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L’Iran et l’Arabie saoudite peuvent-ils enterrer la hache de guerre ?

Le dialogue entre les deux rivaux pourrait marquer un pas vers la résolution de divers conflits régionaux
Portraits du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et du président iranien Hassan Rohani (illustration de Hossam Sarhan pour MEE)
Portraits du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et du président iranien Hassan Rohani (illustration de Hossam Sarhan pour MEE)

Des responsables iraniens et saoudiens auraient tenu des pourparlers à Bagdad ce mois-ci pour discuter des questions en suspens entre les deux pays, y compris les récentes attaques menées par les Houthis au Yémen contre des infrastructures saoudiennes. Le Premier ministre irakien aurait joué un rôle déterminant dans l’organisation de cette réunion, selon le Financial Times.

Les Saoudiens ont démenti l’information, tout comme les médias connus pour être proches de Téhéran. Mais le ministère iranien des Affaires étrangères, tout en refusant de la confirmer ou de l’infirmer, a déclaré que son pays était ouvert à des pourparlers avec l’Arabie saoudite, tandis que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a plus tard déclaré qu’il souhaitait avoir de « bonnes » relations avec Téhéran.

Les deux pays doivent se libérer de leurs implications dans la région. Il est toutefois difficile de savoir dans quelle mesure l’Iran et l’Arabie saoudite pourraient se venir en aide mutuellement

À ce stade, il est difficile de prédire si des pourparlers substantiels auront lieu entre ces deux rivaux de longue date – ou même, s’ils ont bel et bien eu lieu, s’ils pourraient aboutir à une réduction significative des tensions bilatérales et régionales.

Le conflit irano-saoudien, qui a débuté lors de la révolution islamique en 1979, a coûté cher aux deux États et alimenté l’instabilité dans une vaste région qui s’étend de l’Afghanistan à la Syrie et au Liban.

Au Liban, il a été un facteur de la crise gouvernementale récurrente. En Syrie, les deux États ont contribué, à travers leur soutien à des factions rivales, à prolonger la guerre civile.

L’Irak a également souffert de cette concurrence. Peu de temps après l’invasion américaine en 2003, l’Arabie saoudite, l’Iran et d’autres pays se sont livrés à une féroce lutte d’influence dans le pays. Ils ont organisé et financé des milices concurrentes, qui ont défié les gouvernements irakiens consécutifs et plongé le pays dans la guerre civile.

Il n’est donc pas étonnant que le Premier ministre irakien ait pu avoir initié le dialogue entre Téhéran et Riyad. Un compromis entre les deux États pourrait considérablement améliorer l’environnement sécuritaire de son pays.

Un optimisme prudent

De fait, un dialogue constructif entre l’Arabie saoudite et l’Iran pourrait aider à résoudre divers conflits au Moyen-Orient. Il est toutefois important de noter que la plupart de ces conflits ont également des causes internes et ont été affectés par d’autres rivalités interétatiques. En Irak par exemple, la Turquie et les Émirats arabes unis sont des acteurs majeurs, et la Turquie est profondément engagée en Syrie. Les Émirats arabes unis sont également un acteur clé au Yémen.

Il est donc peu probable qu’un dialogue couronné de succès entre Téhéran et Riyad puisse, seul, mettre rapidement un terme aux conflits actuels. Cela pourrait néanmoins réduire leur intensité et améliorer leurs perspectives de résolution.

Un manifestant tient un drapeau irakien et des portraits du général iranien Qasem Soleimani (à gauche) et de son allié irakien Abou Mahdi al-Mouhandis, tous deux tués par une frappe aérienne américaine le 7 janvier 2020 (AFP)
Un manifestant tient des portraits du général iranien Qasem Soleimani (à gauche) et de son allié irakien Abou Mahdi al-Mouhandis, tués par une frappe aérienne américaine le 7 janvier 2020 (AFP)

Plusieurs facteurs invitent à un optimisme prudent quant aux perspectives d’un dialogue saoudo-iranien. Premièrement, Téhéran et Riyad n’ont pas réussi à concrétiser leurs ambitions régionales, se retrouvant dans une impasse dans la plupart des arènes.

Le revers le plus important et le plus coûteux pour l’Arabie saoudite a été le Yémen : Riyad s’attendait à une victoire rapide qui aurait consolidé son leadership au Moyen-Orient. À la place, le royaume s’est enlisé dans une guerre impossible à gagner, alimentée par le soutien de l’Iran aux Houthis.

