Les interventions militaires des Émirats arabes unis ont mené à la catastrophe, pas à la stabilité
En 2014, le général du corps des Marines à la retraite, James Mattis, qui allait devenir pendant un certain temps secrétaire à la Défense du président américain Donald Trump, a fait l’éloge des talents de combattants des Émirats arabes unis (EAU), une fédération de sept mini États du Golfe riche en pétrole.
Selon James Mattis, cité à l’époque dans un article du Washington Post, les Émiratis « ne sont pas seulement disposés à se battre, ils sont de grands guerriers ». Il ajouta qu’au sein de l’armée américaine, « il existe un respect mutuel, une admiration pour ce qu’ils ont fait – et ce qu’ils peuvent faire ».
Et Mattis de surnommer les EAU – dont la population autochtone est d’un peu plus d’un million sur une population totale de neuf millions (le reste comprenant des expatriés et des travailleurs migrants) – « petite Sparte ».
Une trêve fragile
La « petite Sparte » a, depuis le début des années 2000, montré ses compétences lors de missions en vol avec les Américains contre les talibans et a gagné un peu plus de respect en déployant 1 200 soldats en Afghanistan, maintenus dans le pays jusqu’en 2014.
Alors que le chaos du Printemps arabe de 2011 se transformait en guerre en Syrie et en Libye, Mohammed ben Zayed, dirigeant de fait et prince héritier des Émirats arabes unis, a lancé avec enthousiasme ses forces aériennes en Libye, tout en livrant des armes aux rebelles au sol en Syrie. Une grande partie des armes de haute technologie ont été achetées aux États-Unis.
Puis, avec le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, il a lancé la campagne du Yémen en mars 2015.
Bien que les Émiratis aient remporté d’abord des succès dans le sud du Yémen, poussant les forces houthies à quitter le port stratégique d’Aden et libérant une autre ville portuaire, Al Mukalla, de l’emprise d’al-Qaïda, la guerre dure depuis plus de quatre ans et impacte de manière horrible les populations du pays le plus pauvre du monde arabe.
La guerre dure depuis plus de quatre ans et impacte de manière horrible les populations du pays le plus pauvre du monde arabe
Les Émiratis ont uni leurs forces au sein d’un mouvement séparatiste, le Conseil de transition du Sud (le Sud-Yémen était un pays distinct jusqu’en 1990), et ont formé et armé diverses milices. Mais ni eux ni les Saoudiens n’ont été en mesure de prendre le contrôle du port vital de Hodeida sur la mer Rouge, aux Houthis.
La trêve fragile, négociée en décembre par l’envoyé spécial des Nations unies, Martin Griffiths, tient à peine, et la situation sur le terrain est dans l’impasse, comme dans une autre ville importante, Ta’izz.
Selon l’International Crisis Group (ICG), les Houthis ont progressé contre les forces soutenues par les Émiratis à l’est de Ta’izz, prenant le contrôle de deux villes et menaçant de couper le réseau routier vers Aden.
En Libye, autre blocage
La situation au Yémen peut être décrite comme une impasse. Ni les Émiratis ni les Saoudiens ne semblent avoir de stratégie pour sortir d’une guerre déclenchée sans trop penser aux conséquences et dans l’idée, fausse, que les Houthis s’effondreraient rapidement.
Plus de quatre ans après, on estime que le nombre de morts parmi les civils a atteint les 50 000, que des millions d’autres sont exposés à l’insécurité alimentaire et à la famine, que des dizaines de milliers d’enfants risquent de mourir de maladies évitables, et qu’une grande partie de l’infrastructure du pays a été détruite. Les EAU ont beaucoup à répondre de ce qui apparaît, de manière de plus en plus évidente, comme une aventure militaire ratée.
Au même moment, les Émiratis, qui marchent cette fois avec l’Égypte, ont choisi de faire affaire avec le seigneur de guerre libyen Khalifa Haftar. Depuis 2014, ils le soutiennent et arment sa soi-disant Armée nationale libyenne (LNA) alors qu’il cherche à renverser le gouvernement de Fayez el-Sarraj, reconnu par la communauté internationale.
