EN IMAGES : Le lac de Salda détient-il la clé de la vie sur Mars ?
Surnommé « les Maldives turques » en raison de ses eaux azur et de ses vastes rives blanches, le lac de Salda, dans la province de Burdur (sud-ouest de la Turquie), recèle bien plus de choses que ce qui s’offre à nos regards. En raison de sa composition minérale et de sa géologie, ce lac d’origine tectonique unique en son genre ressemble au cratère de Jezero sur Mars, selon la NASA, qui se prépare à utiliser cette constatation dans leurs recherches. (Crédit photo : NASA)
Le lendemain du lancement de la mission « Mars 2020 » le 30 juillet, le NASA Earth Observatory a annoncé que « les chercheurs utilis[aient] leur compréhension du lac de Salda [ci-dessus] pour guider la mission Mars 2020, qui déposera le rover Perseverance [surnommé « Percy »] dans le cratère à la recherche de signes de vie passée. »
Jezero, un « ancien cratère d’impact » de 45 km de large situé au nord-ouest d’un plus grand bassin d’impact sur la planète rouge est remarquable, d’après la NASA, parce qu’il contenait autrefois un lac, comme en témoignent les dépôts deltaïques. « Il se trouve que le lac de Salda est le seul lac connu sur Terre qui contient des carbonates et une sédimentation semblables à ceux trouvés dans le cratère de Jezero. » (MEE/Nimet Kirac)
Le directeur des études en coopération avec la NASA sur le lac de Salda, le professeur Nurgül Çelik Balcı, rappporte à Middle East Eye que « jusqu’à présent, Perserevance a déjà recueilli des données sur Mars sept ou huit fois », faisant observer que le voyage actuel ramènera des matériaux provenant du mystérieux paysage martien à comparer avec celui de notre propre planète.
« Le microbiote du lac [de Salda] aidera à rechercher des traces de vie passée sur Mars », assure le professeur Balcı, tout en présentant des exemples de microbiote qui se développe sur les carbonates (ci-dessus).
La NASA prévoit que le rover atterrira sur Jezero d’ici la mi-février et le professeur Balcı est optimiste quant au fait de bientôt « être en mesure de comparer les échantillons et avoir une meilleure compréhension des choses dans notre quête pour trouver des signes de vie passée ». (Département de géologie de l’Université technique d’Istanbul)
Les carbonates riches en magnésium fondent la ressemblance entre les lacs des deux planètes, bien qu’ils proviennent de périodes légèrement différentes, selon Balcı. « Nous savons que les roches de Jezero se sont formées il y a environ 3,5–4 milliards d’années. La formation de Salda remonte quant à elle à environ 2 millions d’années », explique le professeur « Ici, nous cherchons des corrélations significatives [entre deux planètes]. » (MEE/Nimet Kirac)
Lac le plus profond de Turquie (185 mètres en certains endroits), Salda est un « laboratoire naturel » géant unique en son genre, assure Balcı, à un moment où les chercheurs sont en quête de réponses aux curiosités extraterrestres de l’humanité.
Bien qu’il existe des formations naturelles en Australie et au Canada similaires sur le plan de la structure organo-sédimentaire, les stromatolithes, Salda est particulièrement semblable à Mars sur le plan pétrographique – en d’autres termes, semblable dans la façon dont ses roches ont été formées. « Il y a un équilibre écologique à ce lac… Nous devons le préserver du mieux que nous pouvons », indique Balcı. (Professeur Nurgül Çelik Balcı)
En plus d’être une anomalie scientifique, le lac de Salda est également une destination touristique populaire en Turquie. Les visiteurs se rendent vite compte que ce n’est pas un lac normal, car les épais dépôts deltaïques signifient que la composition du lit du lac est plus dense que ce que l’on trouve d’habitude. Malgré son surnom de « Maldives turques », la texture du sol le long de la rive ressemble davantage à un ciment durci qu’à du sable blanc, avant que l’eau claire le transforme en argile.
« C’est bizarre », estime Yasin Yakin, de la province voisine d’Isparta, immortalisé sur la photo ci-dessus, les jambes s’enfonçant dans le sol. « J’ai eu du mal à sortir. » Pour Cemile, sa compagne, le lit du lac donne l’impression de marcher sur de la pâte à modeler mouillée. « On est rapidement piégé. Ce n’est pas amusant. » (MEE/Nimet Kirac)
Mais cela peut aussi être particulièrement dangereux. Des habitants du village de Salda ont rapporté à MEE qu’il y avait eu un certain nombre de noyades dans le lac. Le 3 août, un garçon syrien de 13 ans s’y est noyé et ce n’était pas la première fois qu’une telle chose se produisait selon les habitants. Le ministre turc de l’Environnement et de l’Urbanisme Murat Kurum a récemment interdit la baignade dans les touristiques « îles Blanches » de Salda. (MEE/Nimet Kirac)
Les écologistes, y compris les organisations internationales et locales de préservation de l’environnement, ont demandé à ce que des restrictions soient imposées à l’entrée du site, qui a gagné en popularité ces dernières années. Le nombre de voitures pénétrant sur la « plage blanche » le week-end tend à atteindre les milliers. De nombreux habitants sont également mécontents de cet intérêt soudain, qui, selon eux, est alimenté par les réseaux sociaux.
