Anis Naccache : une des figures de « la symbiose libano-palestinienne » disparaît
Tout au long de sa vie et jusqu’à sa mort, Anis Naccache aura suscité des sentiments contradictoires. Figure de la lutte contre Israël et contre l’hégémonie américaine pour les uns, vulgaire terroriste pour les autres, cet homme au parcours exceptionnel n’en reste pas moins l’un des plus illustres représentants de « la symbiose libano-palestinienne », comme l’affirme à Middle East Eye l’un de ses proches amis, le journaliste Walid Charara.
C’est le représentant d’une génération de militants libanais et arabes qui ont rejoint les rangs de la résistance palestinienne « parce qu’ils considéraient que la lutte contre l’occupation israélienne faisait partie intégrante du combat global contre la domination impérialiste américaine sur le Moyen-Orient », souligne l’éditorialiste au quotidien libanais Al-Akhbar.
« La cause qui l’a animé dès le début et jusqu’à la fin de ses jours, c’est la cause palestinienne »
- Walid Charara, journaliste
Né en 1951 à Beyrouth, Anis Naccache a rejoint très jeune la résistance palestinienne. « À l’âge de 16 ans, en 1968, il apprend qu’une femme palestinienne avait été torturée par les services de renseignements libanais qui cherchaient à savoir où se trouvait son fils membre du Fatah [l’organisation fondée en 1965 par Yasser Arafat] », raconte Walid Charara.
« Avec des amis, il se rend dans le camp [de réfugiés palestiniens] de Chatila, à Beyrouth, pour essayer d’en savoir plus sur cette affaire qui avait fait beaucoup de bruit à l’époque. Il est choqué par ce qu’il voit et découvre les conditions de vie déplorables des réfugiés palestiniens au Liban. »
Opposé à la participation de l’OLP à la guerre civile libanaise
Cette sensibilisation aux conditions humaines d’un peuple dépossédé de sa terre contribue à forger sa conscience politique, qu’il affine en militant dans les rangs de l’organisation estudiantine du Fatah, très active dans certains lycées de Beyrouth dont le sien, Al-Makassed.
La destruction par un commando israélien de la flotte aérienne civile libanaise à l’aéroport de Beyrouth en 1969 le conforte dans ses choix. Il rejoint l’aile politico-militaire du Fatah et commence à jouer un rôle très actif en son sein.
Il participe ainsi aux opérations menées par les fedayin contre des cibles israéliennes à partir du Liban, devenu un sanctuaire pour les organisations palestiniennes après la signature de l’accord du Caire permettant à l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) de contrôler les camps de réfugiés et d’avoir des activités militaires dans le pays.
Mais lorsque la guerre civile éclate au Liban en 1975, Anis Naccache fait partie de ceux qui mettent le commandement palestinien en garde contre le danger de se laisser entraîner dans un conflit interne.
« Il était persuadé que la participation des organisations palestiniennes à la guerre civile libanaise visait à les faire dévier de la cause fondamentale, celle de la Palestine », explique un haut responsable palestinien qui l’a bien connu.
En 1978, Anis Naccache met le cap sur le Sud du Liban pour faire face, les armes à la main, à la première invasion israélienne du pays du Cèdre. C’est à cette époque qu’il quitte le Fatah, tout en conservant de bonnes relations avec ses anciens camarades, dont Khalil al-Wazir, dit Abou Jihad, numéro deux de l’OLP et chef militaire du Fatah, qui sera assassiné par un commando du Mossad, les renseignements israéliens, à Tunis en avril 1988.
Fidèle à ses convictions de ne jamais perdre de vue ce qu’il appelle « la cause fondamentale », il fonde à Kfarchouba et Bint-Jbeil, des localités du Sud-Liban, deux brigades dont le principal objectif est de combattre les Israéliens.
Ce sunnite de Beyrouth y côtoie des Libanais de toutes les confessions, unis par leur farouche attachement à la cause palestinienne, et c’est à cette époque qu’il rencontre Imad Moughniyé, qui deviendra l’un des fondateurs et le chef militaire du Hezbollah, assassiné à Damas en 2007 par le Mossad.
