EN IMAGES : Au Maroc, le dur labeur des cueilleuses de roses
Izza, comme les cueilleuses de son équipe, gagne trois dirhams (30 centimes d’euro) pour chaque kilo de roses ramassées à la main, avant la distillation en eau florale ou en huile essentielle, précieux extrait vendu au Maroc jusqu’à 15 000 euros le kilo.
« On gagne juste de quoi vivre », souffle-t-elle, mains gantées contre les épines, tête couverte contre le chaud soleil printanier de la « Vallée des roses », dans le sud du royaume.
La récolte commence à l’aube, il faut environ six heures pour remplir les gros sacs que les femmes transportent sur leur tête jusqu’à la pesée.
Izza Ait Ammi Mouh, une Berbère âgée d’« environ 40 ans » – elle ignore son âge exact et ne sait pas épeler son nom – ne se plaint pas. Ce travail saisonnier lui permet de « nourrir sa famille de cinq personnes », grâce aux vingt kilos récoltés par jour pendant la floraison d’environ un mois.
Au printemps, l’odeur entêtante de la Rosa Damascena – rose de Damas, variété apportée selon certains par des voyageurs au temps du commerce caravanier – embaume la vallée, irriguée par deux oueds, entre les montagnes de l’Atlas et le désert du Sahara.
Tout tourne autour de cette fleur : le nom des hôtels, la couleur des taxis, les produits cosmétiques des innombrables boutiques, les colliers proposés par des enfants le long des routes, la sculpture monumentale ornant le rond-point de Kelaat Mgouna et son festival annuel qui attirait des milliers de visiteurs avant la pandémie de coronavirus.
« La rose, c’est le seul moyen de travailler dans la vallée », résume Najad Hassad, 35 ans. Elle se félicite d’avoir quitté son emploi dans une usine d’emballage pour devenir gérante de la coopérative Rosamgoun, distillerie créée par deux sœurs cultivatrices.
La paie est bien meilleure, 2 500 dirhams par mois – environ 230 euros, soit presque le salaire minimum au Maroc – contre 400 dirhams par mois à l’usine. Et « elle se sent en famille » dans cette unité de cinq salariés.
La distillation permet de produire eau florale et huile essentielle, vendues dans la boutique avec leurs dérivés cosmétiques.
Le gramme d’huile essentielle enchâssé dans une boîte minuscule coûte 170 dirhams (soit environ 15 000 euros pour un kilo), qui nécessite quatre à cinq tonnes de fleurs.
Rochdi Bouker, président de la Fédération interprofessionnelle des cultivateurs et transformateurs marocains (Fimarose), voit la rose comme « un moteur du développement local », en misant sur la vogue mondiale pour des matières premières naturelles et le bio.
Son objectif : obtenir un label bio pour l’ensemble de la vallée, afin de valoriser ses roses sur un marché dominé par la Bulgarie et la Turquie, premiers producteurs de roses à parfum.
« On a de la chance d’être pauvres, on ne traite pas ou très peu, notre vallée n’est pas imprégnée de pesticides ou d’insecticides », affirme-t-il.
Selon lui, il faut soutenir la distillation en coopérative « pour améliorer les conditions de vie et lutter contre l’exode rural ».
Pour augmenter les revenus, il faut « développer les dérivés qui rapportent le plus » : l’huile essentielle et la concrète, un extrait obtenu par solvant qui, une fois filtré, donne « l’absolu » de rose, très prisé par la parfumerie de luxe.
Les exportations se résument pour l’essentiel à l’eau florale et aux fleurs séchées. Le reste est confidentiel : environ 50 kg par an pour l’huile essentielle, 500 kg pour la concrète, loin des volumes industriels bulgares et turcs, selon Fimarose.
« Les premiers acheteurs sont les touristes. Malheureusement, le COVID-19 bloque tout », explique Mohamed Kaci. Ce quadragénaire a débuté avec un alambic, il emploie aujourd’hui trente salariés dans son entreprise spécialisée dans les cosmétiques.
Avec la crise sanitaire, le prix des fleurs fraîches a baissé d’environ 30 % depuis la dernière saison, après un épisode de hausse lié aux efforts du ministère marocain de l’Agriculture pour développer la filière, attirer les investisseurs et augmenter les rendements : 3 600 tonnes de fleurs en 2020, sur environ 950 hectares, selon les chiffres de la fédération.
Mais Hafsa Chakibi reste optimiste. Cette Franco-Marocaine de 30 ans a créé sa société en 2016 après un diplôme universitaire en chimie, en tablant sur le bio, les petits volumes et la distillation « traditionnelle » en alambic de cuivre.
Son eau florale « pure et naturelle » a très vite trouvé des clients « qui cherchaient un plus » au Canada, en Chine, au Royaume-Uni, en France et aux Pays-Bas et elle espère se lancer « bientôt » dans la concrète bio, à plus forte valeur ajoutée.
Par Sophie Pons.
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