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Il y a 200 ans, le Français Champollion déchiffrait les hiéroglyphes de l’Égypte pharaonique

En septembre 1822, le jeune Jean-François Champollion déchiffre enfin les hiéroglyphes à la suite de dix-sept années de labeur et d’acharnement, devenant le « père » de l’égyptologie moderne
Un buste de Jean-François Champollion au Musée égyptien de la capitale égyptienne, avec à ses côtés le décret de Canope, inscrit sur une stèle. Ayant un plus grand nombre de hiéroglyphes différents que la pierre de Rosette, cette stèle s’est avérée cruciale pour déchiffrer l’écriture (AFP/Amir Makkar)
Un buste de Jean-François Champollion au Musée égyptien du Caire, avec à ses côtés le décret de Canope, inscrit sur une stèle. Présentant un plus grand nombre de hiéroglyphes différents que la pierre de Rosette, cette stèle s’est révélée cruciale pour déchiffrer l’écriture (AFP/Amir Makkar)

Rien ne destinait a priori Jean-François Champollion, fils de petits bourgeois provinciaux du Sud-Ouest de la France, à devenir le spécialiste d’un pays distant de plus de 4 000 km. Champollion naît à Figeac, dans le Lot, en 1790, dans une France alors en plein remous révolutionnaires.

Il a 8 ans au début de la campagne d’Égypte, l’expédition militaire menée par le général Napoléon Bonaparte et ses successeurs, de 1798 à 1801, dans le but de s’emparer du pays et de terres d’Orient et de barrer la route des Indes à la Grande-Bretagne.

Éduqué par son grand-frère Jacques-Joseph, érudit autodidacte et grand passionné d’Égypte, puis auprès d’un abbé à Grenoble, le jeune Champollion se distingue rapidement par son intérêt pour les langues, surtout pour le copte, qu’il affectionne particulièrement.

Jean-François apprend également l’hébreu, l’arabe et le kurde, mais aussi le syriaque et le chaldéen, en plus du latin et du grec. C’est un esprit brillant et précoce. Il devient membre de l’Académie des sciences et des arts de Grenoble, une société savante, en 1808, puis, un an plus tard, professeur adjoint à l’université de Grenoble

Sa passion pour les langues le conduit à tenter de percer le mystère des hiéroglyphes, qui passionne l’humanité depuis des siècles, y consacrant dix-sept années de sa vie. Lorsqu’il y parvient enfin en septembre 1822, non seulement il n’est âgé que de 32 ans, mais il n’a jamais encore mis un pied en Égypte.

À l’occasion du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion, Middle East Eye revient sur cette incroyable découverte qui donnera naissance à l’égyptologie moderne.

L’expédition d’Égypte et la pierre « de Rosette »

C’est la fameuse pierre de Rosette qui permet cette avancée historique sur le plan de la compréhension et de la connaissance de la formidable culture égyptienne ancienne

Champollion
Un portrait de Champollion, par le peintre Léon Cogniet, réalisé en 1831 (Wikimedia Commons)

La pierre de Rosette prend son nom du site où elle est découverte le 15 juillet 1799, dans la ville de Rashid, située à 65 km à l’est d’Alexandrie, dans le delta du Nil, pendant l’expédition de Bonaparte.

Pierre-François-Xavier Bouchard, un officier de l’armée française, la trouve lors de travaux entrepris dans un fort. Rapidement, la portée scientifique de cette découverte s’installe dans les esprits.

La pierre renforce l’expédition militaire de Bonaparte, lancée un an plus tôt, qui se réclame tant d’une ambition stratégique que de l’avancée de la science et des Lumières, puisque plus de 160 savants et scientifiques – ingénieurs, botanistes, chimistes, mathématiciens, etc., d’une moyenne d’âge de 23 ans – accompagnent les quelque 50 000 soldats tricolores.

 Une photo prise en 2008 à l’Institut du monde arabe à Paris, montre un bronze de Napoléon Bonaparte dans le cadre de l’exposition « Bonaparte et l’Égypte, feu et lumières » (AFP/Boris Horvat)
Une photo prise en 2008 à l’Institut du monde arabe à Paris montre un bronze de Napoléon Bonaparte dans le cadre de l’exposition « Bonaparte et l’Égypte, feu et lumières » (AFP/Boris Horvat)

Ces derniers ont pour mission de couper les routes commerciales des Britanniques, hostiles à la Révolution française, et d’ouvrir un autre front hors du sol européen pour épuiser l’ennemi. Bonaparte ambitionne également de favoriser la possibilité d’une nouvelle colonie pour la France et un accès à la mer Rouge.