Artisan du rapprochement entre l’OLP et l’Iran
C’est aussi à cette époque qu’il commence à tisser des liens avec des Iraniens ayant fui le régime du shah Mohammad Reza Pahlavi.
Lorsque le monarque est renversé par l’ayatollah Rouhollah Khomeini en février 1979, Anis Naccache est séduit par le discours anti-israélien des nouveaux dirigeants à Téhéran, qui hissent le drapeau palestinien sur le siège de l’ambassade d’Israël.
Fort de ses liens tissés tout au long des années passées, il deviendra un des principaux artisans du rapprochement entre l’OLP et la jeune révolution islamique, dont il devient un ardent partisan et défenseur.
En 1980, il se rend à Paris avec pour mission d’assassiner le dernier Premier ministre du shah d’Iran, Shapour Bakhtiar, qui dirigeait le Mouvement de résistance nationale de l’Iran en opposition au régime islamique. L’opération est un échec. L’opposant iranien échappe de justesse à la mort ; en revanche, un policier français et une autre personne sont tués. Arrêté, Anis Naccache est condamné à la prison à perpétuité par un tribunal français.
Il passera dix ans en prison, durant lesquels il observera plusieurs grèves de la faim, dont la dernière durera 130 jours.
Pendant toute son incarcération, l’Iran n’aura de cesse de réclamer sa libération, qui interviendra finalement en 1990, lorsque le président François Mitterrand le gracie dans le cadre d’un accord avec Téhéran, à la suite d’une vague d’attentats à Paris attribués à l’Iran.
« J’aurais pu être libéré plus tôt mais j’ai refusé tout accord qui n’engloberait pas mes camarades », nous avait dit l’ancien militant lors d’une rencontre à Beyrouth en 2018.
Liens avec Carlos et prise d’otages du siège de l’OPEP
Ce n’est qu’après sa libération que l’un des secrets les mieux gardés de sa vie est dévoilé.
Pendant tout ce temps, les autorités françaises avaient sous la main, sans le savoir, le mystérieux « Khaled le Libanais », membre du commando dirigé par le célèbre Carlos (Illich Ramírez Sánchez), qui avait pris en otage, en 1975, des ministres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) à Vienne.
Lors de cette opération planifiée par le fondateur du groupe palestinien Septembre noir, Wadih Haddad, le commando avait tué trois personnes avant d’en prendre en otage soixante-dix autres, dont onze ministres.
« J’avais été chargé par Yasser Arafat de prendre part à cette opération pour calmer les ardeurs de Carlos. Je l’avais dissuadé d’abattre les ministres du Pétrole de certains pays arabes », nous avait raconté Anis Naccache lors d’un entretien en 2018.
Après sa libération en 1990, il s’installe à Téhéran, où il épouse une Iranienne. Il renforce ses liens avec les dirigeants iraniens et fonde le Réseau al-aman pour les études stratégiques.
« J’avais été chargé par Yasser Arafat de prendre part à cette opération pour calmer les ardeurs de Carlos. Je l’avais dissuadé d’abattre les ministres du Pétrole de certains pays arabes »
- Anis Naccache
« Il a continué à jouer un rôle politique et intellectuel avec les forces de la résistance au Liban et en Palestine », déclare Walid Charara.
Très actif dans toutes les conférences, dans l’organisation de cercles de réflexion et de débats pour orienter la stratégie générale des forces de la résistance au Liban ou en Palestine, il était très écouté en Syrie et en Iran, et il est resté très actif.
« La cause qui l’a animé dès le début et jusqu’à la fin de ses jours, c’est la cause palestinienne », souligne le journaliste.
Anis Naccache est, en quelque sorte, un militant internationaliste pour qui la Palestine a condensé toutes les causes justes et humanistes. C’est cette vision qui a guidé son action tout au long de sa vie, lui ouvrant des portes de Beyrouth à Téhéran, en passant par Damas et Bagdad.
Anis Naccache sera inhumé à Beyrouth le mercredi 24 février.
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