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Liban : un gouvernement introuvable et une crise politique interminable

Depuis les élections législatives du 6 mai, d’âpres discussions sont menées pour la formation d’un nouveau gouvernement sous la houlette de Saad Hariri

Au Liban, les crises politiques savent durer. Il a fallu deux ans pour élire un nouveau président, Michel Aoun et le pays n’a pas connu d’élections législatives pendant presque une décennie. 

Quand le nouveau Parlement a été élu en mai dernier, tout semblait indiquer que la formation d’un nouveau gouvernement était une affaire de jours ou de semaines. Le président de la République voulait en faire le premier vrai gouvernement de son mandat. Mais les semaines sont rapidement devenues des mois et les signes encourageants du début ont vite laissé place au dépit. 

Difficultés structurelles 

Pourtant, les principales difficultés apparentes du début ont rapidement été écartées. À la suite des élections législatives de mai, Nabih Berri a été réélu à la présidence du Parlement, Elie Ferzli a été élu vice-président du Parlement et Saad Hariri a été reconduit à la tête du conseil des ministres avec pour mission justement de former un nouveau gouvernement approuvé par le président de la République. 

Cinq mois plus tard, le problème semble sur le point d’être réglé, les discours sont rassurants, mais il serait hâtif de crier victoire. 

Dans un pays comme le Liban, il est illusoire de séparer les problèmes internes des rapports de force externes

Cette crise politique a l’unique mérite de révéler avec une certaine acuité des difficultés structurelles. Ces difficultés sont à la fois intérieures (la réalité politique du pays) et extérieures (la réalité géopolitique de la région).

Et dans un pays comme le Liban, il est illusoire de séparer les problèmes internes des rapports de force externes. 

Des élections législatives déconcertantes

Les élections libanaises, si elles ne suffisent pas à expliquer la crise politique actuelle, nous ont offert un triste spectacle d’illisibilité politique.

D’ailleurs, en dépit du passage d’un mode de scrutin majoritaire à un mode de scrutin proportionnel, le taux de participation n’a pas atteint les 50 %. 

Il faut dire que le caractère complexe de ce scrutin (grandes circonscriptions, petites circonscriptions et « vote préférentiel ») et l’incohérence politique de la campagne (des alliances différentes selon les circonscriptions) n’ont pas aidé à mobiliser les électeurs libanais. 

Siège du Parlement libanais au centre-ville de Beyrouth (Reuters)

L’époque des deux grandes alliances politiques qu’étaient celle du 8-Mars (proche de Damas et de Téhéran et menée par le Hezbollah) et celle du 14-Mars (proche de Riyad et de Washington et menée par le clan Hariri) semble presque révolue. 

D’ailleurs, le Courant patriotique libre de Michel Aoun, principal allié « chrétien » du Hezbollah, s’est rapproché du Courant du futur de Saad Hariri et a entamé une « réconciliation » éphémère avec son rival dans la population chrétienne, à savoir les Forces libanaises de Samir Geagea. 

Dans un tel imbroglio politique et politicien, les résultats des élections n’allaient évidemment pas permettre l’émergence d’un vainqueur unique, fût-ce sous la forme d’une grande alliance politique claire, susceptible de former un gouvernement. 

Illisibilité politique

Le Hezbollah et son allié Amal (du président du Parlement Nabih Berri) ont remporté l’ensemble des sièges chiites, tandis que les aounistes, menés par le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, demeurent majoritaires chez les chrétiens et forment le principal bloc parlementaire du pays. 

Les Forces libanaises de Samir Geagea ont réussi à doubler leur nombre de sièges, ce qui en fait un important concurrent du Courant patriotique libre parmi les électeurs chrétiens. 

Saad Hariri, quant à lui, a été l’un des grands perdants de cette élection : une dizaine de députés sunnites plus ou moins proches du Hezbollah a réussi à se faire élire. 

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Mais selon une logique confessionnelle implacable consistant à garantir les présidences (de la République, du Conseil et du Parlement) à ceux qui sont majoritaires dans leurs communautés, il conserve tout naturellement son poste de président du Conseil, avec l’assentiment du Hezbollah.

Querelles internes et pressions externes

Plutôt que de former un simple gouvernement majoritaire s’appuyant sur une alliance parlementaire, Saad Hariri est invité par les principaux acteurs politiques du pays (à commencer par le président de la République) à former un « gouvernement d’union nationale ». 