À la fin de l’été, le gouverneur de Burdur, Ali Arslantaş, a annoncé que des mesures étaient prises pour limiter le nombre de visiteurs sur le site, après avoir rencontré des responsables locaux, des membres d’ONG, des universitaires et des représentants du secteur touristique. (MEE/Nimet Kirac)
Le tourisme a entraîné la destruction de Salda, un site naturel protégé depuis 1989. Début août, les autorités ont délimité des zones creusées par les visiteurs qui voulaient se baigner dans l’argile après que les médias locaux ont critiqué la situation sur le site patrimonial, ce qui a incité le bureau du gouverneur à annoncer que les touristes qui voleraient de l’argile à Salda seraient condamnés à une amende.
Mais la baignade reste une préoccupation environnementale mineure par rapport aux plans de l’entreprise publique de construction, qui veut bâtir un centre de loisirs surnommé le « Jardin de la nation » sur deux sites distincts autour du lac. (MEE/Nimet Kirac)
Selon Gazi Osman Şakar, fondateur et président du groupe local de sauvegarde Protect Lake Salda, ce projet incitera les visiteurs à passer plus de temps au bord du lac, ce qui constituera une menace écologique, et devrait être abandonné. « Ils devraient consulter les scientifiques sur ce sujet », estime Şakar, qui a déposé plainte avec quatre habitants contre le ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme.
L’appel d’offres, d’une valeur de plus de 21 millions de livres turques (2 800 000 dollars), a rapidement fait l’objet d’une controverse politique et a été critiqué par le principal parti d’opposition (Parti républicain du peuple, CHP) ainsi que par divers groupes écologistes (dont Don’t Touch My Salda Lake, une initiative locale lancée en 2019). Bien que l’appel d’offres ait été brièvement reporté en août 2019, il a ensuite été approuvé par un tribunal administratif et en avril, des véhicules de construction ont été surpris en train de transporter de l’argile blanche entre les rives, déclenchant des manifestations. (MEE/Nimet Kirac)
« S’ils construisent un Jardin de la nation ici et attirent plus de visiteurs, cet endroit finira par ressembler à Uzungöl », déclare Cennet Yildiz, un visiteur originaire de la province occidentale d’Usak, en référence au lac naturel situé dans la province de Trabzon, sur la mer Noire, maintenant entouré de structures artificielles et d’hôtels. « C’est triste d’avoir perdu Uzungöl à cause des constructions », déplore-t-il. (MEE/Nimet Kirac)
La région des lacs de Burdur, et Salda en particulier, est également un lieu privilégié pour les photos de mariage, situé à 1 193 mètres au-dessus du niveau de la mer et niché dans des vallées entourées de forêts. Un couple de jeunes mariés d’Artvin, province du nord-est sur la mer Noire, explique que c’est pour cela qu’ils sont venus ici. « La vue est super, totalement naturelle », commente Cemal Ozkurt, qui vient d’épouser sa bien-aimée (ci-dessus), marchant prudemment sur le sol dur avec le lac turquoise en toile de fond. (MEE/Nimet Kirac)
« Si chaque visiteur enlève ne serait-ce qu’une seule goutte, alors ce lac s’asséchera très vite », prévient Halil Ibrahim Sonmez, un vendeur de souvenirs du village voisin de Salda, qui raconte comment ses parents lui expliquaient que le lac était autrefois beaucoup plus vaste. « Je ne sais pas pour Mars, mais je connais le lac de Salda », assure cet ancien agriculteur qui vend désormais des produits locaux à base de lavande aux visiteurs.
« Ici, c’est le paradis », dit-il, décrivant le site entouré de champs luxuriants de lavande. En hiver, ses rives sont tapissées de neige, mais le lac ne gèle jamais, ajoute-t-il, appelant les responsables à « lancer cette entreprise touristique avec intégrité, ou pas du tout. » (MEE/Nimet Kirac)
Pendant ce temps, le bureau du gouverneur a remise en cause les rapports documentés par des groupes écologistes montrant des fosses septiques près de Salda, affirmant que l’eau du lac était régulièrement testée, qu’elle était de la meilleure qualité et que l’on pouvait la consommer. L’ONG Organization to Protect Lake Salda conteste cela et a mis les autorités au défi de boire l’eau du lac.
La qualité de l’eau compte beaucoup pour les études de la NASA sur le lac, indique le professeur Balcı : « L’eau du lac a un équilibre géochimique rare qui crée des conditions parfaites pour les micro-organismes uniques au lac et aide la croissance des stromatolithes. Il faut protéger cela. » (MEE/Nimet Kirac)
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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