Du Liban à l’Irak, la montée des tensions entre les États-Unis et l’Iran ne montre aucun signe d’apaisement
Lundi 25 février, le président syrien Bachar al-Assad s’est rendu à Téhéran, son troisième voyage à l’étranger depuis le début du conflit syrien en 2011, après des déplacements en Russie en 2015 et 2017.
La visite d’Assad à Téhéran est en grande partie symbolique, marquant la « victoire » déclarée de ses forces avec le soutien de l’Iran. Elle peut toutefois être interprétée également comme un élément de l’intensification des tensions entre les États-Unis et l’Iran en Syrie, en Irak et au Liban.
Le récit iranien
La visite a eu lieu peu de temps après que le président américain Donald Trump a déclaré victoire contre le groupe État islamique (EI). « Nous avons vaincu l’EI », s’est vanté le président américain sur Twitter, le « nous » faisant référence à la coalition internationale anti-EI dirigée par les États-Unis.
Bien sûr, l’Iran ne fait pas partie de cette coalition, mais il a justifié sa propre intervention militaire en Syrie par le but de contrer ce qu’il appelle « les djihadistes takfiri », dont l’État islamique est une composante. La déclaration de Trump – indirectement – rejette complètement ce récit iranien.
L’Iran est largement considéré en Occident comme une force de déstabilisation en Syrie, y compris par les pays qui restent attachés à l’accord sur le nucléaire iranien, dont les États-Unis se sont retirés l’année dernière.
Moscou – comme Téhéran – est fermement convaincu que l’État islamique et d’autres groupes « takfiri » font partie d’un complot américain visant à déstabiliser le Moyen-Orient
Les milices soutenues par l’Iran, dirigées par le Corps des gardiens de la révolution islamique et le Hezbollah, se battent aux côtés de l’armée syrienne depuis au moins 2012.
Le soutien de l’Iran a permis à Assad de survivre au conflit, bien que l’on puisse se demander si l’Iran aurait réussi à obtenir ce résultat sans l’intervention de la Russie.
Moscou – comme Téhéran – est fermement convaincu que l’État islamique et d’autres groupes « takfiri » font partie d’un complot américain visant à déstabiliser le Moyen-Orient. L’Iran et la Russie disent tous deux intervenir en Syrie afin de résister à l’ingérence américaine et stabiliser la région.
Complots américains
Au cours de la visite d’Assad, l’ayatollah Khamenei a salué ce qu’il a appelé la « victoire » de la Syrie, la présentant comme un autre exemple de la victoire de l’Iran – non pas contre l’EI, mais contre les « complots » américains au Moyen-Orient, selon le guide suprême. Le choix du mot « victoire » est une réponse directe à la déclaration de « victoire » de Trump au sujet de l’EI.
L’intensification des tensions entre l’Iran et les États-Unis ne se limite pas au contexte syrien. En Irak, les milices des Unités de mobilisation populaire (UMP) soutenues par l’Iran ont récemment commencé à remettre en cause la présence continue des troupes américaines dans le pays alors que le gouvernement irakien a également déclaré sa victoire militaire sur l’État islamique.
Qais al-Khazali, éminent homme politique et dirigeant des UMP, a déclaré à Reuters qu’il ne voyait aucune raison à ce que les troupes américaines restent en Irak.
L’intensification des tensions entre l’Iran et les États-Unis ne se limite pas au contexte syrien
Les combattants des UMP se sont déployés en plus grand nombre à la frontière irako-syrienne, affirmant que leur présence est nécessaire pour aider l’armée irakienne à sécuriser la frontière et à prévenir une résurgence de l’EI.
Bien que le président Trump ait annoncé que les États-Unis allaient retirer la quasi-totalité des 400 soldats américains stationnés en Syrie, les troupes qui quittent le pays seront principalement redéployées dans la base militaire d’Ayn al-Assad en Irak, près de la frontière syrienne.
Garder des troupes dans le nord-est de la Syrie et augmenter le nombre de soldats présents en Irak est un moyen pour les États-Unis de poursuivre la bataille contre les insurgés de l’État islamique, mais aussi de « surveiller l’Iran » depuis l’Irak, comme l’a déclaré Trump fin janvier.
Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd en Iran, où l’ayatollah Khamenei a déclaré lors de la visite d’Assad que le projet des États-Unis de demeurer activement présents à la frontière entre la Syrie et l’Irak devait « être fermement rejeté et faire l’objet d’une résistance ».
L’escalade au Liban
La montée des tensions entre les États-Unis et l’Iran s’étend également au Liban. Coïncidant avec la visite d’Assad à Téhéran, le Royaume-Uni a annoncé lundi dernier qu’il désignait le Hezbollah comme une organisation terroriste. Auparavant, le Royaume-Uni avait établi une distinction entre les ailes militaire et politique du mouvement chiite.
Le Royaume-Uni suit maintenant les traces américaines concernant le statut du Hezbollah. « Nous ne sommes plus en mesure de faire la distinction entre l’aile militaire déjà interdite et le parti politique », a annoncé le ministre britannique de l’Intérieur, Sajid Javid, tandis que le secrétaire aux Affaires étrangères Jeremy Hunt déclarait que la décision du gouvernement britannique signalait que les « activités déstabilisatrices » du Hezbollah au Proche-Orient étaient « totalement inacceptables et préjudiciables à la sécurité nationale du Royaume-Uni ».
La décision de Londres intervient quatre mois après l’annonce par les États-Unis de nouvelles sanctions contre « les étrangers et les agences gouvernementales qui assistent ou soutiennent sciemment le Hezbollah et les réseaux affiliés au Hezbollah », selon Sarah Sanders, attachée de presse de la Maison Blanche.
Donald Trump a pour sa part souligné que les sanctions à l’encontre du Hezbollah participaient d’un plan plus vaste visant à accroître la pression sur l’Iran.
Un autre événement majeur coïncidant avec la visite d’Assad en Iran et la nouvelle désignation du Hezbollah par le Royaume-Uni est la démission surprise du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.
Nombreux sont ceux qui associent sa démission à la visite d’Assad à Téhéran, à laquelle Zarif n’a pas pris part, tout en notant en revanche la présence à ces réunions du chef de la force al-Qods et architecte des interventions de l’Iran en Syrie et en Irak, le général Qasem Soleimani.
La popularité croissante de Soleimani suggère que la réponse de l’Iran aux pressions exercées par les États-Unis et leurs alliés conduira à l’adoption d’une ligne plus dure par Téhéran au détriment de la diplomatie internationale concernant sa politique étrangère et ses interventions dans d’autres pays du Moyen-Orient.
Tandis que les États-Unis et l’Iran insistent à s’envoyer des messages sans complaisance, il est probable que l’accord sur le nucléaire s’effiloche encore davantage et que les perspectives d’impliquer l’Iran dans des pourparlers diplomatiques sur la Syrie ou d’autres dossiers du Moyen-Orient s’affaiblissent.
Traduit de l’anglais (original).
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