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La Turquie à l’avant-garde des alliances de sécurité dans le Golfe

Les expériences de la dernière décennie montrent que la Turquie est engagée à protéger ses alliés et amis en cas de besoin, et que son soutien ou son intervention peut changer la donne
Le ministre d’État qatari à la Défense, Khalid ben Mohammad al-Attiyah (à gauche), accueille le président turc Recep Tayyip Erdoğan à l’aéroport international de Doha, le 18 juillet 2023 (AFP)
Le ministre d’État qatari à la Défense, Khalid ben Mohammad al-Attiyah (à gauche), accueille le président turc Recep Tayyip Erdoğan à l’aéroport international de Doha, le 18 juillet 2023 (AFP)

Ces dernières années, les nations du Conseil de coopération du Golfe (CCG) – l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, Bahreïn, le Koweït et Oman – ont renforcé leurs liens militaires avec la Turquie.

L’alliance entre la Turquie et le Qatar en particulier s’est renforcée au cours de la dernière décennie, se concrétisant par la signature d’un pacte de défense en 2014, le déploiement de troupes turques à Doha pendant la crise du CCG en 2017, et l’inauguration en 2019 d’un quartier général de commandement conjoint sur la base militaire de Khalid ben al-Walid.

Les dynamiques en évolution entre la Turquie et les États du Golfe sont emblématiques d’un plus vaste jeu d’échecs géopolitique

Alors que plusieurs nations du CCG sont en train de revoir leurs partenariats de défense, la Turquie se retrouve à l’avant-garde de ce changement, cherchant à consolider sa position en tant que puissance régionale.

Les dynamiques en évolution entre la Turquie et les États du Golfe sont emblématiques d’un plus vaste jeu d’échecs géopolitique. Alors que le Moyen-Orient fait face à des vacances de pouvoir et à des alliances changeantes, de nombreuses nations souhaitent forger de nouvelles alliances et de renforcer celles existantes.

La Turquie, par sa position stratégique et sa puissance militaire, est devenue un partenaire recherché pour de nombreuses nations du CCG alors qu’elles naviguent dans les eaux tumultueuses de la politique régionale. 

Première base militaire turque dans le Golfe

La stratégie de la Turquie concernant ses bases militaires a été essentielle dans ses efforts pour contrer les menaces croissantes à sa sécurité et étendre son influence dans la région, surtout à la suite des soulèvements arabes de 2011. Le Qatar abrite la première base militaire turque dans le Golfe, mais d’autres pourraient suivre.

Ankara a été transparente quant à ses intentions d’étendre les partenariats militaires de la Turquie dans le Golfe. En 2017, alors que les États voisins imposaient un blocus contre le Qatar, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a révélé qu’il avait proposé d’établir d’une base militaire turque sur le sol saoudien en 2015.

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En fait, les Saoudiens explorent depuis un certain temps déjà l’option d’une coopération sécuritaire avec la Turquie face à la menace iranienne

Selon des parties déclassifiées d’un document confidentiel lié à l’ancienne secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, les Saoudiens ont officiellement considéré l’option turque comme une garantie de sécurité dès 2011.

Riyad cherchait des assurances de sécurité au-delà de Washington en raison de l’instabilité causée par les soulèvements arabes, l’absence de forces américaines significatives en Arabie saoudite après la guerre en Irak en 2003, et la diplomatie renouvelée des États-Unis avec l’Iran sous l’administration Obama.

Alors que les soulèvements arabes ont créé des tensions entre la Turquie et l’Arabie saoudite, ces liens se sont renforcés depuis 2021 dans le cadre d’une tendance à la désescalade au Moyen-Orient, couronnée par l’accord récent entre l’Arabie saoudite et l’Iran, grâce à une médiation de la Chine. Alors que les nations reconnaissent les avantages d’une coopération régionale accrue, la Turquie s’est révélée être un partenaire particulièrement précieux.

La Turquie a déjà envoyé des conseillers militaires au Koweït par le passé, notamment au début des années 1980, dans le cadre des efforts visant à contenir les répercussions de la révolution iranienne et à contrer les tentatives soviétiques d’atteindre le Golfe

En août dernier, lors d’une allocution marquant le 101e anniversaire de la victoire de la Turquie, l’ambassadrice turque au Koweït, Tuba Sonmez, a mis en avant les liens militaires et de sécurité croissants entre la Turquie et le Koweït.

Selon les médias, elle aurait déclaré que la Turquie était prête à établir une base militaire au Koweït si ce pays exprimait un tel souhait. 

Cette mesure ne serait pas sans précédent. La Turquie a déjà envoyé des conseillers militaires au Koweït par le passé, notamment au début des années 1980, dans le cadre des efforts visant à contenir les répercussions de la révolution iranienne et à contrer les tentatives soviétiques d’atteindre le Golfe après l’invasion de l’Afghanistan.