Haftar a lancé une attaque sur la capitale Tripoli le 4 avril, au moment même où le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, arrivait dans la ville pour préparer des pourparlers de paix entre les deux parties.
Encore une fois, l’hypothèse était que la victoire serait facile et rapide, que les forces de Sarraj seraient prises au dépourvu. Mais plus d’un mois après, cela n’est pas le cas. Comme au Yémen, la bataille est dans l’impasse.
Les premières avancées, y compris dans les quartiers de la banlieue de Tripoli pris par les forces de Haftar, ont été rétrocédées. Haftar bénéficie du soutien militaire des EAU, du soutien financier des Saoudiens et du soutien politique de Trump, du président français Emmanuel Macron et du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi – mais plus l’impasse perdure, plus sa position s’affaiblit.
« Haftar est au mieux incompétent »
Interpellé sur les qualités de Haftar en tant que chef militaire, le politologue libyen Tarek Megerisi explique : « [Haftar] est au mieux incompétent, comme il l’a été presque tout au long de sa carrière. Il a pris quelques quartiers par surprise. »
Selon Tarek Megerisi, le nombre de victimes du côté de Tripoli, estimé à 400, est probablement le double de ce chiffre. Il a décrit les combats comme « vraiment meurtriers », Haftar utilisant des missiles Grad et des drones armés pour terroriser et attaquer des civils. Il précise que le soutien de Trump à Haftar – qui possède la citoyenneté américaine – est extrêmement important, dans la mesure où il bloque toute tentative de solution diplomatique.
Lors de sa récente visite à Washington, Sissi aurait apparemment persuadé Trump de peser de tout son poids en faveur de Haftar. Le résultat fut un appel téléphonique du chef de guerre au président, allant à l’encontre des conseils du département d’État et du Pentagone.
Sarraj, qui se rend dans les capitales européennes pour renforcer le soutien international, a rencontré Emmanuel Macron à Paris le 8 mai et a exhorté la France « à adopter une position politique claire sur la situation en Libye ». Il a déclaré : « Nous étions sur le point de parvenir à un accord et éventuellement à une solution avec un soutien international » lorsque Haftar a lancé son attaque.
La Libye est une autre arène de guerre et une autre impasse pour les Émirats. De plus en plus de civils innocents sont blessés et tués alors que MBZ poursuit son objectif : positionner les EAU en tant que force majeure au Moyen-Orient. Où, se demande-t-on, ira-t-il ensuite ?
Le lieu le plus probable est le Soudan, qui a vu le dictateur Omar el-Béchir, renversé par des moyens pacifiques.
Les EAU, avec les Saoudiens, tentent de consolider les chefs militaires à la tête d’un conseil de transition. Riyad et abou Dabi ont déjà promis des milliards de dollars au pays. Le ministre émirati des Affaires étrangères, Anwar Gargash, a déjà tweeté : « Il est tout à fait légitime que les États arabes soutiennent une transition ordonnée et stable au Soudan. Un modèle qui calibre soigneusement les aspirations populaires avec la stabilité institutionnelle. »
Au Soudan, les Émiratis, avec les Saoudiens, tentent de consolider les chefs militaires à la tête d’un conseil de transition
Mais les manifestants ne font pas confiance aux militaires. Alors que se passera-t-il s’ils menacent ce qu’Anwar Gargash appelle « la stabilité institutionnelle ? » MBZ sera-t-il enclin à prendre les armes encore une fois ?
Ou est-il vrai que la « petite Sparte » a tiré les leçons des impasses en Libye et au Yémen ? Si tel est le cas, cela aura été au prix fort pour les habitants des deux pays.
Il faut espérer qu’un tel sort ne sera pas infligé à la population soudanaise.
- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient et un spécialiste des pays du Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @BillLaw49.
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Traduit de l’anglais (original).
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