EN IMAGES : Dans le sud irakien, le coronavirus n’aura pas la peau des narguilés
Sur les trottoirs de la ville sainte chiite de Kerbala, près des mausolées aux dômes dorés, assis autour d’un thé brûlant, de petites grappes (d’hommes seulement) discutent dans un nuage de fumée.
Que l’époque soit aux pèlerinages de millions de fidèles ou au confinement mondial, ils sont là. Comme si le nouveau coronavirus n’infectait pas chaque jour près de 4 000 nouveaux Irakiens.
Hassan Ali, qui a repris il y a onze ans une échoppe à thé, a tout de suite ajouté à son menu le narguilé. Et pas n’importe lequel. Celui en saule de Kerbala.
Le bakkar, le tube sculpté en bois qui relie le pot en verre rempli d’eau à la « tête » du narguilé, un petit pot en terre cuite où est déposé le tabac, « donne un goût différent de celui en métal ou en cuivre », affirme-t-il à l’AFP, rejetant en bloc les autres matériaux « des usines chinoises » bon marché.
« Si ton tabac a un goût de pomme ou de menthe, tu le sens. Avec les autres, tu n’as que de la fumée », poursuit-il. « Et surtout, quand il est en bois, le bakkar est froid alors que les autres sont brûlants. »
Là où certains trichent en jetant des glaçons dans l’eau pour contrer l’effet de la chaleur sur le métal, les ébénistes de Kerbala ont trouvé la parade, explique l’un d’eux, Mohammed Baqer, penché sur son tour à bois.
« Nous utilisons du saule de Kerbala », qui pousse au bord de l’Euphrate, « un bois léger, qui absorbe bien l’eau et épure la fumée, ce qui donne de la saveur », affirme à l’AFP cet Irakien de 56 ans, dont 30 dans l’ébénisterie.
Sa grosse saison, il la réalise durant les pèlerinages, quand les cafés des alentours accueillent parfois « jusqu’à 80 fumeurs de chicha en même temps ». De quoi doubler sa production quotidienne d’une vingtaine de bakkar.
Et à chaque fois, assure-t-il, il laisse travailler son imagination. « Quand j’installe le bois sur le tour, je laisse mes doigts suivre ce qui me passe par la tête », dit-il. « Le résultat est toujours beau et trouve client », jure-t-il, cigarette à la main.
Un peu plus loin, Mohammed Jassem, lui, a appris le métier avec son grand-père et son père Abou Hamada, dont l’enseigne de l’atelier porte encore le nom. Il a même commencé à former son fils Jassem, encore adolescent, depuis deux ans.
Ses clients sont des cafés des provinces du sud « là où il fait chaud », dépassant allègrement les 50 degrés durant des semaines en été, « parce qu’à Bagdad et plus au nord, ils ont plus froid, donc ils peuvent utiliser du métal », explique-t-il à l’AFP.
Pour varier les plaisirs, il a développé plusieurs modèles : « islamique » avec des sculptures en forme de dôme, « en creux de Kerbala », la signature de la ville depuis l’époque de son grand-père, avec des creux formés à la main et d’autres…
Car, dit-il, « si tu aimes ton travail, tu es créatif ».
Les trois mois de fermeture des cafés décrété en Irak pour endiguer l’épidémie de COVID-19 n’a fait que donner un nouvel élan aux commandes. Mohammed Jassem a même envoyé cette année des bakkar au Liban et en Allemagne. « Tant qu’il y aura du tabac, on ira bien », assure-t-il dans un sourire.
Par Farid Farid.
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