« Ce sont des prisons » : en Arabie saoudite, les femmes dénoncent les maltraitances dans les foyers
Dans l’obscurité, on n’entend que le bruit de la circulation. Un tube fluorescent dont la lumière vacille révèle ensuite l’intérieur d’une cabane de gardien abandonnée, en bas de la rue où trône un centre commercial de luxe. C’est là que réside Aisha Alnijbany depuis quatre jours.
« Je veux poser une question à mes followers », lance-t-elle face à l’écran. « Une famille abandonne sa fille dans un orphelinat, un foyer pour femmes, n’importe où. Lorsque vous partez, est-il normal qu’ils attendent de vous que vous retourniez dans votre famille ? Ou l’entière responsabilité incombe-t-elle toujours à cet établissement public ? »
Depuis le début de l’année, Aisha, 22 ans, raconte son histoire et sa vie de sans-abri depuis les rues de Riyad, en Arabie saoudite, à travers treize heures de vlogs compilés sur Instagram.
Alors qu’elle avait 3 ans, son père l’a abandonnée dans un foyer public, où elle a passé les dix-sept années suivantes. Lorsqu’elle a dénoncé les conditions de vie dans ce foyer en publiant des photos de cadenas et de chaînes, en utilisant des hashtags pour attirer l’attention sur sa situation et en affirmant qu’elle était emprisonnée, elle a été envoyée en prison pendant un an et demi.
Elle s’est ensuite vu infliger une interdiction de voyager de dix ans et a été relâchée dans la rue.
« Vous me faites ça parce que j’ai revendiqué ma liberté et mes droits ? » s’interroge-t-elle.
Soumises à la décision d’un tuteur
Ses vidéos suscitent des discussions et une vague de soutien parmi les militantes et les observatrices saoudiennes, qui affirment n’avoir jamais rien vu de tel : une sans-abri saoudienne qui médiatise son histoire.
Elle est peut-être aussi la parfaite illustration de l’échec de ces foyers, censés protéger les femmes et les jeunes filles les plus vulnérables du royaume.
« Ce sont des prisons », a déclaré la militante et journaliste saoudienne Khulud al-Harithi dans un espace Twitter organisé en avril par ALQST, un groupe de défense des droits de l’homme établi à Londres, dans lequel le cas d’Aisha a notamment été évoqué.
« C’est comme s’ils vous punissaient parce que vous avez été maltraitée et que vous n’avez pas de famille. Ils ne méritent pas d’être qualifiés de foyers »
- Khulud al-Harithi, la militante et journaliste saoudienne
« C’est comme s’ils vous punissaient parce que vous avez été maltraitée et que vous n’avez pas de famille. Ils ne méritent pas d’être qualifiés de foyers. »
Les raisons pour lesquelles une femme ou une jeune fille peut se retrouver dans un foyer public en Arabie saoudite sont multiples. Elles peuvent fuir des violences domestiques. Elles peuvent être soupçonnées d’avoir commis un crime et attendre d’être inculpées.
Mais elles peuvent aussi avoir « désobéi » à leur tuteur masculin, avoir tenté de s’enfuir de chez elles ou, comme Aisha, avoir été abandonnées, explique Rothna Begum, chercheuse principale spécialiste des droits des femmes pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch.
« Il se peut qu’elles aient protesté ou qu’elles aient bravé l’interdiction de conduire, ce qui peut les amener à y passer un certain temps », souligne-t-elle. « Il se peut que leur famille les ait abandonnées dans un poste de police et ne veuille rien savoir d’elles, alors la police les y emmène. »
Une fois dans le foyer, elles sont enfermées jusqu’à ce qu’un tuteur masculin, souvent la même personne qui les maltraitait, accepte de les laisser sortir, ou jusqu’à ce qu’elles acceptent de se marier et de se soumettre à un nouveau tuteur.
Parallèlement aux réformes en faveur des droits des femmes qui ont fait les gros titres ces dernières années en Arabie saoudite, des jeunes filles et des femmes vivant dans les foyers ont mis fin à leurs jours, se sont insurgées pour réclamer de meilleures conditions de vie, ont tenté de s’échapper ou ont été tuées par des proches peu après leur libération.
« Un climat de peur et de répression »
Et pourtant, ces foyers poursuivent leurs activités sans la moindre réforme, affirment des activistes saoudiens, des chercheurs spécialistes des droits de l’homme ainsi que des femmes qui y ont vécu.
