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Méga-yachts contre voiliers : l’Arabie saoudite à la conquête du tourisme en mer Rouge

Les navigateurs occidentaux repartent en ayant goûté à la culture et à l’hospitalité saoudiennes, mais en s’étant aussi retrouvés face à des prix élevés, à des princes casse-pieds et à un État sécuritaire
Marina du Jeddah Yacht Club (Facebook/Jeddah Yacht Club)
Marina du Jeddah Yacht Club (Facebook/Jeddah Yacht Club)

Tout d’abord, les méga-yachts sont arrivés en Arabie saoudite.

C’était en 2021 et un message discret avait été envoyé au club le plus exclusif du monde de la navigation : la côte d’une mégapole futuriste de 500 milliards de dollars à construire sur la mer Rouge s’ouvrait pour un aperçu.

« Chaque jour, plus d’une dizaine de méga-yachts traversaient le canal de Suez, tous venus de Méditerranée en direction de Neom », raconte à Middle East Eye Ehab Soukar, propriétaire de l’agence de navigation Prince of the Red Sea à Port Suez, en Égypte. « J’ai organisé le transit pour des Britanniques, des Suédois et des Américains. »

Traduction : « Un million de mètres cubes de terre sont excavés chaque semaine dans la ville ‘’The Line’’ en Arabie saoudite, également connue sous le nom de Neom. La première section terminée sera la partie marina. »

Depuis, l’Arabie saoudite a intensifié ses efforts pour promouvoir ses 2 000 km de littoral pour les voyages d’agrément. En octobre, le Jeddah Yacht Club a commencé à proposer des prix cassés aux YouTubeurs souhaitant faire escale dans sa nouvelle marina ultramoderne, indiquent des sources à MEE

L’invitation a séduit Keith Whitaker, qui se trouvait en mer Rouge pour documenter les aventures de navigation de sa famille auprès de ses 550 000 abonnés sur sa chaîne Sailing Zatara. « L’Arabie saoudite a le potentiel d’un excellent terrain de croisière », assure-t-il à MEE.

Ken Powers, qui a la chaîne Sailing Aquarius Around The World, a suivi. « L’Arabie saoudite veut vraiment que les gens viennent en mer Rouge. Ils soutiendront n’importe qui avec une chaîne YouTube. »

La mer Rouge, épicentre des ambitions saoudiennes

La campagne porte ses fruits.

Regarder les vidéos YouTube de Whitaker a convaincu Frank Weiand de venir. Ce dernier s’est entretenu avec MEE depuis l’île grecque de Crète, dernière étape de son voyage vers le royaume riche en pétrole.

Bien sûr, le secteur de la navigation en Arabie saoudite est si balbutiant que le Jeddah Yacht Club et la marina apparaissent au milieu de la mer Rouge sur le nouveau système GPS de Weiand.

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« Ils ont quelques problèmes à résoudre », admet-il à MEE

Le prince héritier Mohammed ben Salmane tire parti des recettes pétrolières pour diversifier l’économie de son royaume avec des investissements dans le tourisme et le divertissement.

L’Arabie saoudite a recruté la star du football Cristiano Ronaldo et ce mois-ci, une ligue de golf soutenue par l’Arabie saoudite a conclu un accord avec la PGA. Mais la mer Rouge est l’épicentre des ambitions saoudiennes.

Alors que les méga projets comme la ville The Line de 170 km de long sont à des années de leur achèvement et suscitent toujours le scepticisme, la plaisance est un chantier en cours. 

Les navigateurs occidentaux repartent en ayant goûté à la culture et l’hospitalité traditionnelle du royaume, mais en ayant également été confrontés à des prix élevés, à des princes casse-pieds et à un État sécuritaire.

Le navigateur chevronné australien Wayne Sillick s’est enregistré au Jeddah Yacht Club ce printemps. Il rapporte à MEE qu’il a payé un prix « exceptionnellement élevé » de 2 100 dollars pour l’entrée et la sortie de la marina, ainsi que les visas et les permis. 

Les frais d’agent pour coordonner l’enregistrement et organiser le ravitaillement en carburant et l’approvisionnement étaient environ 500 % plus élevés que partout ailleurs dans son tour du monde. 

