Coronavirus : l’Algérie proche du scénario catastrophe tunisien
« C’est une hécatombe. Les hôpitaux sont saturés et une fois que les malades entrent en réanimation, faute de moyens, ils ne ressortent pas. » Yasmina, médecin dans un hôpital public près d’Alger, a du mal à cacher sa détresse à Middle East Eye.
Selon elle, l’Algérie est en train de vivre « le scénario tunisien », en référence à la crise sanitaire aiguë que traverse depuis le mois de juin le pays voisin, classé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « premier pays dans le monde arabe et en Afrique » en nombre de décès et de contaminations au COVID-19.
« L’Algérie doit aussi être très proche du haut du classement », ajoute Yasmina, « car on ne peut pas se fier aux chiffres officiels, qui sont bien en deçà de la réalité. »
Alors que selon les chiffres officiels, les contaminations frôlent les 2 000 cas par jour, le chef de service immunologie au CHU de Beni Messous (Alger), le professeur Réda Djidjik, a expliqué dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux qu’il fallait multiplier les chiffres actuels par 30 pour se rapprocher de la réalité.
« Nous sommes probablement dans les 25 à 30 000 cas par jour, ce qui explique la saturation des hôpitaux », estime-t-il, en ajoutant que pour couper la chaîne de transmission, il faudrait arrêter toute activité et regroupement.
Les autorités ont décidé dimanche de revenir à un confinement de 20 h à 6 h dans les wilayas (préfectures) les plus touchées, et de prendre d’autres mesures comme la suspension des transports entre les régions confinées, la fermeture des espaces de loisirs, des plages, des salles de sports, la limitations de l’activité des restaurants et cafés à la vente à emporter et la réduction du nombre de prières collectives.
Pénurie d’oxygène
Depuis plusieurs jours, des médecins ont choisi de prendre la parole en s’exprimant dans des vidéos diffusées en ligne et décrivent une situation « intenable ».
Pour Karima Achour, chef du service de chirurgie thoracique à l’hôpital Lamine Debaghine à Bab El Oued, les hôpitaux vivent un « scénario dramatique ».
« Beaucoup de médecins sont morts, d’autres sont malades, donc nous sommes en train de travailler avec un strict minimum. Concernant les lits, c’est pire, car nous [sommes] saturés depuis des semaines. Il faut donc attendre qu’un patient meure en réanimation pour admettre un nouveau malade. On est souvent contraint de dire aux malades qu’il n’y a pas de place », déplore-t-elle.
Et la pénurie d’oxygène, nécessaire en cas de difficultés respiratoires, accentue la détresse.
« Il faut donc attendre qu’un patient meure en réanimation pour admettre un nouveau malade »
- Karima Achour, chef de service de chirurgie thoracique
« Mes deux tantes, contaminées au coronavirus, ont commencé à avoir des difficultés respiratoires quatre jours après avoir été testées positives », raconte Mohamed, 39 ans, employé dans le secteur de la communication.
« J’ai passé des heures au téléphone à chercher de l’oxygène. J’ai mobilisé tout mon entourage. Grâce à une annonce sur Facebook, j’ai été contacté par un homme qui venait de perdre son père. Il m’a donné des bouteilles d’oxygène vides que j’ai dû remplir au petit matin dans une entreprise privée. C’est le quotidien de beaucoup de personnes. Il ne faut surtout pas croire que ça n’arrive qu’aux autres. »
Cette semaine, une vidéo est devenue virale : on y voit des gens se ruer dans le plus grand chaos sur des bouteilles d’oxygène, au moment où le camion arrive, en pleine nuit, dans un établissement hospitalier à Aïn Taya, à l’est d’Alger.
« C’est effroyable. Mais il ne faut pas juger le comportement de ces personnes. Il faut se mettre à leur place. Une vie tient à cette bouteille d’oxygène et personne n’a envie de perdre un être cher », estime un internaute.
Si les autorités ont pris des mesures pour désengorger les hôpitaux en réaffectant des établissements hôteliers, pour augmenter la production d’oxygène, sa distribution, mais aussi pour importer plus facilement des concentrateurs d’oxygène, les Algériens ont aussi multiplié les actions de solidarité afin de répondre au plus vite aux appels à l’aide des parents de malades, des médecins ou des associations.
