Héritage du roi Salmane : l’avenir de l’Arabie saoudite n’a jamais semblé si sombre
L’héritage du roi Salmane ben Abdelaziz est un paradoxe qui repose sur une apparente contradiction entre les politiques réformistes et répressives.
Ces deux types de politiques ont affecté un large éventail de princes et de roturiers influents. L’événement le plus mémorable sera l’incarcération de membres influents de la famille royale dans des hôtels cinq étoiles et les prisons depuis 2018.
Salmane disparaîtra en laissant la maison royale irrémédiablement brisée. Son fils belliqueux, Mohammed ben Salmane, a déployé les méthodes et les intrigues les plus humiliantes contre ses rivaux et leurs clans élargis, une démarche qui pourrait le hanter à l’avenir s’il s’assure le trône après la sortie de scène de son père.
Salmane disparaîtra en laissant la maison royale irrémédiablement brisée
Tous les deux ont bénéficié de subventions sur le pétrole et d’aides sociales généreuses. Le royaume était considéré comme unique parce que sa famille régnante, les Saoud, ont prétendument entretenu une tradition de consensus parmi ses clans et princes les plus puissants.
La famille régnante a gardé le semblant d’unité et d’approbation nécessaire pour maintenir cet ordre social et politique précaire, s’étendant sur des générations de descendants royaux.
Avant le règne de Salmane, de nombreux observateurs considéraient que les dirigeants saoudiens avaient une forte légitimité de nature traditionnelle, cimentée par un contrat social fonctionnel entre princes et roturiers.
En plus de contrarier les membres influents de la maison royale, le royaume de Salmane semble avoir également aliéné ses alliés sociaux traditionnels – à savoir les groupes religieux qui avaient toujours soutenu les dirigeants ainsi que les groupes quasi-indépendants qui avaient historiquement oscillé entre acquiescement et dissidence.
Ces groupes rejettent maintenant fermement toutes ses médiocres politiques de marché de masse.
Ceux qui se rebellaient parfois ont été éliminés.
Ceux qui avaient parfois été condescendants languissent aujourd’hui en prison.
D’autres ont fui le pays pour se réfugier à l’étranger.
Les groupes tribaux qui avaient fait preuve de loyauté envers le roi et qui s’étaient toujours précipités pour faire serment d’allégeance sont aujourd’hui non seulement ignorés, mais aussi humiliés. Ils sont souvent victimes de violences menaçant leur vie et leurs biens.
Leurs dirigeants sont devenus purement décoratifs après que le roi et son fils les ont asservis et réduits au silence. Personne ne sait pour combien de temps ils resteront silencieux sur leur marginalisation et leur humiliation totale.
Dans le royaume de Salmane, des Howeitat au nord aux Otaibah dans le centre, les cheikhs tribaux et les membres sont soit ignorés, soit totalement rejetés comme des reliques d’un passé lointain.
Le statut de demandeur d’asile à l’étranger préférable au silence
Le royaume de Salmane a promis de nourrir le nouveau jeune citoyen plutôt que les vestiges archaïques d’un passé tribal. Des propagandistes avertis tels que Saud al-Qahtani, le bras droit du prince héritier et le responsable du rayonnement mondial, sont promus et protégés.
Lorsqu’il s’agit d’éliminer les journalistes gênants à l’étranger comme Jamal Khashoggi qui a été assassiné ou d’intimider ceux qui sont restés dans le royaume, ces propagandistes devenus hommes de main obéissent aveuglément aux ordres.
Si le royaume de Salmane a tendu la main aux femmes et promis de les émanciper, celles qui aspiraient à une véritable émancipation ont été incarcérées dans les prisons à travers le pays.
Salmane et son fils ont nommé plusieurs femmes à des postes haut placés, leur permettant de conduire et d’accroître leur visibilité.
Cependant, le royaume de Salmane a tremblé lorsque les militantes ont réclamé de véritables droits, au-delà du droit de prendre le volant ou d’aller dans les stades.
Les conséquences involontaires de l’émancipation des femmes au sens véritable se sont avérées trop dangereuses et volatiles pour que le régime le tolère.
Le sort des jeunes hommes n’a rien à envier à celui de leurs sœurs. Le royaume de Salmane a involontairement facilité l’exode de jeunes hommes et de jeunes femmes pour qui le statut de demandeur d’asile à l’étranger est préférable au silence ou, pire encore, à l’incarcération dans le riche royaume du désert.
Les cinémas et les cirques n’ont pas suffi à acheter leur loyauté. Contre sa volonté, le royaume de Salmane a produit une importante diaspora saoudienne qui s’est échappée sous le nez du roi.
Salmane quittera le royaume que son fils était destiné à façonner à sa propre image. Son héritage repose sur la promesse d’une nouvelle ère d’ouverture, de prospérité, de diversification économique et d’opportunités suffisantes pour l’investissement et le tourisme.
C’est à son fils de promouvoir ce discours, non seulement à propos du nouveau royaume, mais – surtout – de lui-même, l’héritier du trône. Les portraits du jeune prince héritier étaient un mélange d’évaluation sérieuse et de propagande de relations publiques, de vœux pieux et de manipulation des connaissances sur le pays, le tout conçu par les conseillers du prince héritier et les magnats des médias, et pris pour argent comptant par les médias extérieurs.
Cela a fait de la monarchie un facteur de division qui précipite les clivages et l’antagonisme au détriment d’une unité
Le royaume de Salmane représente une forme extrême de polarisation sociale, dans laquelle seule une petite clique de sujets loyaux bénéficie des largesses royales. Cela a fait de la monarchie un facteur de division qui précipite les clivages et l’antagonisme au détriment d’une unité.
Avec moins de revenus pétroliers disponibles pour faire taire les potentielles voix dissidentes et les menaces persistantes des dangers mondiaux tels que le COVID-19, l’avenir du royaume de Salmane n’a jamais semblé plus sombre.
Il est peu probable que le prince héritier soit en mesure de rectifier le tir et d’établir la félicité sur le plan national après le décès de son père.
- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].