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Printemps arabe 2.0 : les peuples montrent à leurs dirigeants comment gouverner

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu en Tunisie, déclenchant une révolte qui allait bouleverser l’ordre établi dans plusieurs pays arabes. Neuf ans après, la relation entre les sociétés et leurs gouvernants a beaucoup changé
Des Irakiennes participent à des manifestations contre le gouvernement à Bassora, le 2 décembre (AFP)

La nouvelle vague de manifestations qui secouent le monde arabe montre la détermination d’une jeune génération à établir de nouvelles normes en matière de responsabilité.

2011 a marqué un tournant dans le monde arabe, la jeunesse est descendue dans les rues pour exiger la liberté, la démocratie et l’émancipation économique. Ce qu’on a appelé le Printemps arabe a contribué à briser le mythe selon lesquels les pays arabes étaient une exception dans leur résistance à la transformation de gouvernements autoritaires en régimes plus démocratiques.

Dans ce nouvel environnement, l’absence de méritocratie, associée à l’incapacité de l’État à fournir les services publics de base, est devenu plus saillant et frustrant

Avec le recul, les sociétés arabes – et plus particulièrement la jeunesse arabe – ont surestimé leurs capacités à suivre le chemin qu’elles s’étaient tracé. La promesse du Printemps arabe a succombé à des régimes profondément ancrés et résistants, ainsi qu’à un manque de soutien international. 

Les puissances occidentales, alliées naturelles évidentes des forces démocratiques, ont eu des réactions partagées face aux révolutions, principalement parce que les manifestations défiaient les hommes forts que l’Occident avait soutenus en rempart contre les groupes islamistes extrémistes. 

En conséquence, les espoirs initiaux des manifestations ont fait place à la délice désillusion dans la rue arabe, couplée à des circonstances économiques fragiles qui ont ajouté au malaise. Dans des pays tels que le Yémen, la Libye et la Syrie, le chaos a suivi tandis que les divisions internes ont rapidement été emportées par des batailles se jouant au niveau régional. 

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Dans d’autres pays, des contre-révolutions se sont accompagnées de répression et d’oppression brutale de la société civile. Même en Tunisie, qui a échappé à une contre-révolution, l’absence de leadership politique associée à une économie faible a engendré une désillusion généralisée.

La communauté internationale a lancé des programmes de sauvetage pour les pays qui ne disposaient pas des ressources pour faire face au ralentissement économique. Ces programmes soutenaient les autorités locales et s’axaient principalement sur la stabilisation macroéconomique. Ils ont contribué à réduire les déséquilibres économiques interne et externe croissants, mais non pas remédié à la dynamique de base qui avait déclenché les manifestations généralisées : croissance anémique, création d’emploi limitée pour un nombre de plus en plus important de jeunes et monopolisation de l’économie par l’État, l’armée et les oligarques. 

Problèmes économiques sous-jacents

D’autres réformes, à l’instar de la suppression des subventions ou l’introduction de taxes, se sont avérées grandement inefficaces pour remédier aux structures économiques injustes sous-jacentes. 

Même dans les quelques pays bénéficiant d’une croissance plus élevée, l’Égypte par exemple, la pauvreté n’a pas baissé, engendrant une frustration croissante et la conviction que les économies arabes restaient entre les griffes des élites pratiquant le copinage.

Huit ans après l’éruption du Printemps arabe, la quiétude qui avait accompagné la désillusion – dans l’absolu, le retour à la routine quotidienne pour les dirigeants – a pris fin abruptement, tandis qu’une nouvelle vague de manifestations touchait l’Algérie et le Soudan. Ces manifestations n’ont pas tardé à se propager à l’Égypte, au Liban et à l’Irak

Des manifestants libanais défilent à Beyrouth, le 27 novembre (AFP)

Cela s’est produit dans un contexte d’incertitude économique croissante qui a assombri davantage les perspectives, en particulier pour les jeunes. 

L’ancien contrat social, en vertu duquel l’État fournissait des subventions et des emplois publics et, en retour, les citoyens toléraient d’avoir une liberté d’expression limitée et des gouvernement n’ayant aucun compte à rendre, a été rompu par le fait que les coffres du Trésor public se sont retrouvés quasiment vides et par des subventions intermittentes voire non existantes des riches voisins du Golfe.

