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Crise du Golfe : le Qatar va-t-il snober l’offre de l’Arabie saoudite visant à le ramener dans son giron ?

Si les Qataris acceptent les nouvelles conditions de servitude de Riyad, ils risquent d’être humiliés par Mohammed ben Salmane
Montage montrant le roi Salmane ben Abdelaziz d’Arabie saoudite et l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani (AFP)

Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane commence à tirer des enseignements des leçons difficiles.

Les récentes tentatives de rapprochement avec le Qatar prouvent que les politiques bellicistes et agressives peuvent échouer et se révéler contre-productives. Le prince héritier saoudien a été aux commandes du boycott et des sanctions imposées au Qatar, mais n’a pas du tout réussi à modifier les politiques de son voisin ni à provoquer un changement de régime qui le débarrasserait de son jeune émir, Tamim ben Hamad al-Thani. 

Le futur du CCG

Ce mardi, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) organisait son 40e sommet et certains espéraient qu’il pourrait réussir à combler le fossé entre les deux pays. Cela reste à voir.

Au cours des 40 dernières années, des petits pays comme Oman ont toujours tenu à l’indépendance de leur politique étrangère et ont résisté à la pression de Riyad d’être simplement des États clients

L’avenir du CCG ne dépend pas entièrement du fait de ramener le Qatar dans le rang. Cette organisation régionale souffre de sérieuses incapacités et il n’est pas certain qu’elle puisse être une force capable de s’opposer à l’Iran, ce qui était l’objectif initial sous-jacent à sa création au début des années 1980.

Tant que l’Arabie saoudite cherchera à utiliser sa taille et sa richesse pour dominer le CCG, les petits émirats seront mal à l’aise vis-à-vis de leur incorporation et intégration sérieuse dans ce forum régional global. 

Bien que les petits États puissent faire preuve d’une déférence symbolique à l’égard de leur grand frère à Riyad, au cours des 40 dernières années, des pays qui ne sont même pas riches, comme Oman, ont toujours tenu à l’indépendance de leur politique étrangère et ont résisté à la pression de Riyad d’être simplement des États clients.

L’ennemi de l’intérieur

Si au début du blocus, les Qataris ont ressenti la pression, il n’a pas fallu longtemps pour surmonter leur isolement dans le Golfe. Aujourd’hui, le prince héritier saoudien semble supplier le Qatar d’oublier les agressions et humiliations qu’il a commises par la voix de ses nombreux propagandistes. 

Depuis 2014, les médias saoudiens n’ont manqué aucune occasion de s’en prendre au Qatar et de riposter contre tout article qatari jugé subversif par le régime saoudien.

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Par exemple, lorsque le Qatar a accru sa couverture du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul en 2018 – alors que les médias saoudiens se muraient dans le silence –, le régime saoudien a réalisé que sont inimitié avec le Qatar pouvait amplifier les scandales et crimes saoudiens à l’étranger.

À ce moment-là, de nombreux saoudiens ont également réalisé l’inefficacité de leurs propres médias quand il s’agissait de contrer la couverture puissante du Qatar concernant les détails horribles qui ont été dévoilés par les autorités turques. En réaction, sous les auspices du prince héritier, l’Arabie saoudite a tenu une conférence de presse à Riyad l’été dernier dans l’objectif de transformer la ville en capitale médiatique du monde arabe.

Dans la propagande saoudienne, le Qatar est devenu l’ennemi au sein du CCG, mais cela pourrait changer totalement si le Qatar acceptait un rôle secondaire et servile dans la région, suivait le diktat de Riyad et s’inclinait devant l’autorité de son monarque âgé et de son fils belliciste.  

Les nombreux efforts de Riyad pour amener le Qatar au bord de l’effondrement ont été un mauvais calcul d’un prince inexpérimenté et imprévisible. Oui, le Qatar est un petit pays, avec une minuscule population indigène, mais en humiliant son émir, sa mère et tous les Qataris, le prince Mohammed ben Salmane a brûlé tous les ponts pour une réconciliation, en particulier ceux du Koweït et des États-Unis. Riyad a ébranlé la sécurité du Qatar avec ses sanctions et a séparé des familles de chaque côté de la frontière. 

Une politique mal avisée

Grâce à ses richesses et ses efforts diplomatiques, le Qatar n’a pas tardé à surmonter son isolement et à construire des ponts avec les puissances régionales telles que la Turquie et l’Iran, tout en continuant de soigner ses liens privilégiés avec Oman et le Koweït.

Aujourd’hui, le prince héritier saoudien semble supplier le Qatar d’oublier les agressions et humiliations qu’il a commises par la voix de ses nombreux propagandistes

Mohammed ben Salmane a détruit le CCG et a fragmenté son consensus général exactement comme il l’a fait avec les membres de sa propre famille. Il s’est créé un ennemi dans le Golfe au lieu d’un allié. En réaction, le Qatar a dérivé vers des pays que les Saoudiens considèrent comme des rivaux régionaux. 

Plus important encore, Riyad n’a pas réussi à faire adopter à son plus proche allié, les États-Unis, son approche envers le Qatar. Le président américain Donald Trump a refusé d’ostraciser le Qatar tout en exploitant l’Arabie saoudite et en jouant sur ses vulnérabilités. Le prince héritier saoudien s’est retrouvé seul, incapable de convaincre ses fidèles partenaires en Occident de sanctionner le Qatar.