De son côté, l’Iran a subi des revers en Irak et en Syrie. Alors que Téhéran jouit toujours d’une influence considérable à Bagdad, de nombreux Irakiens s’irritent désormais de ce qu’ils considèrent comme une ingérence de l’Iran dans leur pays, outre le fait que l’Irak est devenu un terrain de confrontation entre Washington et Téhéran. Ils ne veulent pas dépendre excessivement de l’Iran et espèrent des relations équilibrées avec Téhéran et les principales capitales arabes.

L’effet Biden

En Syrie, la Russie tente de pousser l’Iran vers la sortie après avoir utilisé les ressources humaines et économiques de ce dernier pour soutenir le régime d’Assad. Les aventures régionales de l’Iran en ont également fait l’objet de sanctions américaines sans précédent, lesquelles ont étouffé son économie. L’Iran n’a plus les ressources financières nécessaires pour poursuivre ses stratégies passées.

En d’autres termes, les deux pays doivent se libérer de leurs implications dans la région. Il est toutefois difficile de savoir dans quelle mesure l’Iran et l’Arabie saoudite pourraient se venir en aide mutuellement. L’Iran ne peut pas simplement forcer les Houthis à accepter un compromis contre leurs intérêts, tout comme l’Arabie saoudite ne peut pas protéger l’Iran de ses adversaires locaux. Mais si les deux parties découragent leurs alliés et proxies d’agir les uns contre les autres, les chances de résoudre les conflits actuels augmenteront.

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Deuxièmement, et plus important encore, les priorités mondiales et régionales des États-Unis ont évolué sous l’administration Biden. Face aux défis que représentent la Chine et la Russie, les États-Unis réévaluent la répartition mondiale de leurs moyens militaires et repensent leur stratégie globale.

La décision du président Joe Biden de retirer les troupes américaines d’Afghanistan d’ici le 11 septembre 2021 reflète cet état d’esprit. Les États-Unis aimeraient également, chaque fois que cela est sûr, réduire leur présence militaire en Irak et dans le Golfe. Cela pourrait être l’une des raisons du désir de l’administration Biden de réduire les tensions avec l’Iran via la nouvelle série de pourparlers indirects sur l’accord sur le nucléaire.

Les États-Unis semblent également s’éloigner de leur soutien inconditionnel à l’Arabie saoudite. Sans ce soutien total, Riyad devra probablement revoir ses ambitions régionales à la baisse et chercher des compromis avec ses concurrents.

Le facteur israélien

Israël, quant à lui, serait mécontent d’une éventuelle détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Pendant des décennies, Israël a utilisé la menace iranienne pour améliorer ses propres relations avec les États arabes du Golfe, et ce avec un certain succès : le pays entretient désormais des relations diplomatiques avec Bahreïn et les Émirats arabes unis.

Mais l’Arabie saoudite s’est jusqu’à présent abstenue d’établir des relations diplomatiques avec Israël. Si les relations irano-saoudiennes étaient moins hostiles, Israël perdrait une monnaie d’échange dans ses efforts visant à consolider ses liens avec les États du Golfe. Or compte tenu de l’évolution des priorités américaines, y compris le désir de relancer l’accord sur le nucléaire, Riyad pourrait juger préférable de parvenir à un modus vivendi avec Téhéran et ne pas trop s’appuyer sur des liens, même informels, avec Israël.

Au vu des divergences profondément enracinées entre Riyad et Téhéran, entamer un dialogue et parvenir à un accord sont une perspective difficile. Et même si une forme de compromis était trouvée entre Téhéran et Riyad, les problèmes du Moyen-Orient ne disparaîtraient pas miraculeusement. Toutefois, cela pourrait certainement améliorer les chances de limiter ou résoudre les conflits en cours.

Shireen T. Hunter est une chercheuse affiliée au Centre pour la compréhension entre musulmans et chrétiens de l’Université de Georgetown. Le Moyen-Orient (en particulier la région du golfe Persique), la Méditerranée, la Russie, l’Asie centrale et le Caucase (du Nord et du Sud) font partie de ses domaines d’expertise. Shireen T. Hunter a étudié à l’Université de Téhéran (licence et doctorat en droit international sans thèse), à la London School of Economics (maîtrise en relations internationales) et à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève. Elle a publié dix-neuf ouvrages.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Shireen T Hunter is an affiliate fellow at the Georgetown University Center for Muslim-Christian Understanding. Dr Hunter’s areas of expertise include the Middle East (especially the Gulf region), the Mediterranean, Russia, Central Asia, and the Caucasus (North and South). Dr Hunter was educated at Tehran University (BA and all-but-thesis for a doctorate in international law), the London School of Economics (MSc in international relations), and the Graduate Institute of International Affairs and Development Studies, in Geneva. She has published 19 books.
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