Non seulement ces foyers publics poursuivent leurs activités sans aucun changement malgré le déploiement du projet de modernisation amorcé par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, mais la situation des femmes les plus vulnérables du royaume se serait considérablement aggravée à la suite de l’arrestation très médiatisée de militantes féministes en 2018.
Plusieurs des militantes arrêtées faisaient partie du groupe qui avait lancé une pétition populaire auprès du roi Abdallah en 2014, réclamant notamment la possibilité pour les femmes d’accéder aux foyers dès qu’elles en avaient besoin, sans devoir faire l’objet d’une enquête de l’État, mais aussi de partir dès qu’elles le souhaitaient sans devoir se soumettre à un tuteur masculin.
« Si vous parlez, l’affaire n’est plus la vôtre. C’est l’image d’un pays qui est en question. Ils pourraient vous traiter exactement comme une militante »
- Hala Dosari, militante et chercheuse saoudienne
Cette pétition n’ayant pas abouti, elles ont œuvré à la mise en place d’une alternative à but non lucratif aux foyers publics qui devait être baptisée Aminah (en sécurité).
Elles avaient obtenu un terrain avec l’aide d’un philanthrope, tandis que des responsables du ministère des Affaires sociales avaient indiqué aux activistes qu’ils s’apprêtaient à approuver leur demande. Deux mois plus tard, les militantes ont été arrêtées.
L’un des chefs d’accusation retenus contre les militantes est qu’elles ont tenté de créer une association – qui n’est pas nommée – au mépris de la réglementation saoudienne. Waleed al-Hathloul, le frère de Loujain al-Hathloul, l’une des militantes arrêtées, a écrit dans un article qu’il pensait que le travail de sa sœur autour d’Aminah « était l’une des principales raisons » de son arrestation.
Pour les jeunes filles et les femmes saoudiennes qui tentent de fuir les mauvais traitements qu’elles subissent, l’impact des arrestations ne s’est pas limité à l’abandon du projet Aminah, indiquent des activistes à MEE.
Un réseau de femmes d’influence saoudiennes qui utilisaient leur position et leur richesse pour soutenir discrètement des jeunes filles et des femmes prises au piège entre leur bourreau et les mauvais traitements commis dans les foyers a brusquement cessé d’apporter son aide.
Par ailleurs, des responsables d’organismes publics qui avaient apporté leur aide à des femmes sous le manteau ont été convoqués pour être interrogés.
« Ce climat de peur et de répression a tué le sentiment d’urgence pour celles qui survivent à des violences ou les femmes traitées injustement par le système juridique », affirme Hala Dosari, militante et chercheuse saoudienne de premier plan qui avait contribué à l’organisation du projet Aminah.
« Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis abattue lorsque je reçois ces mails que je recevais déjà avant. Avant, je les orientais vers des sources de soutien adéquates. Désormais, il n’y en a plus, mais je reçois toujours les mêmes mails. »
Le message implicite adressé aux filles et aux femmes qui tentent d’échapper à des mauvais traitements subis chez elles est qu’elles doivent se taire. « Elles n’ont pas la possibilité de parler. Si vous parlez, l’affaire n’est plus la vôtre. C’est l’image d’un pays qui est en question. Ils pourraient vous traiter exactement comme une militante. »
La vie dans les foyers
Il existe plusieurs types de foyers publics en Arabie saoudite, notamment les structures appelées Dar al-Reaya (foyer de soins ), un ensemble d’établissements répartis dans tout le royaume qui accueillent des jeunes filles et des femmes âgées de 7 à 30 ans, qu’Aisha a connu pendant dix-sept ans.
Selon le ministère des Ressources humaines et du Développement social, qui gère ce dispositif, seuls deux profils de jeunes filles et de femmes se présentent à ces foyers. Il y a les Saoudiennes « souffrant de circonstances sociales et psychologiques défavorables qui les font trébucher et dévier du droit chemin » et qui ont besoin « de soins adéquats, d’une réadaptation sociale et d’un renforcement de leur foi religieuse ». Et il y a les délinquantes.
À leur arrivée, leur téléphone est confisqué et il arrive que des femmes et des jeunes filles soient fouillées à nu et même placées en isolement avant d’entrer dans le secteur principal
Ces deux profils doivent être remis sur le « bon chemin », indique le ministère. « Si la fille est corrigée, la famille sera corrigée et par conséquent, la société aussi. »
Néanmoins, selon des activistes et des chercheuses qui échangent depuis des années avec d’anciennes détenues, ces établissements ne sont pas les foyers ou les lieux de réinsertion présentés par l’État, mais plutôt des centres de détention où les mauvais traitements sont monnaie courante.