Ben Salmane n’a pas réussi à vaincre son rival avec la richesse de son royaume car la richesse du Qatar s’est révélée bien trop importante pour que ses alliés occidentaux l’ignorent. Aucun partenaire occidental du Qatar n’avait de motivation suffisante pour diaboliser son dirigeant et ses politiques nationales dans le monde arabe. 

Les Qataris doivent savoir que le prince de Riyad n’a aucun respect pour le petit Émirat ou son peuple. Pourtant à présent, il cherche désespérément à rencontrer son émir à Riyad. Le roi Salmane a invité l’émir à assister au sommet du Golfe, mais le Qatar a été représenté par son Premier ministre. 

Aperçu général du Conseil de coopération du Golfe organisé au palais royal d’al-Safa dans la ville sainte saoudienne de la Mecque, le 31 mai (AFP)
Aperçu général du Conseil de coopération du Golfe organisé au palais royal d’al-Safa dans la ville sainte saoudienne de la Mecque, le 31 mai (AFP)

Bien que de nombreux Saoudiens aient pris leurs distances de la propagande qui diabolisait le Qatar, ceux qui priaient pour une réconciliation entre les deux pays du Golfe ont été emprisonnés et qualifiés de traîtres en Arabie saoudite. 

Une nouvelle approche

Pour que la réconciliation avec le Qatar soit un succès, l’Arabie saoudite doit adopter une nouvelle approche en matière de politique étrangère. Elle doit réaliser que ni sa diplomatie actuelle ni ses agressions militaires contre d’autres pays, par exemple le Yémen, ne permettra de la couronner reine des affaires arabes. Elle ne peut pas diriger le monde arabe à coup de complots, de pétrodollars ou de frappes militaires. 

Riyad s’est jadis présenté comme un parapluie sous lequel de nombreux Arabes pourraient s’unir. Ce rêve n’a pas fait long feu. Riyad a déployé ses ressources pour menacer le mouvement pro-démocratie qui a surgi dans la région à partir de 2011.

L’Arabie saoudite ne peut pas diriger le monde arabe à coup de complots, de pétrodollars ou de frappes militaires

Le royaume est devenu une force contre-révolutionnaire qui a cherché à maintenir la région sous la gouvernance de dictatures militaires et de régimes autoritaires. Lorsqu’il a soutenu les soulèvements, par exemple en Syrie, il s’est efforcé d’encourager les rebelles à tomber dans le sectarisme et la guerre civile.

Au contraire, le Qatar – ou du moins les médias qataris – a réalisé que l’élan portant vers un changement politique ne pouvait être arrêté dans la région et a décidé de soutenir les forces qui défilaient sur les places publiques en exigeant dignité, liberté et justice.

Du côté du peuple

Mohammed ben Salmane n’a pas su reconnaître les vulnérabilités de son régime au moment où la quête de liberté dans la région atteignait un niveau sans précédent.

Le Qatar a réalisé qu’il ne pouvait pas aller à contre-courant du mouvement et y a donc d’une certaine manière adhéré. Il n’était pas obligé de le faire car aucun signe n’indiquait que les Qataris souhaitaient descendre sur les places publiques de Doha en exigeant la chute du régime.

Au contraire, l’Arabie saoudite s’est sentie menacée lorsque des manifestations ont éclos à travers le royaume en 2011. Sans une énergique campagne d’arrestations, de répression et plusieurs millions de dollars, les manifestations auraient continué.

Le Qatar devait être puni pour son soutien à la société civile arabe et pour lui avoir fourni une plateforme médiatique qui a touché des millions de personnes dans la région. Les Saoudiens n’ont toujours pas rencontré un succès similaire avec leur propre empire médiatique.

Une autre humiliation

Il devenait important non seulement d’ostraciser l’émir du Qatar mais également d’exiger la fin des plateformes médiatiques qataries. L’Arabie saoudite veut débarrasser la région de tout discours alternatif et établir son propre monopole sur la conscience des Arabes.

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Le Qatar a refusé de se plier aux treize conditions pour une réconciliation, dont l’une est la fin de la suprématie médiatique qatarie.

Riyad souhaitait également que le Qatar cessât son soutien aux Frères musulmans, oubliant que les exilés du mouvement avaient joué un rôle très important pour aider Riyad à aller à l’encontre des musulmans à travers le monde.

Riyad a mis tous ses œufs dans le panier des dictatures militaires comme l’Égypte, alors que le Qatar s’est diversifié et a misé sur plusieurs chevaux. 

Les Qataris sont face à un réel dilemme alors qu’ils doivent décider soit d’accepter le rapprochement de Riyad soit de snober son offre tardive de revenir dans le giron du CCG. Les excuses pour les politiques malavisées du roi Salmane et de son fils arrivent bien trop tard. Si les Qataris acceptent les nouvelles conditions de servitude de Riyad, ils devront alors se préparer à une autre humiliation aux mains du prince héritier. 

S’ils refusent, ils s’épargneront une future confrontation concernant leur politique étrangère, laquelle est basée davantage sur leurs propres intérêts nationaux que sur ceux de l’Arabie saoudite. 

- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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