Maroc : deux décennies d’ambition réformatrice
Le mercredi 21 juillet 1999, le roi Hassan II recevait, au palais royal de Skhirat, le président yéménite Ali Abdallah Saleh.
Lors du dîner offert en l’honneur de son illustre hôte, le souverain marocain était aux petits soins avec son Premier ministre, le socialiste et ancien opposant Abderrahmane Youssoufi, lequel était en convalescence suite à une délicate intervention chirurgicale au cerveau.
Il faut dire que Hassan II tenait à l’expérience de l’alternance consensuelle incarnée par le Premier ministre socialiste, sachant qu’elle accompagnerait la transition vers le nouveau règne que le monarque de 70 ans sentait probablement proche.
La marque du nouveau roi
Moins de 48 heures plus tard, Hassan II décédait et, dans la foulée, les dignitaires de l’État signaient l’allégeance au nouveau roi, Mohammed Ben Hassan. Une semaine après, le souverain était intronisé sous le nom de Mohammed VI. C’était le début de la « nouvelle ère ».
Comme le disait souvent Hassan II, « il n’est pas facile de succéder à Mohammed V »
Très vite, et dès le discours du 20 août 1999, soit trois semaines après son intronisation, Mohammed VI marque le tempo institutionnel en rappelant ses prérogatives en sa qualité de commandeur des croyants, tout en soulignant les domaines réservés relevant de ses périmètres régaliens.
S’est ensuivie à l’automne une visite historique dans le Rif, cette région du nord du Maroc longtemps marginalisée, dont le roi fera une priorité en matière de programmes de désenclavement.
D’ailleurs, durant les saisons qui vont suivre, Mohammed VI séjournera régulièrement à Al Hoceima à l’occasion de ses vacances d’été, surtout après le séisme qui a frappé la ville et sa région au mois de février 2004.
En novembre 1999, le limogeage de Driss Basri, le puissant ministre de l’Intérieur de Hassan II, permettra à Mohammed VI de commencer à installer ses hommes à la tête des administrations clés de l’État et de dérouler ainsi les politiques publiques qu’il voulait pour son pays.
Mais comme le disait souvent Hassan II, « il n’est pas facile de succéder à Mohammed V », signifiant que toute transition n’est pas facile à opérer. En plus des difficultés inhérentes à la nature même du pouvoir et de son exercice, on doit également faire face à de multiples contraintes, voire des résistances.
La « méthodologie démocratique » entre parenthèses
C’est dans ce sens, et pour des considérations d’efficacité, que la « méthodologie démocratique » a été mise entre parenthèses à la suite des élections législatives de 2002.
Le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi, incapable de dégager une majorité avec son ancien allié de l’Istiqlal, a donc dû céder sa place à Driss Jettou, un homme d’affaires et technocrate, plusieurs fois ministre, rôdé aux chiffres et à l’efficacité économique, contrairement à son prédécesseur, un vieil homme d’appareil.
C’est le début de ce que certains ont appelé les « années fastes », le lancement des grands chantiers : ports d’envergure mondiale, nouveaux aéroports, élargissement du réseau autoroutier, électrification des zones rurales, désenclavement des régions montagneuses, projets de réaménagements territoriaux et urbains titanesques (lagune de Marchica, vallée du Bouregreg, marina de Casablanca, etc.), stratégie de grande envergure de développement des énergies renouvelables – éolienne et solaire –, refonte des politiques de formation professionnelle, accueil de sites industriels de dimension mondiale tels Renault, PSA ou encore Boeing.
Sur le plan politique, et dans le but de réconcilier le peuple marocain avec son passé dit des « années de plomb », il est mis en place en 2004 une Instance équité et réconciliation (IER), qui organisera des séances d’auditions publiques où les victimes d’exactions ont pu témoigner de leurs souffrances, pour tenter de rétablir la vérité en vue de se réconcilier avec ce passé douloureux. L’IER se chargera aussi de dédommager les victimes.