L’histoire égyptienne a toujours fasciné les imaginaires, et la France, à travers Bonaparte, aspire aussi à exporter la civilisation française et occidentale aux Égyptiens, un peuple qualifié alors de « demi-barbare et demi-civilisé ».

Si la pierre extraite à Rosette n’est pas intacte, ce fragment de 196 av. J.-C., dont on saura par la suite grâce à Champollion qu’il s’agit d’un décret des prêtres de Memphis à l’attention du pharaon Ptolémée V et qui à l’origine se trouvait vraisemblablement dans un temple, contient un trésor : une inscription trilingue.

Dans la pierre, sont gravés des hiéroglyphes, mais également de l’égyptien démotique – langue parlée à l’époque, écrite en caractères cursifs simplifiés – ainsi que du grec ancien, bien connu des Européens, introduit en Égypte par le Macédonien Alexandre le Grand, qui marche sur le pays en 332 av. J.-C., fondant la ville d’Alexandrie.

En septembre 1801, à la suite du siège d’Alexandrie, la France capitule face à l’ennemi britannique et son allié ottoman. C’est en vertu du traité de paix signé entre les parties que la pierre de Rosette est transportée au British Museum en 1802, où elle devient une pièce phare de la collection au sein d’une nouvelle galerie créée spécifiquement pour accueillir l’objet de 800 kg et d’autres sculptures.

Champollion sur la trace des hiéroglyphes

Sur la pierre de granodiorite, on retrouve, de haut en bas, 14 lignes de hiéroglyphes, 32 lignes en démotique et 54 lignes de grec ancien.

Différentes empreintes du décret de Rosette ont été prises par les Français avant la remise de la pierre à la Grande-Bretagne, car le traité autorise la France à garder les écrits et notes de ses scientifiques mais non les objets physiques, ce qui permettra à Champollion un examen attentif des signes sur la base de reproductions, en l’absence d’une consultation personnelle de l’objet.

Les hiéroglyphes sont un système d’écriture basé sur des symboles figuratifs. Un signe peut être simple ou composé, et signifie un mot ou une idée par effet visuel (une image égale une idée) ou phonétique (un signe égale un son).

L’utilisation historique des hiéroglyphes correspond à l’époque de l’ancienne Égypte (3 000-30 av. J.-C.[FA1] ), jusqu’à la conquête romaine et l’ascendant du christianisme sur les cultes païens et les temples traditionnels, où dominera alors la langue copte.

 La pierre de Rosette, présentée pour l’exposition « Hiéroglyphe, déverrouiller l’Égypte ancienne » au British Museum, à Londres, le 11 octobre 2022 (AFP/Carlos Jasso)
La pierre de Rosette, présentée pour l’exposition « Hiéroglyphe, déverrouiller l’Égypte ancienne » au British Museum, à Londres, le 11 octobre 2022 (AFP/Carlos Jasso)

Champollion est loin d’être le seul à s’intéresser à cette écriture et à vouloir être le premier à en révéler les secrets. D’autres savants s’y essayent, comme les érudits musulmans Ibn Wahshiyya au Xe siècle et Abu al-Qasim al-Iraqi al-Simawi au XIe siècle, ainsi que le contemporain de Champollion, Thomas Young (1773 - 1829), scientifique britannique membre de la Royal Society qui a pour sa part bien failli y arriver.

Young compare la pierre de Rosette à d’autres objets historiques, tels que l’obélisque de Philae extrait de Haute-Égypte puis transporté à Londres en 1821 et un papyrus thébain apporté par un ami, ce qui lui permet de mettre en lumière des noms propres en hiéroglyphes, par exemple celui de Ptolémée.

Il confirme ainsi plusieurs suppositions, comme le fait que l’écriture peut être à la fois idéogrammatique et phonétique, ou qu’une cartouche, un mot encapsulé dans une forme allongée et nouée, renvoie à un nom propre.