MEE a examiné une facture d’un agent saoudien publiée sur le groupe Facebook privé « Red Sea Passage » d’un montant de 4 945 dollars qui comprenait des visas d’entrée et de sortie pour quatre personnes. Les membres du groupe ont exprimé leur stupéfaction face au prix. Depuis l’ouverture de l’Arabie saoudite aux touristes en 2019, les visas sont disponibles en ligne pour 123 dollars par personne.  

« Les Saoudiens veulent des méga-yachts et de l’argent, ils ne s’orientent pas vers les navigateurs de la classe moyenne », commente Wayne Sillick. 

Une escale hivernale naturelle depuis la Méditerranée

La ville portuaire saoudienne de Djeddah, où une marina modernisée a été dévoilée en 2021 pour accueillir des yachts pour le Grand Prix de Formule 1, est le principal centre de navigation du royaume, mais le centre de gravité se déplacera vers le nord lorsque le Red Sea Island Project et Neom ouvriront. Les prix là-bas devraient être encore plus élevés et une entreprise de marina de luxe devrait prendre en charge sa gestion. 

La station balnéaire de Sindalah, qui disposera d’un port de plaisance de 86 mouillages, devrait être le premier projet Neom à ouvrir. Son site Web annonce la proximité de lieux de plaisance européens coûteux comme Capri, Monaco et Porto Monténégro. Elle est annoncée comme une escale hivernale naturelle depuis la Méditerranée. 

L’Arabie saoudite promeut la proximité de Sindalah avec les destinations de plaisance européennes (illustration Neom)
L’Arabie saoudite promeut la proximité de Sindalah avec les destinations de plaisance européennes (illustration Neom)

« Les particuliers fortunés et ultra fortunés ainsi que les jeunes ayant le potentiel de générer de futures richesses » sont les groupes démographiques occidentaux que l’Arabie saoudite cible, explique à MEE Robert Mogielnicki, chercheur résident senior à l’Arab Gulf States Institute.

Mais des milliers de dollars permettent beaucoup moins de naviguer sur la côte saoudienne que dans des destinations méditerranéennes comme la Grèce, l’Italie ou la Turquie, où les bateaux sont libres de jeter l’ancre à leur guise, et les frais de croisière s’élèvent en moyenne à quelques centaines d’euros par mois. 

Malgré l’initiative pour attirer les navigateurs, ce loisir reste bureaucratique et étroitement réglementé. Les navigateurs doivent soumettre les endroits où ils souhaitent jeter l’ancre sur un portail appelé Ebhar pour approbation préalable par les autorités saoudiennes.

Les bateaux sont également tenus de s’enregistrer à l’intérieur et à l’extérieur du pays depuis le même port d’origine, ce qui rend difficile d’enchaîner les escales. 

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« Vous ne pouvez pas simplement trouver une belle plage cachée et nager. Les Saoudiens ne comprennent pas à quel point les navigateurs occidentaux désirent la liberté », ajoute Wayne Sillick. 

« Le moindre endroit où vous pouvez vous abriter dispose d’un garde-côte, et bon sang, l’équipement dont sont dotés ces gars ! », rapporte à MEE Per Kjellqvist, un navigateur basé sur l’île grecque de Rhodes, à propos de son voyage.

« Par nature, les navigateurs veulent explorer les choses. Nous sommes le pire cauchemar des garde-côtes saoudiens », renchérit Wayne Sillick.  

Une grande partie du littoral saoudien est bouclée en raison de la construction de mégaprojets, mais ce n’est pas tout.

« Dans tous les meilleurs endroits pour naviguer du point de vue de la plaisance, la famille royale y a construit des installations privées et vous n’êtes pas autorisé à vous approcher à moins de 20 milles [32 km] », déplore Keith Whitaker de Sailing Zatara à MEE. « Ces gars-là savent ce qu’est une propriété de choix et ont pris certains des meilleurs endroits. »

Un « plus gros coup d’éclat »

Per Kjellqvist a tenté de naviguer vers l’île de Jabal Hassan près de la ville d’Umluj, mais son agent lui a dit de rester à l’écart car un membre de la famille royale naviguait là-bas.

