« Il s’agit d’un islam colonial » : le FORIF fait craindre une mise sous tutelle du culte musulman
Exit le CFCM (Conseil français du culte musulman). Place au FORIF (Forum de l’islam de France), lancé samedi 5 févier à Paris par le ministre français de l’Intérieur.
Devant une assistance d’environ 80 personnes (imams, aumôniers, dirigeants de mosquées et d’associations cultuelles musulmanes, représentants de fédérations, personnalités politiques et de la société civile), réunies dans l’enceinte auguste du palais d’Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Gérald Darmanin a déroulé les contours de ce qui est considéré comme le nouveau format de dialogue des instances étatiques avec les musulmans.
« Désormais, il n’y aura plus, pour le gouvernement de la République, un représentant unique du culte musulman compétant sur tous les sujets, mais des collectifs organisés par thématiques pour obtenir des résultats concrets et qui se réuniront quand ils le souhaiteront à échéances régulières », a fait savoir le ministre, indiquant que le CFCM (qui avait été créé par son mentor, l’ex-président Nicolas Sarkozy, du temps où il était lui-même ministre de l’Intérieur) aura rempli son rôle et que des conclusions ont été tirées.
Selon Gérald Darmanin, le plus grand tort du CFCM est d’avoir été un instrument aux mains de pays musulmans influents tels que le Maroc, la Turquie et l’Algérie, et donc le porte-voix d’un islam « consulaire », marqué notamment par l’emploi dans les mosquées d’imams détachés de ces pays.
« Personne ne comprendrait que l’on continue de discuter des conditions de l’islam français avec des États étrangers, tout amis ou tout alliés qu’ils fussent. Notre conviction est que l’islam de France ne doit concerner que la France et les musulmans français. Permettre le contraire et continuer à accepter les influences étrangères, c’est accepter l’idée que l’islam est une religion d’étrangers », a déclaré Darmanin, soulignant que la moitié des musulmans de France étaient nés sur le territoire et qu’« aucun pays n’a[vait] de droits sur eux ».
« Notre conviction est que l’islam de France ne doit concerner que la France et les musulmans français. Permettre le contraire et continuer à accepter les influences étrangères, c’est accepter l’idée que l’islam est une religion d’étrangers »
- Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur
Pour les représenter, le gouvernement souhaite accueillir au sein du FORIF « tous les acteurs constructifs, indépendants, ouverts, fédérations comme mosquées indépendantes, s’inscrivant parfaitement dans la République » et « qui tirent leur légitimité de leur travail de terrain ».
« Depuis un an, nous travaillons à cela. Et les mosquées indépendantes, qui représentent plus de 60 % des mosquées qui ne sont pas affiliées à une fédération, je crois, sont heureuses que nous ouvrions les champs des représentants d’aujourd’hui », a noté Gérald Darmanin dans son discours.
Les membres du FORIF désignés par les préfets
Le Forum de l’islam de France a vocation à se réunir solennellement, une fois par an, sous les auspices du ministère de l’Intérieur, qui a mis sur pied quatre groupes de travail (composés de responsables de mosquées et d’associations cultuelles) sur la professionnalisation et le recrutement des imams, le fonctionnement et la gestion des aumôneries, la lutte contre les actes antimusulmans et l’adaptation des associations gérant les lieux de culte aux nouvelles exigences de la loi confortant le respect des valeurs de la République (dite contre le séparatisme).
D’après Gérald Darmanin, les thématiques abordées sont appelées à évoluer, tout comme la composition des groupes de travail.
« Si vous le souhaitez, le bureau central des cultes est à votre disposition », a suggéré le ministre, tout en réfutant l’idée que les pouvoirs publics auraient l’intention d’interférer dans l’organisation du culte musulman.
« C’est à vous, musulmans, que revient la responsabilité de vous organiser […] L’État est seulement légitime […] pour faire respecter l’ordre public dans un cadre renforcé par la loi confortant le respect des valeurs de la République », s’est défendu Darmanin.
Pourtant, c’est bien son département qui est à l’origine du FORIF, et qui élabore son agenda, valide ses thématiques et, surtout, choisit ses membres.