Les forces politiques présentes au Parlement doivent ainsi être représentées au gouvernement. 

En d’autres termes, le gouvernement doit être le reflet du Parlement et non de la majorité, ce qui pose d’évidents problèmes d’ordre démocratique : le rôle du Parlement ne peut être que marginal, avec une opposition dérisoire. 

Plutôt que de former un simple gouvernement majoritaire, Saad Hariri est invité à former un « gouvernement d’union nationale »

Le vice-président du Parlement, Elie Ferzli, un proche de Michel Aoun et un allié de Damas, est l’une des rares voix discordantes concernant l’idée d’un « gouvernement d’union nationale ». 

Seulement, les acteurs politiques libanais ne sont pas tout à fait d’accord sur le poids de chacun et un certain nombre de différends apparaissent au grand jour. 

Saad Hariri lors d’une émission de télévision en février 2018 (Capture d’écran)

Dans les médias libanais, on a pris l’habitude – souvent avec des précautions oratoires – de qualifier ces différends sur une base exclusivement confessionnelle. 

On parle ainsi d’un problème chrétien concernant le bras de fer entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises, d’un problème druze concernant le refus jusque-là de Walid Joumblatt de céder un ministère dévolu aux druzes à Talal Arslan (allié du Courant patriotique libre) et d’un problème sunnite concernant l’éventuelle représentation des députés sunnites non affiliés à Hariri. 

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Plus généralement, en dépit des discours hostiles au confessionnalisme politique répétés à l’envi et malgré une certaine rhétorique nationaliste arabe ici ou là (du Hezbollah au Courant du Futur, ce dernier l’utilisant parfois contre l’Iran), les références aux communautés religieuses sont très nombreuses. 

Les exemples concernent tous les camps : le choix d’une loi électorale destinée à mieux représenter les chrétiens, la volonté d’avoir un ministère des Finances tenu par un chiite, l’apparition d’une solidarité druze (parfois entre adversaires politiques) contre Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre… 

L’échiquier régional

Mais ces querelles ne doivent pas faire oublier que les rapports de force régionaux et les facteurs extérieurs sont plus décisifs que quelques inimitiés internes. 

Dans un contexte de grandes difficultés économiques, certaines pressions n’ont rien d’anodin. Par exemple, les sanctions de Washington à l’encontre du Hezbollah traduisent une volonté de l’isoler dans la vie politique libanaise. 

Il en est de même pour l’Arabie saoudite qui n’apprécie pas le rôle prépondérant du Hezbollah, et qui verrait d’un mauvais œil la reprise de relations normales et ouvertes entre Beyrouth et Damas sans un accord préalable impliquant les autres pays de la région. 

Ces querelles ne doivent pas faire oublier que les rapports de force régionaux sont plus décisifs que quelques inimitiés internes

L’Arabie saoudite est d’ailleurs l’un des perdants des élections libanaises : dans l’univers politique « sunnite », ses principaux alliés ont reculé (Saad Hariri), quand ils n’ont pas été laminés (Achraf Rifi). 

Les Forces libanaises de Samir Geagea, formation essentiellement chrétienne, émergent désormais comme les alliés les plus solides de Riyad au Liban.

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Les Saoudiens, qui ne ménagent pas toujours leurs alliés (inutile de rappeler la séquestration de Saad Hariri il y a un an), ne manquent pas de leviers sur la scène politique libanaise. 

Malgré leur défaite en Syrie et leur échec aux élections, ils conservent une capacité de nuisance qui explique en grande partie ce gouvernement tardif.

- Adlene Mohammedi est docteur en géographie politique et spécialiste de la politique arabe de la Russie et des équilibres géopolitiques dans le monde arabe. Il dirige Araprism, site et association consacrés au monde arabe. Il travaille, par ailleurs, sur la notion de souveraineté et sur les usages actuels du droit international.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Photo : le président libanais Michel Aoun (au centre), le président du Parlement Nabih Berri (2e en partant de la gauche), le Premier ministre intérimaire Tamam Salam (à droite) et Saad Hariri (à gauche) lors d’une cérémonie officielle à l’occasion du 73e anniversaire de l’indépendance du Liban, à Beyrouth, le 22 novembre 2016 (AFP).

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