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Rapprochement qataro-saoudien : des perspectives géopolitiques incertaines 

Le sommet des pays du Conseil de Coopération du Golfe du 5 janvier est marqué par un rapprochement qataro-saoudien encouragé par le Koweït, mais aussi par les États-Unis dans le cadre d’une politique anti-iranienne
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane accueille Tamim ben Hamad al-Thani, émir du Qatar, à son arrivée à Al-‘Ula, le 5 janvier 2021 (AFP)
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane accueille Tamim ben Hamad al-Thani, émir du Qatar, à son arrivée à Al-‘Ula, le 5 janvier 2021 (AFP)

C’est à al-‘Ula que s’est tenu mardi 5 janvier le 41e sommet des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Al-‘Ula a deux mérites : cette oasis permet aux Saoudiens de mettre en valeur un riche patrimoine archéologique (supposé signe d’ouverture) et elle est suffisamment loin de la frontière yéménite (al-‘Ula est située au nord-ouest du pays) pour échapper aux éventuelles frappes houthistes

Contrairement aux années précédentes, Tamim ben Hamad al-Thani a bien fait le voyage. La participation de l’émir du Qatar – et incidemment l’accolade avec le prince héritier saoudien  Mohamed ben Salmane – illustre ce qui se murmurait déjà : c’est la fin de l’isolement du Qatar dans la région. Le « grand frère » saoudien accepte la réouverture des frontières terrestre et maritime et de son espace aérien.

En juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et l’Égypte avaient décidé de rompre avec le Qatar pour diverses raisons : sa proximité avec les Frères musulmans, son activisme en faveur des sociétés civiles arabes et ses bonnes relations avec les deux puissances régionales non arabes que sont la Turquie (un allié) et l’Iran (un voisin et un partenaire incontournable). 

Les Saoudiens et leurs alliés sont allés jusqu’à exiger la fermeture de la chaîne panarabe Al Jazeera, perçue comme un vecteur d’instabilité.

Quelques zones d’ombre 

Trois ans et demi après la rupture, rien ne semble avoir été concédé par le Qatar. Depuis quelques heures, la chaîne Al Jazeera aurait été invitée à modérer son ton, mais elle est encore bien là et le Qatar n’a jamais formellement accepté de s’aligner sur les positions de ses voisins. 

Au contraire, le blocus qui lui a été imposé a poussé davantage le Qatar dans les bras de la Turquie (la construction d’une base militaire turque au Qatar susceptible d’accueillir jusqu’à 5 000 hommes s’est poursuivie) et de l’Iran (le survol de l’Iran, devenu obligatoire, coûterait à Doha 100 millions de dollars par an). 

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Pour l’instant, les réelles contreparties offertes par Doha pour obtenir la fin du blocus sont inconnues.

Les déclarations lors du sommet demeurent vagues.

Aucun engagement formel n’a pour l’instant été pris par le Qatar en ce qui concerne ses relations avec l’Iran et avec la Turquie et son positionnement idéologique (en faveur de l’islam politique). 

Par ailleurs, bien qu’il s’agisse d’un sommet multilatéral, il est surtout question d’un rapprochement entre Riyad et Doha. Certains médias arabophones évoquent une main tendue par l’Égypte aussi, mais Bahreïn et les Émirats arabes unis privilégient la retenue. 

Là où Mohamed ben Salmane parle d’une reprise de relations diplomatiques normales, le prince héritier d’Abou Dabi Mohamed ben Zayed a surtout brillé par son absence. Pour Abou Dabi, qui a émergé comme le principal adversaire d’Ankara depuis quelques années, le conflit avec l’axe turco-qatari est idéologique : l’ordre et la contre-révolution – défendus par les Émirats – contre l’islam politique – défendu par leurs adversaires.

L’Arabie saoudite en position de faiblesse

Depuis quelques jours, Riyad met l’accent sur une communication triomphante : de la mise en place d’un gouvernement d’union au Yémen (rassemblant loyalistes en exil – autorisés à revenir à Aden dans des conditions difficiles – et séparatistes sudistes) à ce rapprochement avec le Qatar. Le but est clair : donner une image d’unité contre des ennemis supposés communs (l’Iran, les Houthis…). 

En réalité, si l’Arabie saoudite se sent obligée d’offrir une image d’unité, c’est parce qu’il n’y a pas d’unité. 

Au Yémen, les Émirats ont renoncé à la guerre contre les Houthis et ont renforcé les séparatistes du sud, une tendance qu’une fiction d’unité peut difficilement renverser. 

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Riyad et Abou Dabi sont loin d’avoir rompu, mais leurs priorités ne sont pas tout à fait identiques même s’ils font de l’Iran et des Frères musulmans leurs principaux adversaires : Riyad est plus hostile à l’Iran qu’aux Frères musulmans, tandis qu’Abou Dabi est plus belliqueux à l’égard des Frères musulmans que vis-à-vis de l’Iran.

Malgré des changements dynastiques, le Koweït et Oman refusent toujours de s’aligner sur les positions saoudiennes et privilégient encore un rôle de médiateur aussi bien à l’échelle du CCG (en militant contre l’isolement du Qatar) que vis-à-vis de l’Iran. 

Bahreïn apparaît comme l’unique allié indéfectible des Saoudiens. C’est aussi le seul pays de la région violemment secoué par un soulèvement populaire dans le cadre du Printemps arabe, ce qui nuance son caractère indéfectible.

Dans ces conditions, l’Arabie saoudite avait de bonnes raisons de mettre un terme à la crise du Golfe. 

L’ultime action diplomatique de l’administration Trump

Mohamed ben Salmane a remercié le Koweït pour son rôle de médiateur, mais il n’a pas oublié de remercier également Jared Kushner – gendre et haut conseiller du président sortant Donald Trump.

Après avoir œuvré à multiplier les « normalisations » de pays arabes avec Israël (notamment les Émirats et Bahreïn), il tenait à cette « normalisation » interne au CCG. L’objectif américain est d’affaiblir l’Iran et la fin du blocus contre le Qatar fera vraisemblablement perdre à la République islamique les fameux millions perçus contre le survol de son espace aérien. 

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L’administration Trump donne ainsi l’impression de vouloir cocher des cases avant l’arrivée formelle de Joe Biden. Elle donne à la diplomatie une coloration triviale. Elle fait des relations diplomatiques des opérations commerciales. 

Dans le cas marocain, la transaction était grossière (on ne faisait même plus semblant de parler de paix et d’amitié) : telle reconnaissance (Israël) contre telle autre (la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental). Dans la mesure où Washington a effectivement contribué à ce rapprochement, la question du prix à payer peut légitimement être posée. 

Mais il est aussi possible de se demander si la diplomatie triviale de l’administration Trump est porteuse de réels résultats politiques.

Les « normalisations » ne peuvent pas faire disparaître la question palestinienne du jour au lendemain et il est impossible d’affirmer que le rapprochement entre le Qatar et l’Arabie saoudite se fera nécessairement au détriment de l’Iran. 

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