En Algérie, le boycott des législatives est un choix par défaut
Une partie de l’opposition algérienne a décidé de boycotter les élections législatives fixées par le président Abdelmadjid Tebboune au 12 juin 2021. En annonçant qu’il se joint au boycott, le Front des forces socialistes (FFS, doyen des partis d’opposition) a donné un peu de consistance à cette option.
Avant lui, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) avait annoncé qu’il ne participerait pas au scrutin, tout comme le Parti des travailleurs (PT, de Louisa Hanoune).
Pour autant, la décision du FFS ne change pas grand-chose à la donne politique dans le pays. Car si l’option choisie par ce parti conforte un peu la crédibilité de ceux qui prônent le refus du scrutin du 12 juin, elle ne constitue pas une décision susceptible de bouleverser les rapports politiques pouvoir-opposition, ni de provoquer une reconfiguration de la carte politique.
Elle permet juste aux adversaires de l’élection de sauver les apparences. Car à moins de bouleversements majeurs à venir, cette attitude ne devrait pas avoir un impact significatif sur la vie politique du pays.
La position du FFS traduisait en fait toute l’ambiguïté, voire l’impasse, dans laquelle est engluée la vie politique algérienne.
Elle révèle une situation de blocage que ni le hirak, une contestation populaire pacifique inédite entamée le 22 février 2019, ni l’opposition n’étaient arrivés à dépasser : malgré un pouvoir en déficit de légitimité et une incompétence criarde sur de nombreux dossiers (absence de liquidités dans les banques et les guichets de poste, pénuries de produits de première nécessité, incapacité de proposer un projet qui suscite l’adhésion des Algériens ou de relancer l’économie), l’opposition n’a pas su imposer une alternative crédible, susceptible d’obtenir l’adhésion d’une majorité d’Algériens.
Et cela laisse au pouvoir la possibilité de maintenir son propre agenda : élection présidentielle du 12 décembre 2019, référendum sur la Constitution du 1er novembre 2020, élections législatives et locales le 12 juin prochain.
Condamnés à l’impuissance
Les partis qui ont décidé de boycotter les législatives du 12 juin se présentent sous le générique d’« opposition démocratique ». Si on ajoute le PST (Parti socialiste des travailleurs, trotskyste) et le Parti de la laïcité et du développement (PLD, communiste), deux formations sans ancrage dans la société, on retrouve en gros les partis qui s’étaient coalisés depuis l’été 2019 au sein du Pacte de l’alliance démocratique (PAD).
Il s’agit de partis laïcs (le FFS préfère parler d’« État civil »), ancrés d’abord en Kabylie, disposant d’une force de frappe médiatique redoutable, mais dont l’électorat reste limité.
Ces partis se sont lancés, dans le sillage du hirak, dans un bras de fer avec le pouvoir pour l’amener à négocier une transition, sans résultat.
Hostiles à la présidentielle de décembre 2012, ils avaient maintenu une ligne supposée radicale, en fait sans issue, suivant en cela un hirak qui donnait l’impression de se radicaliser, alors qu’il perdait l’essentiel de l’adhésion populaire qui avait fait sa force au printemps 2019.
Participer aux élections aurait été perçu comme un reniement total, alors que le gain éventuel aurait été minime, aucun d’entre eux n’étant assuré de parvenir à une représentation conséquente
Au moment de faire les comptes, les résultats sont plutôt décevants. Ces partis ont tenté de surfer sur le hirak, mais ils n’ont pas réussi à élargir leur audience.
Plus de deux ans après le début du hirak, ils se retrouvent au même point : ils ont en face d’eux un pouvoir contesté, mais ils n’ont pas le moyen de le bousculer.
Ils n’ont même pas réussi à capter une partie de la société qui s’était mobilisée à la faveur du hirak, et qui a ensuite lâché prise. Alors que les anciens partis de pouvoir ont été laminés, ils n’ont pas réussi à les supplanter, ou à capter leur électorat.
Ils sont dès lors condamnés à l’impuissance face à un pouvoir qui continue, sans génie particulier, à dérouler sa feuille de route. Au final, le boycott s’est imposé à ces partis, ils ne l’ont pas choisi. Ils ne pouvaient faire autrement.
Car participer aux élections aurait été perçu comme un reniement total, alors que le gain éventuel aurait été minime, aucun d’entre eux n’étant assuré de parvenir à une représentation conséquente.
Pour le FFS, la situation était encore plus compliquée. En crise depuis deux années, il était tiraillé entre deux grandes tendances. D’un côté, une direction soucieuse de revenir à une vision nationale et rassembleuse, qui a accepté de rencontrer le président Abdelmadjid Tebboune ; de l’autre côté, une aile qui, dans l’élan du hirak, avait cédé à l’activisme, et était opposée à toute idée de trêve avec le pouvoir.
Face à cette situation délicate, le conseil national du FFS a décidé de temporiser. En ne participant pas aux élections du 12 juin, il préserve les chances d’organiser dans la sérénité un congrès prévu à l’automne. Mais ce choix apparaît clairement imposé par les contraintes, non comme le résultat d’une démarche forte.
Incapacité de l’opposition à établir le bon diagnostic
Cette incapacité de l’opposition à influer sur le cours des événements résulte de la conjugaison de deux facteurs. Il y a d’abord la force d’inertie du pouvoir. Sans projet mobilisateur, sans génie, sans innover sur quelque terrain que ce soit, le système en place se contente de se cramponner à un formalisme constitutionnel qui lui permet de se dérober à tout changement significatif.
Ce faisant, il place l’opposition face à un choix difficile : soit elle participe aux élections pour se faire une place dans les institutions, soit elle boycotte, au risque de perdre en visibilité et en présence politique.
Ensuite, il y a l’incapacité de l’opposition à établir le bon diagnostic, et de trouver les réponses adaptées aux défis imposés par la situation. Cette partie de l’opposition, dans l’euphorie du hirak, s’est crue en mesure d’imposer une période de transition, sous-estimant gravement les capacités du pouvoir, autour de l’armée, de l’appareil sécuritaire et de l’administration, à tenir le cap.
Même sans les partis satellites, le pouvoir a montré qu’il était capable d’imposer son agenda. Y compris dans des conditions difficiles : la participation à la présidentielle de décembre 2019 et au référendum sur la Constitution le 1er novembre 2020 a été très faible, presque nulle en Kabylie.
Mais après avoir frôlé l’écroulement au printemps 2019, le pouvoir pouvait considérer qu’il s’agissait d’un moindre mal. Et d’insister sur un point : dans une élection, c’est le vainqueur qui emporte la mise, pas celui qui boycotte.
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