« C’est un repoussoir », confie-t-il à MEE. « En Méditerranée, personne ne se soucie de qui vous êtes, vous avez des voiliers à côté des méga-yachts. »

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Le prince héritier Mohammed ben Salmane aurait un faible pour la vie côtière de luxe. Il possède un yacht de 139 mètres avec deux héliports et une discothèque. En tant que jeune ministre de la Défense, il a acheminé par avion des mannequins de Russie et du Brésil jusqu’à une fête insulaire aux Maldives.

Selon les experts et les navigateurs, l’industrie saoudienne du tourisme préfère clairement les méga-yachts plutôt que pour les banals voiliers.

L’une des raisons est que des marges bénéficiaires plus élevées peuvent être réalisées sur le marché du luxe, mais le prince héritier espère également qu’elles l’aideront à faire un « plus gros coup d’éclat » sur la scène mondiale en dévoilant Vision 2030, a expliqué à MEE Steffen Hertog, un expert du Golfe et professeur en politique comparée à la London School of Economics.

« C’est probablement aussi une affinité avec les préférences royales », ajoute-t-il. « [Mohammed ben Salmane] pourrait certainement faire claquer le fouet et mettre de larges pans de la côte saoudienne à la disposition des navigateurs. Mais je ne pense pas que ce soit un problème si les visiteurs veulent un tourisme de villégiature et des visites guidées. Il y a une clientèle pour cela, riche et qui aime peu l’aventure. »

L’afflux de navigateurs s’annonce comme un premier test pour savoir jusqu’où l’Arabie saoudite est prête à aller dans ses réformes sociales

Mohammed ben Salmane a supervisé une sévère répression de la dissidence dans son pays et un rapport des services de renseignement américains a établi qu’il avait probablement commandité le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018. Mais ses réformes sociales uniques en leur genre ont été bien accueillies par de nombreux Saoudiens, en particulier les jeunes.

Le prince héritier, 37 ans, a dépouillé la police religieuse de ses pouvoirs, autorisé les femmes à conduire et permis la mixité. L’Arabie saoudite était l’économie la plus performante du G-20 l’année dernière. Le prince héritier a également resserré les cordons de la bourse aux membres dépensiers de la famille royale. 

Mais l’afflux de navigateurs s’annonce comme un premier test pour savoir jusqu’où l’Arabie saoudite est prête à aller dans ses réformes sociales. 

« L’alcool coulait à flot à Djeddah »

Des rumeurs circulent selon lesquelles le royaume, qui abrite les deux sites les plus sacrés de l’islam, se prépare à autoriser la vente d’alcool dans les stations balnéaires le long de la mer Rouge.

Les navigateurs venant de l’étranger peuvent transporter de l’alcool sur leur bateau, mais ne sont pas autorisés à en consommer. Dans la pratique, cependant, les visiteurs confient à MEE que l’application de cette règle est laxiste.

« L’alcool coulait à flot à Djeddah. Je peux vous dire que nous avons apprécié notre alcool là-bas », assure à MEE Wayne Sillick, qui a navigué dans le royaume avec sa femme juste au moment où le Grand Prix se terminait. « Les Saoudiens ont fermé les yeux. » 

Un rendu de Sindalah, la ville portuaire de Neom, sur la mer Rouge au nord-ouest de l’Arabie saoudite (Neom.com)
Un rendu de Sindalah, la ville portuaire de Neom, sur la mer Rouge au nord-ouest de l’Arabie saoudite (Neom.com)

Pour d’autres, l’atmosphère feutrée de l’Arabie saoudite est en soi un attrait.

Ken Powers a décrit son séjour à Djeddah comme « rafraîchissant » parce qu’il en a assez de la culture de la boisson dans les ports occidentaux. « La communauté de la navigation boit beaucoup trop. Si vous voulez boire un verre en Arabie saoudite, vous pouvez le prendre, mais je ne me suis pas senti obligé de boire. » 

Le débat sur l’alcool souligne le défi auquel l’Arabie saoudite est confrontée alors qu’elle cherche à attirer les touristes occidentaux très dépensiers et à concurrencer les destinations de vacances établies du Golfe comme les Émirats arabes unis et Oman, où les règles sur l’alcool et la cohabitation sont plus permissives. 