En plus de l’adoption d’une nouvelle Moudawana (code du statut personnel marocain, dont la révision a sensiblement amélioré les droits des femmes) en 2004, et toujours dans le cadre de cette dynamique d’envergure nationale visant à élever le niveau de la société marocaine, en vue de réduire la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, une Initiative nationale pour le développement humain (INDH) est lancée en 2005 avec, comme principaux objectifs, de soutenir les activités génératrices de revenus, développer les capacités individuelles, améliorer les conditions d’accès aux services et infrastructures de base et soutenir les personnes en grande vulnérabilité.
Le royaume est ainsi reconnu par ses pairs en Afrique, en Europe, dans le bassin méditerranéen, au Proche-Orient, ainsi que par Washington et Moscou, comme un allié privilégié dans la préservation de la sécurité régionale et dans la lutte antiterroriste
Des efforts soutenus ont été consentis, il faut le reconnaître. Mais quatorze ans après le lancement de l’INDH, un rapport du PNUD, publié au mois de juillet 2019, est venu plomber cet optimisme en avançant que 45 % des Marocains étaient encore en privation absolue.
D’ailleurs, dans un de ses discours, le roi lui-même s’est interrogé sur le devenir des richesses créées par le pays tout en appelant à réfléchir à un nouveau modèle de développement qui profiterait à tout le monde, notamment aux jeunes, et à corriger les dysfonctionnements des politiques gouvernementales : une Commission ad hoc devra être installée à la rentrée pour se pencher sur les contours de ce nouveau modèle de développement.
Ces deux dernières décennies, qui ont connu quelques alertes, comme les attentats terroristes du 16 mai 2003, la vague du « 20 février » inhérente au « Printemps arabe » et, tout dernièrement, le hirak du Rif, ont poussé le Maroc à consolider son front intérieur en vue de mieux faire face aux aléas relevant des crises régionales.
C’est ce qui a permis au Maroc de s’imposer comme un acteur incontournable dans plusieurs domaines, qu’il s’agisse de sa politique étrangère ou dans le secteur du renseignement et de la sécurité.
Le royaume est ainsi reconnu par ses pairs en Afrique, en Europe, dans le bassin méditerranéen, au Proche-Orient, ainsi que par Washington et Moscou, comme un allié privilégié dans la préservation de la sécurité régionale et dans la lutte antiterroriste.
Redonner de la crédibilité aux forces vives de la nation
Sur le plan politique, le Maroc a procédé à une réforme constitutionnelle en 2011 qui a permis une redistribution des pouvoirs entre le Palais et l’exécutif élu.
Dans ce cadre, la priorité aujourd’hui est de redonner de la crédibilité aux forces vives de la nation par une reconsidération du rôle des partis politiques et des syndicats, le défi majeur demeurant principalement d'ordre social et passerait par une réhabilitation en profondeur des secteurs de la santé, de l’enseignement et de la justice, à même de donner un véritable coup de fouet à la dynamique générale poursuivie par le pays.
Après avoir réussi à mettre en place les infrastructures et à diversifier son tissu productif, le Maroc doit désormais franchir un palier qualitatif
De manière globale, si le Maroc peut s’enorgueillir d’un certain satisfecit sur le plan économique durant le règne de Mohammed VI, la croissance forte – autour de 5 % – est jugée insuffisamment inclusive par les instances internationales, ce qui oblige le pays à réorienter ses politiques de développement vers les secteurs sociaux.
Après avoir réussi à mettre en place les infrastructures et à diversifier son tissu productif, le Maroc doit désormais franchir un palier qualitatif. Mieux prendre en compte les jeunes, les femmes, ainsi que les zones périurbaines, tout en rénovant en profondeur les secteurs de l’éducation et de la santé, tels seront les enjeux des vingt prochaines années pour le Maroc.
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