Pendant la crise du CCG, le Koweït et la Turquie ont chacun joué un rôle crucial pour éviter un conflit militaire. Les secousses géopolitiques de l’époque ont amené les nations plus petites alliées des États-Unis dans la région à remettre en question la fiabilité des garanties de sécurité américaines.

Pacte de défense conjoint

Des rumeurs ont circulé en 2017 sur l’éventuelle recherche par le Koweït d’une présence militaire turque sur son territoire, une démarche alors perçue comme un contrepoids aux tensions croissantes dans le Golfe.

En 2017, un responsable koweïtien bien informé a déclaré : « Le Koweït ne peut pas défier l’Arabie saoudite comme le font certains autres pays du Golfe… Nous ne pouvons pas non plus changer nos politiques avec l’Iran maintenant, mais des relations renforcées avec la Turquie peuvent nous aider. L’énorme incertitude [parmi nos voisins] est effrayante, c’est pourquoi nous devons nous préparer à des conséquences indésirables. »

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Cependant, craignant de contrarier Riyad, le Koweït s’est tourné vers d’autres protecteurs, des articles indiquant, en 2018, la possibilité d’une future base navale britannique.

Bien que les responsables koweïtiens aient minimisé un tel projet, les deux nations ont repris leurs entraînements militaires conjoints en 2022.

Le Koweït et la Turquie ont toutefois signé un pacte de défense conjoint complet à la fin de l’année 2018, soulignant ainsi leur engagement envers des intérêts de sécurité mutuels. 

Ailleurs dans la région, le conflit intra-GCC et l’escalade entre les États-Unis et l’Iran ont également eu un impact.

En 2020, des rumeurs ont circulé selon lesquelles Oman, l’un des principaux importateurs d’équipement militaire turc à l’époque, pourrait accueillir une base navale turque. Aucun des deux pays n’a confirmé cela. En réalité, pendant la crise du Golfe, tout comme le Koweït, Oman a cherché à renforcer la présence militaire britannique plutôt que de demander des troupes turques.

Après la résolution de la crise du CCG par l’accord d’al-Ula en 2021, les relations de défense de la Turquie avec le Koweït ont été encore renforcées. Un exercice militaire conjoint cette même année a mis en lumière leurs objectifs stratégiques communs. 

Des événements tels que les attaques iraniennes contre les installations pétrolières saoudiennes en 2019 ont souligné la nécessité pour les États du Golfe de diversifier leurs alliances de défense, plutôt que de compter uniquement sur les puissances occidentales

Une autre étape importante a été franchie cette année quand le Koweït s’est joint aux nations acquérant les célèbres drones armés turcs, les Bayraktar TB2, déployés dans de nombreux conflits, de l’Afrique du Nord à l’Ukraine. L’ambassadeur turc au Koweït a joué un rôle clé dans le renforcement de ces liens de défense.

Malgré les récents efforts de désescalade régionale, l’Iran continue à peser dans ce calcul de sécurité. En 2015, le Koweït a inculpé plus d’une douzaine de personnes  au motif qu’elles « travaillaient pour le compte de la République islamique d’Iran et du Hezbollah pour commettre des actes agressifs contre l’État du Koweït ».

L’année suivante, au milieu d’un différend entre l’Arabie saoudite et l’Iran concernant l’exécution d’un dignitaire chiite, le Koweït a revu à la baisse ses relations diplomatiques avec Téhéran, une mesure annulée six ans plus tard.

Alors que certains experts koweïtiens pourraient estimer que la présence américaine dans ce petit pays du Golfe riche en pétrole suffit à dissuader toute attaque étrangère classique, d’autres pensent qu’une telle dépendance rend le Koweït vulnérable.

Des événements tels que les attaques iraniennes contre les installations pétrolières saoudiennes en 2019 ont souligné la nécessité pour les États du Golfe de diversifier leurs alliances de défense, plutôt que de compter uniquement sur les puissances occidentales.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se sont tournés vers la Russie et la Chine, tout en investissant dans leurs propres capacités militaro-industrielles dans le cadre de leurs objectifs à plus long terme visant à construire une autonomie stratégique.

Dans ce contexte, la Turquie, avec sa réputation et ses solides capacités de défense, présente une proposition convaincante.

Les expériences de la dernière décennie – en Syrie, en Libye, au Nagorno-Karabakh, au Qatar, en Somalie, en Éthiopie et ailleurs – montrent que la Turquie est engagée à protéger ses alliés et amis en cas de besoin, et que son soutien ou son intervention peut changer la donne.

Traduit de l’anglais (original).

Ali Bakir is a research assistant professor at Ibn Khaldun Center for Humanities and Social Sciences. He is following geopolitical and security trends in the Middle East, great power politics, small states' behaviour, emerging unconventional risks and threats, with a special focus on Turkey’s foreign and defence policies, Turkey-Arab and Turkey-Gulf relations. He tweets @AliBakeer
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