À leur arrivée, leur téléphone est confisqué et il arrive que des femmes et des jeunes filles soient fouillées à nu et même placées en isolement avant d’entrer dans le secteur principal.
Selon un rapport publié l’an dernier par ALQST, des femmes ont déclaré avoir été privées d’activités récréatives et ne pas avoir pu poursuivre leurs études au sein d’un Dar al-Reaya. Elles ont également décrit des châtiments cruels : certaines ont notamment été contraintes de rester debout pendant six heures d’affilée.
La situation est particulièrement sombre pour les victimes de violences domestiques. Selon les activistes et chercheuses interrogées, au lieu de se voir offrir une protection, les jeunes filles et les femmes qui tentent d’y échapper sont encouragées à se réconcilier avec leur tuteur ou leur famille et peuvent voir leur détention prolongée si elles résistent.
Une femme détenue au sein d’un Dar al-Reaya a raconté à Rothna Begum que dans l’établissement où elle était détenue, les jeunes filles et les femmes détenues depuis plus d’un mois et qui refusaient une réconciliation pouvaient être punies, par exemple par des flagellations régulières ou un placement en isolement, jusqu’à ce qu’elles acceptent de céder.
Selon la femme qui s’est entretenue avec Rothna Begum, des châtiments similaires sont également infligés aux détenues ayant commis une infraction au sein du foyer, par exemple si elles ne lisent pas le Coran tous les jours ou si elles ont eu une relation sexuelle avec une codétenue.
Des caméras installées partout, même dans les toilettes
D’après une ancienne détenue interrogée par Raseef22, placée dans un Dar al-Reaya après que sa famille a porté plainte contre elle pour s’être absentée alors qu’en réalité, elle voulait dénoncer les mauvais traitements qu’elle subissait, le dispositif d’isolement cellulaire déployé dans l’établissement qu’elle a fréquenté est constitué d’« un matelas au milieu d’une salle de bain » avec des caméras installées partout, même dans les toilettes.
Si un homme de la famille n’est pas disponible ou refuse de signer l’accord de libération d’une femme ou d’une jeune fille au bout de quelques mois ou après que la détenue a atteint l’âge de 30 ans, elle est transférée dans un Dar al-Theyafa, un autre type de foyer public, où elle peut rester beaucoup plus longtemps – et dont elle peut parfois ne jamais ressortir.
Les hommes qui se présentent généralement pour épouser une femme du foyer ont du mal à trouver une épouse dans d’autres circonstances. Il peut s’agir de criminels condamnés qui ont fait de la prison, ou d’hommes à la recherche d’une deuxième ou troisième épouse
« D’après une femme, c’est pire que les Dar al-Reaya, ce qui est assez difficile à imaginer, puisque quand on entend parler de flagellations et d’isolement cellulaire, comment cela pourrait-il être pire ? », s’interroge Rothna Begum. « Mais ce que j’ai entendu, c’est que les Dar al-Theyafa sont plus déprimants, parce que les femmes y restent pendant des mois voire des années, des périodes vraiment longues. »
Comme dans un Dar al-Reaya, les femmes – qui peuvent aussi avoir des enfants avec elles – ne peuvent pas sortir de l’établissement et ne peuvent partir qu’avec l’accord de leur tuteur ou si elles se marient, souvent sous la contrainte des employés du foyer, indique Hala Dosari.
« Les responsables et les services sociaux considèrent qu’ils permettent ainsi aux femmes de vivre dans un environnement sûr au lieu de les livrer à elles-mêmes », souligne-t-elle.
Les hommes qui se présentent généralement pour épouser une femme du foyer ont du mal à trouver une épouse dans d’autres circonstances, explique Rothna Begum. Il peut s’agir de criminels condamnés qui ont fait de la prison, ou d’hommes à la recherche d’une deuxième ou troisième épouse.
Étant donné la situation précaire des femmes, poursuit Rothna Begum, ces hommes les voient comme des proies plus faciles : « Je la sauve d’une vie d’emprisonnement. Elle sera donc plus disposée à m’épouser », raisonnent-ils selon la chercheuse.
Hala Dosari estime qu’il n’est pas surprenant que certaines femmes choisissent de retourner chez elles ou chez le bourreau qu’elles ont fui. « C’est un système très faible. C’est pourquoi la plupart des femmes se retrouvent dans une boucle, en fait. Elles ne peuvent pas vraiment s’en extirper », ajoute-t-elle.
