Que va-t-il advenir des islamistes tunisiens évincés du pouvoir ?
Berceau et cœur du Printemps arabe, la Tunisie a tenu des élections présidentielles dimanche dernier, les premières depuis la révolution de 2010 qu’a connue le pays.
Le grand vainqueur de cette élection, l’ancien ministre de l’Intérieur de 88 ans Béji Caïd Essebsi, se trouve désormais à la tête de la coalition laïque qui, le mois dernier, a pris le pouvoir des mains d’Ennahda lors des élections parlementaires. Aux manœuvres depuis le renversement du Président Ben Ali en 2011, le parti islamiste Ennahda avait remporté avec une majorité écrasante l’élection présidentielle de l’époque.
Des milliers de partisans d’Essebsi, avocat jovial à lunettes dont la politique charismatique s’inspire du chef de l’indépendance Habib Bourguiba, sont descendus dans les rues de Tunis lundi dernier. Au milieu d’un concert de casseroles, scandant « Beji Président », ils célébraient « l’étape finale » franchie par leur pays vers la démocratie.
Les détracteurs d’Essebi, essentiellement des jeunes et des chômeurs qui avaient participé aux protestations de 2011, considèrent sa victoire comme une véritable régression vers l’ancien régime, lorsque la Tunisie était dirigée par une poignée d’élites.
Avec le parti laïque d’Essebsi, Nidaa Tounes, maintenant aux commandes du parlement et de la présidence, tous les projecteurs sont braqués sur les islamistes tunisiens qui, après une brève incursion politique en 2012-2013, se retrouvent dorénavant écartés du pouvoir.
Rached Ghannouchi, le militant politique pragmatique à la tête d’Ennahda, a annoncé en septembre dernier que son parti n’allait pas briguer la présidence. Il s’agissait de la dernière d’une série de concessions visant à démontrer qu’il n’y aurait pas de risque de prise complète du pouvoir par les islamistes.
Ennahda à bout de souffle ?
Même si l’approche prudente de Ghannouchi a peut-être épargné à son parti le sort que les islamistes ont subi ailleurs dans la région, à l’instar du parti des Frères musulmans en Egypte chassé par l’armée en 2013, sa vision à long terme demeure des plus risquées.
Aux dires des analystes politiques, si les islamistes parient sur un retour au pouvoir, ils misent sur un ensemble d’éléments assez improbables. A savoir, que leurs adversaires laïques échouent dans l’exercice du pouvoir, que la patience de leurs sympathisants, et tout particulièrement les jeunes et les couches les plus défavorisées, ne s’étiole pas au fil du temps, et enfin que les leaders de leur parti soient capables de forger des alliances avec d’autres groupes politiques avec lesquels ils ont peu en commun.
La semaine dernière, une interview télévisée d’une heure de Ghannouchi, durant laquelle il écarta les craintes du retour d’une dictature fondée sur un parti unique, a pu rassurer les électeurs d’Ennahda. « L’Etat policier, l’Etat articulé autour d’un parti unique ne reviendra pas » a-t-il déclaré. « L’époque d’un président à vie est révolue ».
La victoire d’Essebi au scrutin de lundi exprime de façon retentissante le verdict négatif rendu par les Tunisiens au parti Ennahda après deux ans au gouvernement.
Les dirigeants du parti Ennahda concèdent que gouverner le pays, et plus particulièrement son économie, a été un défi plus grand que prévu. Ghannouchi a avoué à ses sympathisants que « cinq ans en dehors du pouvoir pourraient être salutaires ».
Les spécialistes expliquent également que l’une des raisons de se retirer de la course à la présidence est qu’Ennahda envisage de rejoindre une vaste coalition gouvernementale censée être formée par le parti Nidaa Tounes d’Essebsi début 2015.
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