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Les tensions dans le Golfe s’apaisent-elles réellement ou les États gagnent-ils simplement du temps ?

Bien qu’en surface, on constate des signes de rapprochement entre les États du Golfe, rien n’indique clairement que les puissances de la région évaluent véritablement leurs priorités
Les dirigeants du Golfe à la séance inaugurale du 41e sommet du Conseil de coopération du Golfe dans la ville saoudienne d’al-Ula, le 5 janvier 2021 (AFP)
Les dirigeants du Golfe à la séance inaugurale du 41e sommet du Conseil de coopération du Golfe dans la ville saoudienne d’al-Ula, le 5 janvier 2021 (AFP)

Depuis le début de l’année, une série d’événements imprévus captive la région du Golfe.

L’Afghanistan est retombé aux mains des talibans ; les États arabes ont renforcé leurs efforts pour normaliser leurs relations avec le régime Assad en Syrie ; les négociations entre l’Iran et l’Arabie saoudite ont attiré l’attention ; le Liban s’est enfoncé plus profondément dans la crise ; des coups d’État ont eu lieu en Tunisie et au Soudan ; les élections parlementaires en Irak ont propulsé le religieux chiite Moqtada al-Sadr en position de pouvoir ; et le radical Ebrahim Raïssi a remporté la présidentielle en Iran.

Ces pays communiquent et collaborent, mais sans évoquer le passé ; les véritables sources de conflits sont balayées sous le tapis

2021 a également vu la fin de quatre années de crise diplomatique avec le Qatar et un dégel des relations entre la Turquie et l’axe saoudo-émirati. Mais quelle est la pertinence du timing de ces événements et à quel point révèlent-ils des changements stratégiques dans la nature des alliances régionales ? Le cas échéant, dans quelle mesure ces changements peuvent-ils être durables ?

L’une des principales causes sous-jacentes est liée au transfert de pouvoir de Trump à l’administration Biden aux États-Unis, ce qui a eu des répercussions à travers le Golfe. Le président Joe Biden a promis de faire de la diplomatie la pierre angulaire de la politique étrangère américaine, faisant remarquer que cela impliquerait de « coopérer diplomatiquement avec [leurs] adversaires et [leurs] rivaux, là où c’est dans [l’]intérêt [des États-Unis] ». En outre, le retrait hâtif des Américains d’Afghanistan et les représailles qui ont suivi ont perturbé les alliés des États-Unis.

Dans le même temps, l’échec des politiques de l’axe saoudo-émirati – de la débâcle du blocus du Qatar au bourbier au Yémen, en passant par le soutien au général renégat Khalifa Haftar et sa quête infructueuse pour s’emparer du pouvoir en Libye – a également incité les puissances régionales à changer d’approche. Le rapprochement des Émirats vis-à-vis du régime Assad n’en est que l’une des manifestations.

Attendre que l’orage passe

Pourtant, si tous ces événements ont engendré un certain nombre de changements apparents dans la région, ils ne constituent pas un recalibrage stratégique significatif. Les tensions régionales restent élevées et les États continuent à mettre en avant leurs propres discours et slogans, malgré des signes de rapprochement de surface.

Rien n’indique clairement que les puissances du Golfe réévaluent véritablement leurs positions et stratégies. Le mode opératoire semble consister simplement à gagner du temps, garder profil bas jusqu’à ce que l’orage passe.

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Chaque État attend que son opposant fasse le premier pas, étant bien conscient que ledit opposant gagne lui aussi du temps. De cette manière, les puissances régionales s’épargnent des initiatives controversées jusqu’à ce que les circonstances soient plus favorables pour leurs intérêts.

Ce type de « politique de procrastination » aide les dirigeants de la région à assurer leurs intérêts dans un futur proche, tout en évitant d’exacerber ou de transformer les conflits existants. Cette stratégie d’action reportée peut être comparée à la tactique américaine d’obstruction parlementaire qui consiste à prolonger délibérément les débats pour bloquer ou retarder des votes cruciaux.

Cependant, il existe un risque réel que cette stratégie de gain de temps puisse engendrer une nouvelle paralysie politique et que les États ne puissent répondre rapidement aux crises actuelles, ce qui leur ferait perdre le contrôle sur d’importantes questions régionales.

Au bout du compte, la notion de stratégie de gain de temps contribue à expliquer plus clairement la récente cascade d’événements dans le Golfe, permettant une compréhension plus réaliste de ce qui s’est passé cette année. Il est important de ne pas surestimer l’importance de ces réconciliations et détentes apparentes. 

Ces pays communiquent et collaborent, mais sans évoquer le passé ; les véritables sources de conflits sont balayées sous le tapis. Ainsi, les divergences persistent et referont probablement surface à long terme.

- Mahjoob Zweiri est maître de conférences en études de l’Iran et du Golfe et directeur de la faculté d’études du Golfe à l’Université du Qatar. Vous pouvez le suivre sur Twitter @mzweiri et sur son site : www.mzweiri.com.

- Lakshmi Venugopal Menon est doctorant en études du Golfe à l’Université du Qatar.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Dr Mahjoob Zweiri is an associate professor in Iran and Gulf studies and director of the Gulf Studies Center at Qatar University. He tweets @mzweiri and his website is www.mzweiri.com.
Lakshmi Venugopal Menon is a PhD candidate in Gulf studies at Qatar University.
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