« Mon fil Facebook ? Un fil d’avis de décès ! »
L’utilisation des réseaux sociaux pour sensibiliser, informer, demander de l’aide est devenue vitale pour beaucoup.
« Des listes de numéros de téléphone circulent sur la toile. Il s’agit de contacts d’associations, de médecins, d’entreprises de location de concentrateurs d’oxygène, etc. C’est un travail de veille mené bénévolement par les internautes. Cette solidarité est admirable », commente un journaliste.
C’est aussi sur les réseaux sociaux que les mauvaises nouvelles circulent. « Mon fil d’actualité Facebook est devenu un fil d’avis de décès ! », se désole Naïma, le trentaine, responsable d’une entreprise culturelle.
Pour d’autres, ces avis de décès et témoignages d’expérience participent à éveiller les consciences.
« La cause première de la recrudescence des cas de contamination est le relâchement des citoyens. Le travail de sensibilisation n’a pas été fait comme il se doit », commente un médecin résident dans un direct en ligne.
Plusieurs initiatives d’aide aux personnes malades ont été lancées ces dernières semaines.
La campagne la plus médiatisée, soutenue particulièrement par l’influenceuse aux quatre millions d’abonnés Numidia Lezoul, a réussi à récolter plus de 500 000 euros en quelques jours.
Un groupe de médecins et scientifiques algériens établis à l’étranger, le collectif Algerian Medical Network, a aussi lancé une cagnotte en ligne pour l’achat de matériel d’oxygénothérapie.
Sur sa page Facebook, l’association nationale d’aide aux malades WinNelka (« où je peux trouver ») a publié le bilan de ses actions : elle a réussi à fournir 185 concentrateurs d’oxygène pour les patients atteints de COVID-19, de cancer ou souffrant de maladies respiratoires. Le montant de ces aides s’élève à 20 millions de dinars (125 000 euros), selon l’association.
Dans la wilaya de Béjaïa, l’association socioculturelle et sportive Soummam Solidarité a lancé un appel aux dons pour l’achat et l’installation d’une centrale de production d’oxygène médical au sein de l’hôpital de la commune d’Akbou. Grâce aux dons des opérateurs économiques de la région et la mobilisation des citoyens, la centrale a été achetée et installée en un temps record.
Cette solution d’urgence a très vite été reprise par d’autres wilayas de l’Est algérien, notamment Batna, Sétif et Biskra.
Une campagne de vaccination en masse a été lancée en juin dans la capitale. Des chapiteaux ont été installés sur les places publiques et dans les centres commerciaux.
Place du 1er Mai, à Alger-Centre, près de l’hôpital Mustapha-Pacha, les agents qui distribuent des tickets pour l’ordre de passage relèvent que le nombre de personnes se présentant pour se faire vacciner a visiblement augmenté après la fête de l’Aïd al-Adha.
Arrivée à 7 h, une dame obtient le numéro 108 : elle devra attendre jusqu’à 11 h.
« Je suis très vigilante. Depuis le début de la pandémie, je n’ai jamais négligé les gestes barrières. Au début de la vaccination, j’étais réticente. Je me disais qu’il suffisait que je continue à faire attention. Mais avec l’arrivée du variant Delta, et tout ce qu’on lit sur sa capacité à se propager, les gestes barrières ne sont plus suffisants pour y échapper », confie-t-elle à MEE.
Selon l’Institut pasteur d’Algérie, depuis le début du mois de juillet, le variant Delta est le plus répandu en Algérie. Il représente 71 % des variants existants et pourrait atteindre les 91 % dans les semaines à venir. Pour le directeur de l’institut, Fawzi Derrar, la dangerosité de ce variant réside dans sa capacité à se propager.
Selon une jeune femme chargée de la vaccination, les personnes qui se présentent sont parfaitement conscientes de la gravité de la situation.
« On nous pose énormément de questions au sujet de l’efficacité du vaccin contre les variants », explique-t-elle à MEE. « Les gens se demandent également comment agir si la contamination se produit entre les deux doses. On essaie de répondre à leurs questions et, surtout, de les mettre en garde contre le relâchement. Beaucoup pensent que le vaccin est efficace contre le virus. Et c’est ce qui nous inquiète le plus… »
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