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Suite à l’épisode Hariri, Riyad tente un comeback politique au Liban

Après des mois de profil bas, consécutifs au camouflet essuyé à l’issue de la démission inattendue du Premier ministre Saad Hariri et de son séjour ambigu à Riyad en novembre 2017, l’Arabie saoudite tente de s’immiscer à nouveau dans la politique libanaise

Les relations historiques entre le Liban et l’Arabie saoudite ont subi de graves dommages après la démission surprise de Saad Hariri à partir de Riyad le 4 novembre dernier, et les restrictions imposées aux déplacements et à la liberté d’expression du Premier ministre libanais en Arabie saoudite. Les traumatismes provoqués par ce tragique épisode n’ont toujours pas été surmontés, notamment chez une partie des sunnites libanais.

Depuis cette date, la politique saoudienne au Liban n’est qu’une série de couacs et de cafouillages

Depuis cette date, la politique saoudienne au Liban n’est qu’une série de couacs et de cafouillages. Quelques jours à peine après la libération de Hariri à l’issue de l’intervention de la diplomatie française sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, le royaume a dépêché au Liban comme ambassadeur Walid al-Yaacoub. Le diplomate a présenté ses lettres de créances au président Michel Aoun le 3 janvier 2018.

Or, quelques semaines plus tard, coup de théâtre : il disparait de la scène, pour être remplacé par le chargé d’affaires, Walid al-Boukhari.

Le Premier ministre libanais Saad Hariri salue ses partisans à son retour à Beyrouth après avoir été retenu dans la capitale saoudienne Ryad pendant plusieurs jours en novembre 2017 (AFP)

Autre figure devenue « non grata », Thamer al-Sabhan, ministre saoudien chargé des Affaires du Golfe et du dossier libanais. Célèbre pour ses tweets incendiaires et menaçants contre le Hezbollah et les dirigeants libanais, ce général des forces spéciales de la police, promu au grade de ministre par le prince héritier Mohammad ben Salmane, était un personnage soit courtisé, soit détesté par la classe politique libanaise.

Il serait, dit-on, l’instigateur de la démission surprise de Saad Hariri. Il a, en tout cas, été rendu responsable du fiasco politique et diplomatique engendré par cette affaire et a été écarté du dossier libanais.   

Profil bas pendant des mois

Suite à l’épisode Hariri, l’Arabie saoudite, habituellement très active au Liban, a adopté un profil bas. La presse saoudienne ne s’est plus intéressée au pays du Cèdre et, par la même occasion, les virulentes diatribes contre le président Aoun et son ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil ont cessé. Le ton était à l’indifférence.

« Il n’y a plus de clarté dans les relations libano-saoudiennes. Cela est dû aux changements opérés à l’intérieur du royaume par MBS [Mohammed ben Salmane]. C’est la confusion qui règne », nous a affirmé Sarkis Abi Zeid, rédacteur en chef de la revue Tahawolat.

« [Les Saoudiens] veulent préserver, au sein de l’exécutif, la présence des Forces libanaises, qui sont leur plus solide allié au stade actuel »

-  Sarkis Abi Zeid, rédacteur en chef de Tahawolat

Ce n’est qu’à l’approche des élections législatives, qui ont eu lieu le 6 mai dernier, que le Liban a recommencé à figurer sur l’agenda saoudien. Un émissaire royal, Nizar Alaoula, a débarqué à Beyrouth en février et a entamé des contacts fébriles avec des personnalités et forces politiques libanaises.

Un politicien proche du Hezbollah nous a indiqué que M. Alaoula avait tenté, en vain, de ressusciter l’ancienne coalition anti-syrienne et anti-iranienne du 14 Mars. « Devant le refus du leader druze Walid Joumblatt et de Saad Hariri, et les réticences de nombreuses autres personnalités, l’émissaire royal a baissé les bras. Le Premier ministre a alors été convoqué en Arabe saoudite », selon la même source.

Affiches dans la capitale libanaise Beyrouth durant la campagne pour les législatives (MEE/Ali Harb)

Le chef du gouvernement libanais a en effet été reçu par le roi Salmane le 28 février et par le prince héritier dans la foulée. Personne ne saura ce qui s’est dit lors de cette première visite dans la capitale saoudienne depuis l’humiliation infligée à Saad Hariri quatre mois plus tôt. Les spéculations sont allées bon train dans les salons politiques et la presse au Liban.

Cependant, les résultats de cette visite sont apparus dans un changement d’alliances de dernière minute, intervenu un mois avant le scrutin. Saad Hariri ne s’est finalement pas allié, dans la plupart des circonscriptions, au Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil, comme il projetait de le faire.

« Les Saoudiens ont fait pression sur Hariri afin qu’il ne s’engage pas dans un processus d’isolement des Forces libanaises [FL] », l’autre parti chrétien proche de l’Arabie saoudite, explique Sarkis Abi Zeid. Les FL, farouchement hostiles au Hezbollah pro-iranien, ont ainsi réussi à doubler la taille de leur bloc parlementaire, qui est passé de 8 à 15 membres dans une chambre de 128 députés.

