence ?
Je ne sais pas, et ça ne me regarde pas. Ce qui m’importe ce sont mes élections. Et je sais que, si je suis élu, je suis sans chef, et que si je ne suis pas élu, je ne suis pas leur partenaire. Quelqu'un avec un QI de 3 sera en mesure de comprendre cela et d’écrire sur ce sujet correctement. Pourquoi les gens aux Etats-Unis choisissent de ne pas le voir ? Ils le voient mais décident de l’ignorer. Dans l’intérêt de qui ? Servent-ils les intérêts israéliens ? Non, ils ne servent pas les intérêts d'Israël.
MEE : Est-ce la fin des négociations ?
Les négociations ne sont pas une fin en soi. Ce sont un instrument civilisé utilisé par les êtres humains pour régler toutes sortes de questions. Le problème est qu’Israël a utilisé les négociations comme un outil. Il y a une différence entre être un négociateur coriace et un non-négociateur. Malheureusement, de nombreux négociateurs israéliens maîtrisent l’art de la non-négociation. Ils veulent m’assener leurs volontés. Ils pensent que dans ma situation de faiblesse, ils peuvent m’ordonner : « Venez ici, mon garçon, et si vous n’aimez pas cela, nous dirons à David Hearst [rédacteur en chef du Middle East Eye] que Ben Laden est votre mère ». De tels chantages et diktats ne mèneront pas à la paix car dans toute négociation, il ne faut jamais mettre la partie adverse dans une position où elle n’a rien à perdre. Les Israéliens ont réussi à faire cela avec moi. J’ai un stylo. Je vais signer des choses qui seront acceptables pour mon peuple. Ils ont fait deux choses. Ils ont vraiment réussi à mener une énorme campagne contre moi en diffusant des rumeurs sur les concessions que nous avons faites.
MEE : C’est venu des Israéliens ?
Absolument.
MEE : Vous voulez dire que les documents palestiniens [publiés par Al-Jazeera en 2011] provenaient des Israéliens ?
Si vous lisez les documents d’Al Jazeera, vous verrez que nous nous conformons au droit international. Arrêtez cette campagne contre moi. Quand les gens ont examiné ces documents, ils ont vu qu'il n'y avait rien de mal. Le sensationnalisme jette le discrédit. Israël a lancé des rumeurs au sujet de mes soi-disant relations sexuelles avec Livni. Ils tentent tout ce qu’ils peuvent, mais la vérité est la vérité. Rien ne peut changer cela, et ceux de mon peuple qui veulent nous discréditer pour de nombreuses raisons qui leur sont propres, ils exploitent tout ce que dit Israël. Mais au final, avec un taux d'alphabétisation pour les Palestiniens avoisinant les 99%, je ne me fais pas de souci. Ils peuvent vous haïr pendant cinq minutes, puis ils réfléchissent et quand ils ont réfléchi ils voient que je suis correct.
MEE : Etes-vous, et l'Autorité palestinienne, conscients de la frustration du peuple palestinien concernant une quelconque solution ?
Nous faisons partie du peuple palestinien. Nous avons des épouses, des fils, des filles et des voisins.
MEE : Vous êtes des leaders.
Mais nous sommes des leaders qui vivent avec notre peuple. La semaine dernière par exemple, samedi j’étais à Jénine, lundi à Hébron, mardi à Bethléem et jeudi j’assistais à l'enterrement du ministre Abu Ein. Je suis là, avec les gens. Je suis l'un d'eux.
MEE : Mais les gens veulent des solutions concrètes...
Oui, mais quel tort ai-je commis qui aurait empêché d’apporter une solution ?
MEE : La fuite de votre conversation téléphonique aux médias est devenue virale. Parce que les gens voulaient que quelqu'un dise la vérité et ils ont commencé à accuser Saeb de changer de bord.
