EN IMAGES : Les histoires d’amour épiques du monde arabe
Les thèmes qui ont captivé les poètes arabes du passé résonneront familièrement aux oreilles de quiconque a ressenti les affres de l’amour sous ses diverses formes : passionnel, éternel, non partagé et malheureux.
Dans les sociétés tribales arabes, amour, honneur et guerre étaient indissociables et la poésie arabe regorge de récits de tromperie, de galanterie et de peines de cœur dans la quête de l’être aimé.
Dans les sociétés bédouines traditionnelles, le concept idéalisé d’amour était intense, précieux et digne qu’on se batte pour lui. Les poètes ont cherché à refléter cela et donner corps à ces valeurs sous forme orale.
Les personnages qui apparaissent dans les histoires mentionnées ci-après sont fictionnels mais s’inspirent souvent de véritables individus, la légende remplaçant les faits au fur et à mesure de la transmission du récit et des embellissements poétiques.
Majnoun et Leïla
S’inspirant de la prétendue véritable histoire de Qaïs ibn al-Mulawwah et Leïla al-Amiriya, de la tribu des Bani Amer originaire du Nejd dans l’Arabie préislamique, ce conte est l’histoire classique de deux amants séparés par les circonstances.
Bien qu’ayant grandi en jouant ensemble, Qaïs et Leïla sont séparés quand ils atteignent l’adolescence en raison de la tradition bédouine de ségrégation des sexes.
Qaïs est déjà follement épris de Leïla et être privé de sa bien-aimée lui fait perdre la tête, ce qui lui vaut le sobriquet de « Majnoun » (fou).
Cet amour est réciproque. Mais alors que Leïla exprime ses sentiments pour lui de manière circonspecte, Qaïs veut que le monde le sache et récite des odes à Leïla dans les rues où ils vivent.
Même après le rejet de sa demande en mariage par le père de Leïla, Qaïs refuse de renoncer à son amour et commence à évoquer sa dévotion tragique sur les murs des bâtiments.
Je passe à côté de ces murs, les murs de Leïla
Et j’embrasse ce mur-ci et ce mur-là
Ce n’est pas l’Amour des murs qui enchante mon cœur
Mais de celle qui habite en leur sein
Les démonstrations publiques d’amour de cette manière étaient considérées comme déshonorantes dans la société traditionnelle et pouvaient affecter la réputation d’une femme.
La famille de Leïla la marie à Ward al-Thaqafi, un riche marchand de la tribu des Thaqif à Taïf.
La nouvelle de cette union ne fait que briser davantage le cœur de Qaïs et le plonge plus profondément dans la folie, le faisant errer dans le désert dans un chagrin perpétuel.
Dans une version ultérieure, son père le retrouve et le convainc de faire le pèlerinage à la Kaaba, pour surmonter son chagrin d’amour, mais une fois là-bas, Majnoun prie pour tomber encore plus profondément amoureux de Leïla.
Ils me disent : « Débarrasse ton cœur de tout désir pour Leïla ! »
Mais je t’implore, oh mon Dieu, laisse-le devenir encore plus fort
Après la mort de son mari, Leïla part à la recherche de Qaïs. Mais la culture et la tradition ne le permettront pas, laissant la jeune femme mélancolique mourir seule et tourmentée. Qaïs trouve alors sa tombe et meurt à côté, et ils sont finalement unis dans la mort.
Les poètes soufis considèrent l’amour exclusif de Majnoun pour Leïla comme un symbole de la quête de l’humanité pour atteindre Dieu.
Ce conte a été réinterprété et partagé fréquemment depuis sa première occurrence consignée au Ve siècle. La première version écrite de ce conte éternel sur le désir est attribuée à Abu al-Faraj al-Isfahani, un poète arabe auteur du Kitab al-Aghani ou Livre des chants au IXe siècle.
Quelques siècles plus tard, le poète persan Nizami Ganjawi rédigera sa propre version en vers.
