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La rivalité saoudo-iranienne au Liban est loin d’être terminée

Malgré les revers qu’elle a essuyés, l’Arabie saoudite n’en a pas fini avec le Liban
Le président libanais Michel Aoun accueille l’émissaire saoudien Nizar al-Aloula au palais présidentiel le 13 février (AFP)

Les visites de haut niveau qui ont eu lieu à Beyrouth ces dernières semaines montrent que la rivalité entre Téhéran et Riyad au Liban est loin d’appartenir au passé.

Le 10 février, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, est arrivé à Beyrouth pour une visite de deux jours au cours de laquelle il a fait plusieurs offres militaires et économiques.

Cette visite a été suivie, le 12 février, par celle de l’envoyé royal saoudien Nizar al-Aloula, visite que les médias libanais ont décrite comme une réponse directe à la visite de Zarif. Celle-ci indique que l’Arabie saoudite souhaite adresser un message à l’Iran : Riyad n’a pas encore abandonné le Liban.

Montagnes russes

Depuis deux ans, les relations saoudo-libanaises sont en dents de scie. En novembre 2017, l’Arabie saoudite a fait pression sur le Premier ministre libanais Saad Hariri afin qu’il annonce sa démission lors d’une visite à Riyad, évoquant des menaces du Hezbollah et de l’Iran. Riyad a également conseillé à ses citoyens de ne pas se rendre au Liban, un avertissement qui vient juste d’être levé.

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L’Iran et ses alliés libanais ont profité de la situation en soulignant que les actions de l’Arabie saoudite représentaient une ingérence dans les affaires libanaises.

Le retour spectaculaire de Saad Hariri au Liban et sa participation aux élections législatives de mai ont marqué un tournant, l’Arabie saoudite reconnaissant qu’il pouvait être plus aisé de tenir tête à l’Iran au Liban via un engagement sur le terrain.

Bien que Hariri ait gagné en popularité au Liban après l’épisode de Riyad en 2017 – de nombreux Libanais de toutes tendances politiques le considérant comme un défenseur de la souveraineté libanaise face aux pressions saoudiennes –, son parti a perdu des sièges aux élections. Cela a réduit son pouvoir de négociation avec ses rivaux politiques, diminuant par là-même l’influence saoudienne.

Intimidation et alliances

Les relations irano-libanaises, en revanche, ont été relativement cohérentes. Le Hezbollah a toujours été l’allié de confiance de l’Iran au Liban. Les alliances pragmatiques du « parti de Dieu » avec des acteurs tels que le Courant patriotique libre du président Michel Aoun ont donné au Hezbollah davantage de poids.

Les élections de mai ont également procuré au mouvement chiite et à ses alliés un plus grand nombre de sièges parlementaires qu’auparavant, un gain qu’ils ont utilisé pour demander des concessions au camp Hariri.

Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif rencontre le Premier ministre libanais Saad Hariri à Beyrouth le 11 février (AFP)
Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif rencontre le Premier ministre libanais Saad Hariri à Beyrouth le 11 février (AFP)

Le camp Hariri était lui-même divisé. L’alliance du 14-Mars, formée suite à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri – et qui réunissait le Courant du futur de Saad Hariri, les Forces libanaises et le parti Kataëb (les Phalanges libanaises) – s’est progressivement effondrée face aux désaccords internes et aux pressions externes exercées par ses rivaux du 8-Mars.

En 2017, les Forces libanaises en particulier en avaient assez des concessions politiques et économiques de Hariri face à ses rivaux politiques. Dans la mesure où l’Arabie saoudite partageait cette frustration, la coalition du 14-Mars n’a plus existé que sur le papier.

Formation du gouvernement

Sur le plan extérieur, en Syrie, le Hezbollah et l’Iran ont obtenu de meilleurs résultats que l’opposition syrienne, laquelle est soutenue en partie par l’Arabie saoudite. Les espoirs saoudiens de changement de régime en Syrie ont été contrecarrés par l’intervention de la Russie en 2015 et par l’inaction des pays occidentaux, en particulier des États-Unis.

Le processus post-électoral de formation du gouvernement libanais était l’un des derniers moyens pour l’Arabie saoudite de résister à l’Iran au pays du Cèdre

L’Arabie saoudite s’est retrouvée face à une Syrie se dirigeant de plus en plus vers la sphère d’influence iranienne et à un Liban confronté au même sort, le Hezbollah exploitant ses gains en Syrie pour s’affirmer davantage dans son pays.

Le processus post-électoral de formation du gouvernement libanais était l’un des derniers moyens pour l’Arabie saoudite de résister à l’Iran au pays du Cèdre. Riyad et Téhéran ont demandé à leurs alliés libanais de ne rien concéder à l’autre partie lors des négociations sur le prochain gouvernement.

Cette pression externe, conjuguée aux rivalités internes et aux calculs des partis libanais, a entraîné le blocage du processus de formation du gouvernement pendant neuf mois.

Le gouvernement qui a finalement été annoncé, présenté comme un gouvernement d’union nationale dirigé par Saad Hariri, est perçu comme étant dominé par le Hezbollah et ses alliés chrétiens – un autre coup dur pour l’Arabie saoudite.

La visite de Mohammad Javad Zarif à Beyrouth à la suite de la formation du gouvernement et sa déclaration selon laquelle l’Iran est prêt à soutenir le gouvernement de quelque manière que ce soit ont constitué un nouveau coup de poignard pour Riyad.

Le dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a saisi l’occasion pour renouveler son appel aux forces armées libanaises afin qu’elles acceptent les systèmes de défense aérienne iraniens, ce qui est considéré comme une ligne rouge par l’Arabie saoudite et les États-Unis.

De vagues promesses

La visite de l’émissaire saoudien Nizar al-Aloula immédiatement après celle de Zarif peut donc être considérée comme un message de l’Arabie saoudite qui, malgré les revers qu’elle a essuyés, n’en a pas fini avec le Liban. La question demeure toutefois : que fera concrètement Ryad pour regagner une certaine influence au Liban ?

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Un indicateur serait la réactivation de l’assistance d’un montant de 4 milliards de dollars dans le domaine de la sécurité, annulée par l’Arabie saoudite en 2016 après la « non-condamnation » par le Liban d’attaques ciblant l’ambassade d’Arabie saoudite en Iran.

Un autre serait d’investir dans les obligations du Trésor libanais, ce que le ministre des Affaires étrangères libanais Gebran Bassil avait demandé à Davos en janvier.

Nizar al-Aloula a annoncé depuis Beyrouth que plus de vingt accords avec le Liban seraient activés. Mais jusqu’à présent, tout ce que les responsables saoudiens ont donné sont des déclarations vagues sur leur soutien « jusqu’au bout » au Liban.

Traduit de l’anglais (original).

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