Mais Docteur Saeb travaillait pour la Palestine, il est né pour être un soldat de la Palestine, avec une mission dans la vie, celle de créer un Etat palestinien à côté d'Israël. Donc, je le dis en arabe. Je le dis en anglais. Je le dis en Israël, en Amérique, à Londres et à Nazareth avec les mêmes mots. C’est moi. Aujourd’hui et maintenant, quand je dépose une motion à l'Assemblée générale, 166 nations me soutiennent. Sommes-nous un pays donateur ? Pourquoi les Européens nous soutiennent au sein de leurs parlements, au Conseil des droits de l'homme à Genève avec 47 membres ? La dernière motion déposée a récolté 46 voix pour et une seule contre. Donc, ça fonctionne. Notre politique fonctionne. Nous sommes en train de gagner. Depuis 1948, nous n’avons jamais été autant soutenus par la communauté internationale que nous ne le sommes aujourd’hui. Et pour moi, ceux qui ne veulent pas voir cela, ils agissent pour marquer des points, pour pointer des doigts accusateurs, ou ce sont des gens qui ne veulent pas d’un Etat palestinien. A quand remonte la dernière fois qu’une motion déposée à l'Assemblée générale obtenait 166 votes sur 193 ? C’est ce que nous avons réalisé la semaine dernière.
MEE : Mais pour l’instant, cet Etat palestinien ne sera qu’un Etat virtuel.
Oui, mais nous étions censés être rayés de la carte. La déclaration Balfour a accordé aux 8% de juifs sur cette terre le droit à une nation, et a désigné les 92% de musulmans et de chrétiens restants comme une minorité non-juive de Palestine jouissant de droits religieux. C’est une question de conscience. Si les gens perdent leur conscience, ils sont capables du pire. Les gens pensent que la realpolitik c’est perdre sa conscience, perdre sa décence et son humanité. C’est le mal de l'Homme, à travers l'Histoire. Les Allemands brûlaient des gens, des femmes et des hommes vivants, puis retournaient à leurs épouses pour écouter du Beethoven. Qu’y a-t-il de plus diabolique que cela ? Et les Israéliens qui sont allés sur les plateaux de télévision pour accuser le ministre Abu Ein d'être un criminel, ils pourraient également avoir bu du champagne et écouté de la musique après. C’est bien le danger qui guette leur société, leurs mères et leurs pères. Si je tolère les Palestiniens qui appellent à « tuer des juifs, des juifs, des juifs », si je me tais, alors je commets le plus grand crime contre mon peuple, car aujourd'hui ce sont les juifs, mais demain, qui allons-nous haïr?
Il faut être tolérant. Les gens ne choisissent pas qui ils sont. Nous sommes nés pour ce que nous sommes et, dans cette partie du monde, les gens fréquentent les synagogues depuis 5 700 ans. Chaque samedi, ils disent et entendent la même chose, et croient qu'ils le disent et l’entendent pour la première fois. Je ne peux pas changer une seule virgule de leur croyance et de leur foi. Juste à côté, vous avez des gens qui fréquentent les églises depuis 2 000 ans. Chaque dimanche, ils disent la même chose et croient qu'ils le disent pour la première fois. Je ne peux pas changer un seul mot de leur croyance. Plus loin dans la rue, des mosquées sont fréquentées par des fidèles depuis 1 433 ans. Chaque vendredi, les musulmans disent la même chose. Je ne demande à personne de se convertir à la religion de l'autre. Tout ce que je demande c’est : pouvez-vous respecter l'autre ? C'est tout. Je ne vous demande pas, David, de devenir musulman. Je vous demande de respecter ce qu'ils font le vendredi, de sorte que je puisse respecter ce que vous faites le samedi et le dimanche.
MEE : Qu'est-ce qui va arriver à Jérusalem-Est ?
Tout d'abord, les Israéliens ne veulent pas que les 320 000 Palestiniens deviennent israéliens. Croyez-moi. Et la Palestine n'a pas de sens sans Jérusalem comme capitale. Jérusalem-Est est un territoire occupé autant que Rafah, Jéricho, Bethléem, Hébron et Naplouse.
Voyez-vous, si les Israéliens continuent avec leurs politiques d'assassinat, leurs exactions à al-Aqsa et leurs activités de colonisation, nous nous dirigeons vers une troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième Intifadas, comme l’a dit récemment, à juste titre, sa Majesté le Roi Abdallah à Washington. En 1993, les Palestiniens portaient des fleurs et des roses, disaient au revoir à l'armée israélienne, tels des voisins. J’espère que les Israéliens vont choisir de devenir nos voisins. J’espère que tel sera leur choix. Qu’ils le fassent ou pas, c’est à eux d’en décider.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].