(Toutes les illustrations sont de Mohamad Elaasar)
Jamil et Bouthaïna
Un autre conte de l’Arabie bédouine narre l’histoire de Jamil ibn Abdullah ibn Mamar, éleveur de chameaux qui a vécu au VIe siècle et appartenait à la tribu des Banu Udhra. Comme Qaïs, la perte de sa bien-aimée a inspiré un sous-genre de poèmes d’amour bédouins, dans lequel le désir amoureux ne trouve jamais son assouvissement.
Fasciné par son tempérament de feu, Jamil tombe amoureux de Bouthaïna bint Hayyan. L’histoire raconte qu’alors qu’il s’occupe de son troupeau de chameaux près d’un puits dans le désert, l’arrivée d’un autre troupeau effraie ses animaux.
Les bêtes appartiennent à Bouthaïna et, en colère, Jamil les insulte, elle et ses chameaux. Mais au lieu de reculer devant sa colère, Bouthaïna aurait rétorqué, elle aussi, par une insulte.
Sa réponse fougueuse suffit à captiver le cœur de Jamil, impressionné, qui pense avoir rencontré l’âme sœur.
Pour exprimer son amour, il compose des poèmes. Mais ses propos admiratifs sont mal compris par la communauté, qui suppose que tous deux ont entretenu une liaison illicite. Lorsque Jamil va demander la main de Bouthaïna, le père de cette dernière refuse et la marie à un autre prétendant.
Oh, cette fleur de la jeunesse pourrait relever la tête
Et revenir à nous, Bouthaïna, le temps qui s’est enfui !
Et oh, pourrions-nous nous attendre à nouveau comme nous le faisions
Quand ta famille demeurait à proximité et en voulait à ce que tu m’as donné !
La famille de Bouthaïna jure également de tuer Jamil pour avoir tenté de la déshonorer et émet un arrêt de mort.
Jamil, le cœur brisé, s’enfuit au Yémen, où il s’engage à composer de la poésie en souvenir de Bouthaïna.
Une version du conte dit que tous deux ne se sont jamais revus. À son retour dans sa tribu, Jamil découvre que Bouthaïna a déménagé au Levant. Une autre version suggère qu’il revient et que tous deux se rencontrent en secret. Alors que Bouthaïna s’est mariée, Jamil reste célibataire pour exprimer son dévouement.
Antarah Ibn Shaddad et Ablah bint Malik
Une autre ancienne histoire d’amour arabe – et peut-être l’une des premières à traiter de la question de l’origine ethnique – est celle d’Antarah Ibn Shaddad, le fils du roi Shaddad al-Abs de la tribu des Banu Abs au Nejd, et une anonyme qui aurait été une esclave éthiopienne.
Antarah, né en 525, est abandonné par son père à la naissance en raison de sa lignée maternelle et de sa couleur de peau plus foncée.
Il est ensuite traité comme un esclave au lieu du fils d’un roi, mais le vaillant Antarah ne cesse jamais de chercher l’approbation de son père. Il combat courageusement dans des batailles tribales, prouvant sa force et son habileté à l’épée, et aide à repousser les menaces des tribus rivales.
Mais si son héroïsme lui vaut le respect de ses compagnons de tribu, cela ne suffit pas à lui permettre d’épouser la femme de son choix.
Il espère épouser sa cousine Ablah bint Malik, mais sa mère essaye de présenter à Antarah d’autres épouses potentielles, qu’il refuse toutes.
Son père exige alors une dot d’un millier de chameaux coûteux et rares élevés uniquement par le roi al-Numan Ibn al-Mundhir d’al-Hira en Mésopotamie.
Antarah relève le défi, se rend à al-Hira et en revient avec les chameaux à offrir à la famille de sa bien-aimée. Mais au lieu de retrouver son amour, son oncle sournois a déjà fiancé sa fille Ablah à un autre homme en échange du meurtre d’Antarah.
Le destin d’Antarah varie, mais la plupart des versions de ce conte suggèrent que les deux amants potentiels ne seront jamais unis et qu’Antarah passera ses dernières années à la désirer et à réciter des poèmes en sa mémoire :
Mon péché contre Ablah est au-delà de la rémission ;
Est devenu évident quand le matin de la vie
Lentement stries de ses tiges blanches
Mes cheveux, les rendant gris.