Dans un communiqué de presse, le ministère de l’Intérieur révèle en effet que les préfets « ont identifié – lors des Assises territoriales de l’islam de France en 2021 – les associations locales représentatives ou les acteurs locaux du culte musulmans susceptibles de contribuer aux groupes de travail ».
« Le FORIF n’est pas la représentation de l’islam de France. Nous sommes dans un pays démocratique et cela doit aussi s’appliquer à l’islam. Des élections devraient se tenir au niveau des départements »
- Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon
Parmi les personnes sélectionnées, Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, pense néanmoins qu’il faut permettre aux musulmans de choisir eux-mêmes leurs représentants.
« Le FORIF n’est pas la représentation de l’islam de France. Nous sommes dans un pays démocratique et cela doit aussi s’appliquer à l’islam. Des élections devraient se tenir au niveau des départements », a-t-il préconisé devant les journalistes au palais d’Iéna.
Dans une discussion avec Middle East Eye, le président sortant du CFCM, Mohammed Moussaoui, plaide lui aussi pour un modèle électif permettant aux mosquées d’élire des conseils régionaux, puis une instance nationale, représentative de tout le territoire.
« J’ai bien précisé au ministre de l’Intérieur au cours d’une entrevue début janvier que les musulmans eux-mêmes doivent choisir leurs représentants », affirme notre interlocuteur.
Dissolution compromise du CFCM ?
De toute évidence, il n’a pas été écouté. À la place, Mohammed Moussaoui devra signer officiellement l’avis de décès du CFCM, le 19 février, au cours d’une assemblée générale extraordinaire du bureau exécutif.
L’opération semble néanmoins compromise compte tenu du refus de certains membres du bureau d’y souscrire.
« Il faut redonner aux musulmans la possibilité de s’organiser à la base, avec des élections [et ne pas] diriger les musulmans français comme s’ils étaient des mineurs »
- Abdallah Zekri, président de l’Observatoire de lutte contre l’islamophobie
« Sans l’accord des deux tiers du bureau, la dissolution du CFCM n’est pas valide », confie à MEE Abdallah Zekri, délégué général du Conseil et président de l’Observatoire de lutte contre l’islamophobie (OLCI).
Il estime pour sa part qu’il est encore temps de sauver le CFCM, en changeant ses statuts et en révoquant le système de cooptation qui a permis aux présidents des fédérations, « des barons » selon lui, d’avoir une mainmise sur la gestion du culte musulman en France.
« Il faut redonner aux musulmans la possibilité de s’organiser à la base, avec des élections », estime Abdallah Zekri, qui dénonce la volonté du gouvernement français, à travers le FORIF, de « diriger les musulmans français comme s’ils étaient des mineurs ».
« Il s’agit d’un islam colonial et c’est insultant », s’indigne-t-il.
À la question de savoir si l’éventuelle dissolution du CFCM ne risque pas d’entraîner dans son sillage la disparition de l’OLCI, Abdallah Zekri rappelle qu’une convention datant de 2011 lie toujours l’Observatoire au ministère de l’Intérieur.
« C’est tant mieux si les pouvoirs publics veulent toujours travailler avec nous. Dans le cas contraire, je continuerai à dénoncer les actes antimusulmans et à me porter partie civile devant les tribunaux », promet-il.
De fait, le terme « islamophobie » n’apparaît pas dans les missions du FORIF. Il est remplacé par « actes antimusulmans », une expression que certains défenseurs des droits trouvent édulcorée.
Mais celle-ci risque moins d’attirer les foudres de l’extrême droite, dont le discours a trouvé comme un écho dans les paroles de Gérald Darmanin au palais d’Iéna, qui a accusé « les populistes et les islamistes » d’avoir « le même objectif : ne plus vivre dans une république laïque ».
Selon les observateurs, en organisant le FORIF, le gouvernement veut montrer qu’il peut à la fois protéger les institutions et permettre aux Français d’exercer leurs cultes. À quelques semaines de l’élection présidentielle, l’engagement prend l’allure d’une promesse… électorale du chef de l’État Emmanuel Macron, qui devrait se présenter à un second mandat.
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