Si l’on s’en tient aux seuls chiffres, le pourcentage de jeunes filles et de femmes saoudiennes détenues dans des foyers publics est très faible. En 2016, la dernière fois que des chiffres ont été rendus publics, 233 jeunes filles et femmes – sur une population de plus de treize millions de Saoudiennes à l’époque – étaient détenues dans sept établissements du royaume.
Une force de dissuasion
Deux ans plus tard, un responsable du ministère des Ressources humaines et du Développement social a déclaré au site d’information saoudien al-Madina que cinq autres établissements seraient loués, en partie pour disposer d’un espace permettant de placer en détention les femmes – désormais autorisées par la loi à conduire – qui enfreignent le code de la route.
On ignore si le royaume a donné suite à ce projet, combien d’établissements sont ouverts à l’heure actuelle, ni combien de jeunes filles et de femmes y sont actuellement détenues. Aucune donnée n’a été publiée depuis 2016 et les autorités saoudiennes n’ont pas répondu à la demande de commentaires formulée par Middle East Eye dans le cadre de cet article.
« C’est toi, la petite fille désobéissante. C’est toi, l’épouse désobéissante. C’est toi, la femme. Tu dois faire des compromis. Tu dois écouter. Tu dois revoir tes exigences à la baisse. Tu dois céder davantage. Tu dois être plus indulgente »
- Thoraya, une Saoudienne
Selon des Saoudiennes interrogées par MEE, les chiffres ne rendent pas compte de la puissance de ces foyers en tant que force de dissuasion dans un royaume qui continue d’être régi par des mesures de tutelle discriminatoires et répressives.
Le fait de fuir ou de dénoncer les mauvais traitements dont on est victime est quelque chose de très rare dans la société saoudienne.
« Les gens ne diront pas : “Oh, elle est partie de chez elle parce que son père la maltraite. Honte à lui !” Ils diront : “Regardez cette fille, elle est partie.” Elle est partie de chez elle parce qu’elle voulait vivre librement. On lui reprochera des choses auxquelles elle n’a jamais pensé », explique Thoraya*, une Saoudienne qui s’exprime sous couvert d’anonymat par crainte de représailles de la part du gouvernement si elle vient à s’exprimer publiquement.
« C’est toi, la petite fille désobéissante. C’est toi, l’épouse désobéissante. C’est toi, la femme. Tu dois faire des compromis. Tu dois écouter. Tu dois revoir tes exigences à la baisse. Tu dois céder davantage. Tu dois être plus indulgente. »
Thoraya raconte que son père, de bonne éducation et ayant derrière lui une carrière professionnelle solide, l’a un jour menacé de l’envoyer dans un Dar al-Reaya. « Je me souviens qu’il m’a dit : “Tu te maries avec ce type ou je t’envoie là-bas !” », raconte-t-elle.
Ces foyers servent ainsi de menace latente qui permet aux tuteurs de maintenir leur emprise sur des jeunes filles et des femmes issues de différents milieux socio-économiques et géographiques. Celles qui se retrouvent dans ces foyers sont dans une situation de désespoir totale.
« En général, les filles qui se trouvent dans ces situations n’auront jamais la possibilité de s’exprimer. Les filles qui y entrent sont celles qui se font vraiment battre et maltraiter. Si elles sortent, elles n’ont aucun moyen de parler à qui que ce soit », souligne Thoraya.
Fuir pour être libre
Les foyers ne sont qu’une pièce parmi d’autres du système de tutelle du royaume, constitué d’un ensemble de lois, de politiques et de pratiques vieilles de plusieurs décennies qui, comme dans la plupart des pays du Golfe, obligent les femmes à obtenir la permission d’un tuteur masculin pour de nombreux actes au cours de leur vie.
Rothna Begum estime cependant qu’ils jouent un rôle particulièrement important, dans la mesure où ils contribuent à maintenir le système en favorisant les violences domestiques par leur inefficacité.
« Les autorités font respecter le système de tutelle masculine en forçant les femmes à retourner dans leur famille ou à trouver un nouveau tuteur, mais toujours avec l’idée de les garder dans cet espace », affirme-t-elle.
Le choix difficile auquel sont confrontées les femmes et les jeunes filles saoudiennes se traduit par une augmentation significative du nombre de celles qui ont fui le royaume au cours des dernières années, notamment en 2019 : au cours de cette « année des fugueuses », plusieurs Saoudiennes en quête de sécurité ont médiatisé leur fuite sur les réseaux sociaux.
