Liban : le nouveau gouvernement confronté à des tâches titanesques
À première vue, le nouveau gouvernement libanais, formé jeudi 31 janvier au soir, après huit mois de blocage politique, respecte les équilibres habituels. Pratiquement tous les partis du spectre politique local y sont représentés, ce qui permet de lui attribuer le label de « Cabinet d’union nationale ». Mais en y regardant de plus près, un œil averti peut déceler des changements difficilement perceptibles, certes, mais fondamentaux.
Pour la première fois depuis le retrait des troupes syriennes du Liban, en avril 2005, le Hezbollah, allié indéfectible de la Syrie, est parvenu à briser le monopole exercé par le camp pro-saoudien sur la représentation sunnite au sein du pouvoir exécutif, en faisant nommer un ministre de cette communauté proche de la Syrie.
Pour la première fois depuis le retrait des troupes syriennes du Liban, le Hezbollah est parvenu à briser le monopole exercé par le camp pro-saoudien sur la représentation sunnite au sein du pouvoir exécutif
Hassan Mrad, désigné ministre d’État pour le Commerce extérieur, est le fils du député et ancien ministre de la Défense Abdel Rahim Mrad, une des personnalités sunnites pro-syriennes les plus en vue. Il est vrai que Hassan Mrad rejoint, au terme d’un compromis de dernière minute, le bloc présidentiel, formé des ministres du Courant patriotique libre (CPL) et de ceux nommés par le chef de l’État Michel Aoun, mais il n’en restera pas moins aligné sur le Hezbollah, sur le plan des options stratégiques.
Le camp présidentiel renforcé
Le nouveau gouvernement consacre aussi le poids politique du camp présidentiel au sein du pouvoir exécutif. C’est la première fois depuis la conclusion en 1989 de l’accord de Taëf, qui a mis fin à la guerre civile (1975-1990), que le chef de l’État et le parti qu’il a fondé disposent d’une minorité de blocage (le tiers des ministres), ce qui lui permettra de peser sur les grandes décisions.
Autre nouveauté, le renforcement de la présence féminine aussi bien sur les plans quantitatif que qualitatif. Bien que les femmes restent sous-représentées dans toutes les institutions politiques et administratives libanaises, c’est la première fois qu’un gouvernement compte quatre femmes sur trente ministres.
Le nouveau gouvernement consacre aussi le poids politique du camp présidentiel au sein du pouvoir exécutif
C’est aussi la première fois qu’un ministère clé, celui de l’Intérieur, est confié à une femme. Rayya al-Hassan, qui a déjà été ministre des Finances dans un gouvernement précédent, est proche du chef du gouvernement, Saad Hariri.
Ce dernier voit sa part dans le cabinet sortant passer de six ministres à cinq dans l’équipe actuelle. Le recul de son influence au sein du pouvoir exécutif est le résultat normal de la baisse de sa popularité au sein de la communauté sunnite, qui s’est traduite dans les élections législatives de mai 2018 par l’érosion de son bloc parlementaire. Dix des vingt-sept députés sunnites sont proches de la Syrie ou des indépendants.
Toujours dans le registre de l’analyse anatomique du nouveau gouvernement, le Hezbollah, surveillé à la loupe par la communauté internationale, et plus particulièrement par les États-Unis, obtient trois des six ministres chiites, dont l’important portefeuille de la santé. C’est une première.
Des priorités économiques et politiques
Le nouveau gouvernement entre en fonction dans des conditions qui ne sont pas idéales à tous les égards. La crise économique, qui s’est amplifiée depuis la guerre en Syrie, frappe tous les secteurs. Les exportations de produits libanais sont passées de 4,5 milliards de dollars en 2011 à 2,6 milliards en 2018, la croissance a chuté de 7 % en 2010 à 2,2 % en 2018, selon la Banque mondiale. Le tourisme est en berne, le chômage en hausse.
La situation est tellement critique que la communauté internationale s’est porté au chevet du Liban, en avril 2018, lors d’une réunion de bailleurs de fonds appelée CEDRE
Sur le plan financier, l’endettement public a atteint fin octobre 2018 les 83,7 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,2 % sur huit mois. La situation est d’autant plus difficile que les États-Unis, au nom de la lutte contre le terrorisme, ont considérablement renforcé en 2018 les restrictions imposées aux banques libanaises, à travers une batterie de sanctions contre le Hezbollah.
La situation est tellement critique que la communauté internationale s’est porté au chevet du Liban, en avril 2018, lors d’une réunion de bailleurs de fonds appelée CEDRE. À l’issue de cette conférence, 11,5 milliards de dollars de prêts ont été promis au Liban, et c’est le nouveau gouvernement qui sera appelé à mettre en œuvre les projets de reconstruction de l’infrastructure.
Pour optimiser les chances de succès, le gouvernement sortant a fait appel au bureau d’étude américain McKensey, qui a proposé 160 recommandations pour éviter l’effondrement et relancer l’économie sur de nouvelles bases.
La nouvelle équipe devra aussi s’attaquer à un autre problème, celui de la présence au Liban de près d’un million de réfugiés syriens. Le Liban souhaite organiser leur rapatriement en dépit des objections des Nations unies et des organisations internationales, qui lient leur retour à la solution politique en Syrie.
Le processus a démarré timidement en 2018 à cause du refus du Premier ministre Saad Hariri et du camp proche de l’Arabie saoudite de coopérer officiellement avec Damas sur ce dossier. Le nouveau gouvernement aura pour tâche d’accélérer le processus du retour afin d’alléger le poids que constitue la présence des réfugiés pour une économie déjà mal-en-point.
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