Ma propre Ablah a transpercé mon cœur avec des flèches,
tirée de ses yeux blancs, iris noires ;
frapper avec précision le cœur !
Saif al-Moulouk et Badi al-Jamal
Bien que ce conte se déroule en Égypte, il est maintenant plus populaire au Pakistan grâce à une traduction de Mian Muhammad Baksh, un écrivain soufi du XIXe siècle, et du poète pachtoune contemporain Ahmad Hussain Mujahid, qui a donné sa propre version de l’histoire.
L’histoire se trouve également dans Les Mille et Une Nuits, où Saif al-Moulouk (qui signifie « épée des rois » en arabe) est un riche prince égyptien et le seul enfant d’un roi égyptien fictif nommé Asim bin Safwan.
Le roi lègue deux timbres souverains à Saif, l’un avec le visage du prince et l’autre avec le visage d’une beauté mystérieuse nommée Badi al-Jamal.
La nuit, le jeune prince rêve d’un lac enchanteur où il rencontre Badi al-Jamal, la femme représentée sur le timbre. Elle se présente comme la Reine des Fées et l’invite dans son pays féérique – mais prévient que des tribulations l’attendront en cours de route.
Certaines versions du conte disent qu’après ce rêve, il part à sa recherche pour la retrouver ; d’autres ne mentionnent pas le rêve et suggèrent plutôt qu’il en tombe amoureux dès qu’il voit son image.
Quoi qu’il en soit, il commence un voyage de six ans à la recherche de sa bien-aimée qui le conduit finalement à un lac vert émeraude où, sur les conseils d’un saint rencontré plus tôt en Égypte, il doit prier pendant 40 jours consécutifs afin d’être uni à Badi.
La quatorzième nuit de prières, il voit enfin sept fées célestes – et parmi elles se trouve la majestueuse Badi al-Jamal, qui se baigne dans le lac.
Après avoir découvert que Badi a été piégée par le géant blanc Safaid Deyo, il la libère et tous deux s’échappent dans une grotte voisine.
Le géant verse des larmes lorsqu’il découvre que Badi a été libérée et ses larmes viennent former le lac Ansoo (lac des larmes) dans la vallée de Kaghan au Pakistan, qui se trouve à côté du lac Saiful Muluk.
Certains disent que le prince égyptien et sa reine des fées vivent toujours dans la vallée et dansent au-dessus du lac la quatorzième nuit du mois lunaire – et de nombreux habitants aiment encore à croire que la région est remplie de fées et de démons.
Qutuz et Gulnar
Sayf ad-Din Qutuz et son amour Gulnar (ou Jelnar) auraient été des nobles de l’Empire khwarezmien en Perse, tous deux capturés par les envahisseurs mongols et réduits en esclavage.
Fait intéressant, contrairement aux autres histoires présentées ici, leur conte est davantage enraciné dans la culture arabe contemporaine que dans le monde antique.
L’écrivain et poète égyptien du Xe siècle Ali Ahmed Bakthir en a produit la version la plus définitive. Le personnage de Gulnar a été présenté pour la première fois aux lecteurs modernes par Bakthir dans son roman Wa Islamah.
Qutuz est inspiré du sultan mamelouk d’Égypte, emmené par les Mongols à Damas où il est acheté par un marchand d’esclaves égyptien qui le vend au sultan mamelouk Aybak.
Qutuz se révèle un soldat fort et un conseiller honnête, gravissant rapidement les échelons mamelouks et devenant un adjoint d’Aybak. À cette époque, il retrouve Gulnar, qui a été vendue par les Mongols à une riche famille égyptienne, où elle travaille comme domestique.
Gulnar devient alors la confidente et amante de Qutuz, qui est fait sultan des Mamelouks et mène leurs armées à la victoire contre les Mongols lors de la bataille d’Ayn Jalut (1260), avec sa bien-aimée à ses côtés.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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