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D’autres sources qui ont requis l’anonymat affirment que l’Arabie saoudite a apporté un soutien financier substantiel à Saad Hariri en contrepartie de l’ajustement de ses alliances électorales.

Toutefois, le royaume se défend de se mêler des affaires internes. Lors d’un repas de rupture du jeûne le 19 mai, auquel un grand nombre de personnalités politiques ont été conviées, Nizar Alaoula a déclaré que Riyad ne s’exprimerait pas sur le processus politique libanais.

Ingérences « sans précédent »

Des propos qui n’ont pas convaincu le Hezbollah. Cheikh Nabil Qaouk, membre du Conseil central du parti chiite, a accusé l’Arabie saoudite de « s’être mêlée des législatives à travers les candidatures, la formation des listes, l’achat de voix et même les affaires organisationnelles des partis ».

Cheikh Nabil Qaouk, membre du Conseil central du Hezbollah, a accusé l’Arabie saoudite de « s’être mêlée des législatives à travers les candidatures, la formation des listes, l’achat de voix et même les affaires organisationnelles des partis »

« Les ingérences saoudiennes dans les affaires libanaises ont atteint un niveau sans précédent, Riyad œuvre aujourd’hui pour constituer un bloc parlementaire pour faire face à la Résistance, resserrer l’étau autour d’elle et l’affaiblir », a-t-il ajouté.

Pour Sarkis Abi Zeid, les ingérences saoudiennes prennent aussi la forme de pressions économiques et de sanctions.

Dans ce contexte, le Bureau du contrôle des avoirs étrangers relevant du département du Trésor américain, en coopération avec l’Arabie saoudite et plusieurs pays du Golfe, a ajouté le 16 mai dernier à sa liste de personnalités « terroristes » le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, le numéro 2 du parti cheikh Naïm Kassem, et neuf autres cadres. 

Le numéro 2 du Hezbollah, cheikh Naim Qassem, vote à Beyrouth lors des élections législatives du 6 mai (Reuters)

Mais le signal le plus significatif plaidant pour la thèse des ingérences saoudiennes est la démission surprise du chef du cabinet de Saad Hariri, son cousin Nader Hariri. Artisan du rapprochement entre le Premier ministre et Michel Aoun, qui a permis au second d’être élu président de la République et au premier de revenir à la tête du gouvernement, Nader Hariri n’était pas apprécié par l’entourage de MBS.

Le Premier ministre a également écarté une autre personnalité qui ne jouit pas des faveurs de Riyad : son ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, pourtant proche de lui. Hariri a dû recourir à un subterfuge pour se débarrasser de cet encombrant partisan, en décidant d’interdire le cumul entre la députation et le ministère. 

« Hariri a cédé aux pressions saoudiennes en éloignant de son premier cercle ceux que Riyad n’aime pas »

- Sarkis Abi Zeid

« Hariri a cédé aux pressions saoudiennes en éloignant de son premier cercle ceux que Riyad n’aime pas », estime Sarkis Abi Zeid.

Autre signal inquiétant pour ceux qui craignent le retour de l’Arabie au Liban, la visite de Saad Hariri à Riyad, trois jours seulement après avoir été reconduit à la tête du gouvernement. Son séjour, entouré du plus grand secret, a duré cinq jours et peu de détails ont filtré à la presse sur ses rencontres et la teneur des entretiens qu’il a eus dans la capitale saoudienne.

Pour Nabil Qaouq, il ne fait aucun doute que l’objectif des dirigeants saoudiens était de convaincre le Premier ministre de ne pas intégrer dans son gouvernement des membres du Hezbollah.

« Le régime saoudien est beaucoup trop faible pour nous empêcher d’être représenté au gouvernement par des ministres efficaces. La présence du Hezbollah au sein de la nouvelle équipe ministérielle sera forte, efficiente et influente », a assuré le membre du Conseil central du parti chiite. Revenant à la charge le 3 juin, Nabil Qaouq a qualifié de « honteuse et suspecte […] l’ingérence saoudienne dans les élections parlementaires et dans la formation du gouvernement ».

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Sarkis Abi Zeid pense, lui, que l’objectif des Saoudiens n’est pas d’empêcher la nomination de ministres du Hezbollah – un but qu’il juge impossible à réaliser. « Ils veulent préserver, au sein de l’exécutif, la présence des FL, qui sont leur plus solide allié au stade actuel », estime l’analyste.

Écarter le Hezbollah ou protéger les Forces libanaises, il s’agit dans les deux cas d’une ingérence qui marque le retour de l’Arabie saoudite au Liban, dans un contexte de montée des tensions régionales avec l’Iran et de recrudescence de l’activité militaire israélienne en Syrie.

- Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le roi Salmane d’Arabie saoudite reçoit le Premier ministre libanais Saad Hariri au palais royal des Saoud à Riyad, le 28 février (AFP).

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