EN IMAGES : Après les explosions de Beyrouth, le combat pour la sauvegarde du patrimoine architectural
Le 4 août dernier, une double explosion à Beyrouth coûtait la vie à au moins 190 personnes, ravageait le patrimoine de la ville et laissait entre 250 000 et 300 000 personnes sans abri. Au total, plus de 730 bâtiments historiques, datant de 1860 à 1930, ont été partiellement détruits ou endommagés par le souffle. Une soixantaine d’entre eux risquent encore de s’effondrer.
Ces maisons de l’époque ottomane, déjà décimées par quinze années de guerre civile (1975-1990) puis par une reconstruction agressive et peu sensible à la conservation du patrimoine, sont aujourd’hui particulièrement menacées.
Bâti en 1870 par l’arrière-grand-père de l’actuel propriétaire, Roderick Sursock Cochrane, le palais photographié ci-dessus a longtemps été le symbole de la grandeur de la famille Sursock, riches marchands ayant fait fortune au milieu du XIXe siècle en commerçant avec l’Égypte.
« Ce palais a été construit sur deux étages dans le pur style libanais avec les trois arcades en façade et le hall central entouré des chambres », explique Roderick Sursock à Middle East Eye. « Les tours lui donnent un aspect vénitien mais le reste ressemble très fort aux palais ottomans des rives du Bosphore [à Istanbul]. » (MEE/Fanny Arlandis)
Le 4 août dernier, Roderick Sursock était à l’extérieur de Beyrouth. Il est revenu en ville s’occuper de sa femme et de sa mère blessées (la seconde est décédée le 31 août).
« Ce n’est que le lendemain que j’ai constaté l’ampleur des dégâts », raconte le propriétaire du palais Sursock. « C’est désolant, tout un patrimoine familial a disparu en une fraction de seconde. Pas une porte, pas une fenêtre n’a résisté au souffle, je ne parle même pas des boiseries, du plâtre, des tapisseries ou des objets. »
Depuis certains balcons, on aperçoit les silos de céréales détruits et les carcasses de ferrailles aux abords du port.
« Si j’avais pu sauver une seule œuvre d’art, j’aurais pris avec moi cette statue que l’explosion a décapitée », confie l’homme au chapeau. « J’aime particulièrement le fait que le marbre, taillé dans un seul bloc, imite la douceur de la peau de la jeune fille. » (MEE/Fanny Arlandis)
« Cette maison familiale avait été endommagée plusieurs fois au cours des quinze ans de la guerre civile et nous avions passé ensuite vingt ans à la remettre en état. Les dégâts étaient cependant moindres qu’aujourd’hui, où tout doit être refait », poursuit Roderick Sursock. Ces dernières semaines, des dizaines de volontaires sont venus aider à déblayer et la direction générale des Antiquités a envoyé des équipes pour consolider la maison car certains murs menacent de s’effondrer.
« La solidarité est extraordinaire », note le propriétaire de 68 ans, sur le point de monter une association pour lever des fonds afin de consolider la structure et la rendre étanche pour cet hiver. (MEE/Fanny Arlandis)
Dans la ville dévastée, des promoteurs immobiliers voraces se sont déjà proposés de racheter les vieilles propriétés pour les remplacer par des tours d’immeubles. Des bannières portant l’inscription « Beyrouth n’est pas à vendre » sont apparues dans les rues et plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine sont à pied d’œuvre.
Parmi elles, Initiative Beirut Heritage a été lancée le 26 août. Sa mission est de « fédérer les compétences et l’engagement des spécialistes et volontaires au cœur d’une action unifiée afin de sauver le patrimoine architectural, matériel et immatériel ». Elle se compose de représentants de la Direction générale des antiquités, de l’Ordre des architectes et ingénieurs de Beyrouth ou encore de la municipalité. (MEE/Fanny Arlandis)
Fadlallah Dagher est l’un des architectes à l’initiative de ce projet. Sa maison date de la fin de la période ottomane, il y a près de 150 ans. Des fissures diagonales, verticales et horizontales défigurent désormais l’édifice, qui risque de s’affaisser. Typique de Beyrouth, cette maison possède des fenêtres en arcade et les quatre chambres s’articulent autour du hall central.
« Après l’agrandissement du port de Beyrouth et le développement des routes vers Damas dans la première moitié du XIXe siècle, la ville s’est ouverte sur l’extérieur et cela s’est traduit par un nouveau style architectural », explique-t-il.
« Auparavant tournées vers l’intérieur, les maisons libanaises s’ouvrent désormais sur un balcon et un jardin. Les matériaux viennent aussi de très loin, les colonnes sont en marbre italien et les tuiles fabriquées à Marseille ! Ces maisons se développent surtout de 1860 à 1920. À partir du mandat français, les maisons deviennent des immeubles en béton armé. » (MEE/Fanny Arlandis)
« La première association de protection du patrimoine, l’Association de protection des sites et anciennes demeures au Liban [APSAD], date de 1959 », poursuit l’architecte. « Des premiers pas énormes sont effectués en matière de protection dans les années 1950-1960 car l’urbanisme agressif alors en cours détruit le tissu urbain comme s’il n’existait pas. »
La destruction du patrimoine n’a ensuite fait que s’accélérer pendant la guerre civile et à la fin de celle-ci, notamment quand Solidere, société de développement de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri, a été chargée, sans cahier des charges, de la reconstruction du centre-ville. (MEE/Fanny Arlandis)
Ce n’est qu’en 1995, à la demande du ministre de la Culture Michel Eddé, que 1 016 maisons construites entre 1860 et 1943 ont été recensées comme bâtiments patrimoniaux de Beyrouth. Face aux pressions des promoteurs immobiliers, 592 propriétés ont toutefois été retirées de cette liste. Un décret bloquant cet inventaire a également été signé, pour qu’aucune entité ne puisse y rajouter d’autres bâtiments à protéger.
Un projet de loi visant à préserver le patrimoine architectural libanais a néanmoins été déposé au Parlement en 2017 – mais il n’a toujours pas été voté. « Cela souligne l’absence de volonté des politiques avec qui nous sommes engagés dans un bras de fer depuis 25 ans pour sauver notre patrimoine », déplore Fadlallah Dagher. (MEE/Fanny Arlandis)
En visite dans la capitale libanaise les 26 et 27 août, la directrice générale de l’UNESCO Audrey Azoulay a promis « une aide considérable » pour l’éducation et la culture. Une conférence sera organisée, probablement fin septembre, pour collecter des fonds au profit du patrimoine architectural et du monde culturel de Beyrouth. (MEE/Fanny Arlandis)
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