En janvier 2019, Rahaf Mohammed s’est barricadée dans une chambre d’hôtel près d’un aéroport thaïlandais pour ne pas être ramenée chez elle, avant de trouver refuge au Canada. Ensuite, en avril, les sœurs Wafa et Maha al-Subaie ont imploré l’aide de la Géorgie, où elles s’étaient réfugiées.
En juin, Dua et Dalal al-Showaiki ont demandé à leurs followers de leur venir en aide après avoir échappé à leur famille pendant des vacances en Turquie.
Bien entendu, il y a toujours eu des Saoudiens qui ont vécu à l’étranger, mais ce qui change aujourd’hui, c’est que beaucoup de personnes qui partent demandent l’asile. « Demander l’asile, c’est un signe de désespoir, souligne Hala Dosari. C’est quelque chose qui n’est jamais arrivé en Arabie saoudite. »
Le nombre de demandeurs d’asile a considérablement augmenté
Selon les chiffres de l’ONU, le nombre de demandeurs d’asile saoudiens a considérablement augmenté à partir de 2015, année de l’arrivée au pouvoir du roi Salmane.
Cette année-là, 395 Saoudiens ont fui le pays, mais chaque année depuis – à l’exception de 2020 et 2021, dans le contexte de la pandémie –, ce chiffre est resté constamment élevé.
« C’est triste de voir qu’en tant que Saoudiennes, la première chose que nous devons faire pour nous protéger est de fuir notre pays et de perdre notre citoyenneté », déplore Khulud al-Harithi, militante et journaliste saoudienne.
« Pourquoi le gouvernement défend-il un citoyen au détriment d’un autre juste parce que ce dernier est une femme ? »
- Khulud al-Harithi, militante et journaliste saoudienne
« Nous venons d’un pays où il n’y a pas de guerres ou de crises qui pourraient obliger une femme à demander l’asile. Alors pourquoi devons-nous perdre notre citoyenneté ? Pourquoi le gouvernement défend-il un citoyen au détriment d’un autre juste parce que ce dernier est une femme ? »
Hala Dosari se voit souvent confier la rédaction de lettres d’expertise pour des demandeuses d’asile, le nombre de demandes ayant également grimpé en flèche.
« Je reçois de plus en plus de demandes de ce type », précise-t-elle. Par ailleurs, la protection offerte par l’asile n’est pas garantie aux femmes et aux jeunes filles saoudiennes, malgré l’impact clair et ininterrompu de la réglementation en matière de tutelle.
Bethany al-Haidari, responsable des dossiers saoudiens pour The Freedom Initiative et chercheuse principale spécialiste du trafic d’êtres humains à la Human Rights Foundation, deux organisations établies aux États-Unis, affirme avoir connaissance de plusieurs cas récents de demandes d’asile en Arabie saoudite dans lesquels les demandeurs éprouvent des difficultés à convaincre les juges qu’un retour dans le royaume serait dangereux.
Les États-Unis, précise-t-elle, présentent déjà l’un des pires taux d’approbation des demandes d’asile saoudiennes, mais les choses se sont encore compliquées, en particulier pour les femmes.
« Je connais quelques cas, des personnes qui en sont à leur deuxième ou troisième appel et qui sont tout simplement terrifiées à l’idée de rentrer chez elles mais qui sont sur le point d’abandonner », indique-t-elle.
« C’est difficile à expliquer à un juge américain qui s’attend à ce que le système juridique soit simple, tel qu’il est présenté et rédigé. Ce n’est tout simplement pas le cas sur le terrain [en Arabie saoudite]. »
Les Saoudiens doivent se battre pour éviter d’être renvoyés dans des situations dangereuses, une situation causée par les manœuvres de relations publiques mises en place par l’Arabie saoudite à la suite de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
Ces campagnes ont « des répercussions réelles sur le terrain en Arabie saoudite ainsi qu’ici pour les familles qui tentent d’obtenir la protection des États-Unis en demandant l’asile ».
Selon Hala Dosari, c’est là que résident le pouvoir et l’impact de la réduction au silence des femmes et des jeunes filles les plus vulnérables du royaume, qui sont enfermées dans des foyers alors même que le gouvernement fait la promotion d’images de femmes qui assistent à des concerts, roulent en voiture et occupent des emplois.
« Il n’y a pas de contre-discours qui montre réellement la vérité. Les gens ne sont pas prêts à prendre le risque, poursuit-elle. Et c’est un risque. »
Personne ne le sait mieux qu’Aisha Alnijbany, qui aujourd’hui encore, erre dans les rues de Riyad et continue de prendre la parole et de chercher un refuge.
* Le nom a été modifié afin de protéger l’anonymat de cette source.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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