Young compte également les occurrences de certains mots en grec ancien en vue d’établir une corrélation entre la fréquence de ce mot en grec et sa fréquence en démotique et en écriture hiéroglyphique, et en conclure que ce mot signifie la même chose dans les trois langues. Cette technique n’a pas abouti à la percée que Young espérait mais ses travaux, publiés en 1818, permettront de faire avancer la recherche.  

 Une photo prise le 4 janvier 2021 montre des hiéroglyphes à l’intérieur du temple de Ramsès II sur le site archéologique d’Abou Simbel, dans le sud de l’Égypte (AFP/Khaled Desouki)
Une photo prise le 4 janvier 2021 montre des hiéroglyphes à l’intérieur du temple de Ramsès II sur le site archéologique d’Abou Simbel, dans le sud de l’Égypte (AFP/Khaled Desouki)

Utilisant les mêmes textes de comparaison que Young en plus d’autres sources telles que l’ensemble d’incantations réunies dans le Livre des morts, Champollion déduit que les trois langues de la pierre de Rosette sont une copie du même texte, et que la qualité phonétique se retrouve dans les trois langues, qu’il s’agisse de noms étrangers ou égyptiens.

Ainsi, le son « Cléopâtre » se trouve en grec et démotique, mais également en hiéroglyphique. Il devine aussi la direction de l’écriture, à savoir que les hiéroglyphes peuvent autant s’écrire de gauche à droite que de droite à gauche.

Par ce moyen, Champollion arrive à établir un alphabet phonétique des hiéroglyphes qui permet leur déchiffrement. L’effort de près de deux décennies vaut au philologue français de s’effondrer de fatigue pendant quelques jours à la suite de sa découverte. Il notifiera l’Académie des inscriptions et belles-lettres de cette dernière le 22 septembre 1822.

Vers une restitution de la pierre à l’Égypte ?

Depuis plusieurs années, des voix s’élèvent contre l’arrangement conclu entre deux puissances coloniales qui se sont départagées un héritage national sans l’avis des populations concernées. Si Champollion a permis la lisibilité des hiéroglyphes, la pierre de Rosette et l’expédition d’Égypte ont fortement participé à l’essor de l’orientalisme occidental, c’est-à-dire la construction fantasmagorique d’un Orient exotique et différencié dans les arts et la culture, et à « l’égyptomanie ».

En écho au mouvement militant pour la restitution des œuvres d’art extraites et exploitées de manière illicite durant la décolonisation, une pétition récente lancée, entre autres, par l’archéologue égyptienne Monica Hanna demande le retour de la pierre en Égypte. 

Derrière une réplique de la pierre de Rosette, le buste du savant et philologue français Jean-François Champollion, connu pour son déchiffrement de l’écriture hiéroglyphique égyptienne, à l’entrée du Musée égyptien du Caire (AFP/Amir Makar)
Derrière une réplique de la pierre de Rosette, le buste du savant et philologue français Jean-François Champollion, à l’entrée du Musée égyptien du Caire (AFP/Amir Makar)

Signée par plus de 2 500 archéologues, la campagne « Repatriate Rashid » (« Rapatrier Rashid ») plaide pour que les autorités égyptiennes compétentes émettent une demande officielle de restitution auprès du Royaume-Uni.

La pétition considère la pierre comme un « butin de guerre » et un fait de « pillage » car l’Égypte, alors sous occupation ottomane, ne pouvait jouir de sa pleine souveraineté et s’opposer au transfert. Les signataires en appellent au « leadership moral » du Royaume-Uni afin de rectifier des siècles de violence coloniale et d’injustice.

Quant à Champollion, ce ne sera qu’en 1928, soit six ans après le déchiffrement des hiéroglyphes, qu’il visitera ce pays pour la première (et dernière) fois, en sa qualité de conservateur chargé des collections égyptiennes au musée du Louvre, poste auquel il est nommé en 1826 à la suite de sa découverte.

Il décèdera à Paris à l’âgé de 41 ans d’une cause non identifiée, mettant prématurément fin à une vie destinée au savoir et à l’avancée des connaissances. Son buste demeure exposé, à côté d’une copie de la pierre de Rosette, au musée égyptien du Caire.

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