Les gouvernements du monde arabe devraient se souvenir des manifestants et montrer qu’ils sont disposés à se conformer à des normes de transparence et de communication bien plus élevées

Dans ce nouvel environnement, l’absence de méritocratie, associée à l’incapacité de l’État à fournir les services publics de base, est devenu plus saillant et frustrant. La jeunesse de plus en plus éduquée et les femmes ont peu de perspective de participer à l’économie et la société. Il est difficile pour les futurs entrepreneurs ou employés d’accéder aux marchés et au crédit, car les entreprises publiques ou liées à l’État se les accaparent. 

C’est non seulement injuste, mais cela prive également l’économie du dynamisme, de l’investissement et du talent que possèdent les exclus et que ne possèdent pas les personnes en place.

De plus, l’incapacité de l’État à fournir des services publics de qualité et abordables – de la gestion des déchets, à l’eau et l’électricité – érode la possibilité d’amélioration. La corruption et la mauvaise gestion sont soupçonnées d’être coupables. L’impression que l’État ne peut pas améliorer les choses, ressentie par l’opinion publique, a suscité le désir d’imposer un nouveau système de responsabilité.

Le pouvoir des réseaux sociaux

La nouvelle vague de manifestations indique une approche sophistiquée et contextualisée de la définition de nouvelles normes de responsabilité pour l’État.

Les désillusions suscitées par les élections qui ont suivi les soulèvements de 2011 ont conduit à la maturation des exigences et du mode opératoire des manifestants. Plutôt que de se reposer sur le scrutin, les manifestants se sont tournés vers les réseaux sociaux, puissant vecteur de coordination et d’expression de leurs exigences. 

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Les manifestants ont trouvé leur voix et semblent prêts à une confrontation permanente avec les autorités bien enracinées – même si ces manifestations ont été interdites où réprimées à différents degrés dans de nombreux pays. Malgré le manque de transparence notoire de la part des gouvernements arabes, le flot d’informations entre les citoyens et la nature virale des réseaux sociaux a surmonté cette opacité, créant un environnement de substitution qui promeut la responsabilité. 

Les gouvernements du monde arabe devraient se souvenir des manifestants et montrer qu’ils sont disposés à se conformer à des normes de transparence et de communication bien plus élevées – qui contribueront en fin de compte à réformer les mauvais comportements des gouvernements et des élites, et promouvra la confiance parmi les citoyens. 

- Ferid Belhaj est vice-président de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord depuis juillet 2018. Il travaillait auparavant comme chef de cabinet du président du Groupe de la Banque mondiale. Avant cela, il a occupé les fonctions de directeur pour les pays du Machrek (2012–2017, Beyrouth), de directeur de la région Pacifique (2009–2012, Sydney), représentant spécial à l’ONU (2007–2010, New York) et de responsable des opérations pour le Maroc (2002–2007, Rabat).

- Rabah Arezki est l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Avant d’occuper ces fonctions, il était chef du service Matières premières au Département des études du Fonds monétaire international (FMI). Durant sa carrière, il a également été chargé de recherche principal à la John F. Kennedy School of Government de l’Université de Harvard, chercheur non résident à la Brookings Institution et à l’université d’Oxford, expert auprès du Consortium pour la recherche économique en Afrique et chercheur à l’Economic Research Forum.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ferid Belhaj has been the World Bank’s Regional Vice President for the Middle East and North Africa since July 2018. He previously served as Chief of Staff to the President of the World Bank Group, and before that as Country Director for Mashreq countries (2012-2017, based in Beirut), Country Director for the Pacific (2009-2012, Sydney), Special Representative to the United Nations (2007-2010, New York), and Country Manager for Morocco (2002-2007, Rabat).
Rabah Arezki is the Chief Economist for Middle East and North Africa Region (MNA) at the World Bank. Previously, Arezki was the Chief of the Commodities Unit in the Research Department at the International Monetary Fund. He also was a senior fellow at Harvard University’s John F. Kennedy School of Government, a non-resident fellow at the Brookings Institution, an external research associate at the University of Oxford, a resource person for the African Economic Research Consortium and a research fellow at the Economic Research Forum.
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