Un avantage est que sur la mer Rouge au moins, l’Arabie saoudite a peu de concurrence.

Le port jordanien d’Aqaba et le port israélien d’Eilat se trouvent plus au nord, ce qui en fait des destinations distinctes. Le seul pays voisin offrant une alternative à l’Arabie Saoudite est l’Égypte.

« L’Arabie saoudite ne fait que se lancer. Avec le temps, elle sera certainement plus populaire que l’Égypte »

- Ehab Soukar, agent de navigation à Port Suez

Mais la corruption et l’agressivité des autorités égyptiennes font fuir les navigateurs. 

« Je ne me sentais pas en sécurité en laissant mon bateau en Égypte. Il n’y a aucune responsabilité là-bas », relate Ken Powers.

Le groupe Facebook Red Sea Passage regorge d’histoires horribles concernant des escales en Égypte. « L’endroit est un enfer pour les navigateurs », affirme à MEE Paul Hullenaar, un plaisancier autrichien. 

« En Égypte, tout tourne autour du “bakchich”. J’étais heureux de quitter l’Égypte pour l’Arabie saoudite », poursuit-il.

Et le coût de la navigation en Égypte a augmenté car Le Caire cherche à compenser un manque de devises étrangères. 

Ehab Soukar, l’agent de Port Suez, indique à MEE que les prix ont quadruplé en 2022. Il estime que cela coûterait 1 500 dollars pour entrer et sortir de Port Ghalib ou d’Hurghada en Égypte après frais et permis, contre environ 2 000 dollars en Arabie saoudite, qui dispose d’installations bien plus récentes.

« En Égypte, nous avons un gouvernement militaire qui essaie juste d’obtenir de l’argent. Il pense à court terme », regrette Ehab Soukar à MEE.

Ce dernier a travaillé avec 66 bateaux privés transitant vers le sud par le canal de Suez cette année. Tous ont abandonné leur escale de Port Ghalib en Égypte au profit d’Aqaba ou de l’Arabie saoudite.

« L’Arabie saoudite ne fait que se lancer », assure-t-il. « Avec le temps, elle sera certainement plus populaire que l’Égypte. »

Paillettes et glamour

Mais le royaume veut des gros chiffres.

D’ici 2030, l’Arabie saoudite prévoit d’avoir construit 50 stations balnéaires avec 8 000 chambres d’hôtel le long de la mer Rouge. La station phare de Neom, Sindalah, fait la promotion du kayak, du kitesurf et de la plongée avec tuba. Les hôtels chics comme le Ritz Carlton et le St. Regis se multiplient.

Robert Mogielnicki explique que les premières arrivées de navigateurs sont un avantage promotionnel. « [Ils] se prêtent très bien aux paillettes et au glamour des réseaux sociaux », fait-il valoir à MEE. « La navigation fait progresser la perception que les responsables du gouvernement saoudien veulent promouvoir d’un pays en mutation. »

Ses détracteurs accusent l’Arabie saoudite d’investir dans le sport et le divertissement pour dissimuler son piètre bilan en matière de droits de l’homme. MEE s’est entretenu avec plus d’une demi-douzaine de navigateurs qui ont visité le royaume pour cet article. Beaucoup ont en fait cité la couverture médiatique occidentale critique de l’Arabie saoudite comme une incitation à visiter le pays.

« Je ne me sens pas à l’aise de dépenser de l’argent dans des pays qui ne respectent pas les droits de l’homme. En revanche, si vous n’entendez parler de l’Arabie saoudite que par les médias, êtes-vous informé ? »

- Frank Weiand, propriétaire d’un yacht

« En tant qu’Américains, on entend constamment toutes ces choses négatives sur MBS. Mais l’Arabie saoudite n’a rien à voir avec la façon dont elle est décrite dans les médias. L’Arabie saoudite est sympa », assure Ken Powers.

« Je ne me sens pas à l’aise de dépenser de l’argent dans des pays qui ne respectent pas les droits de l’homme », a déclaré Frank Weiand, qui embarque depuis la Crète à destination de l’Arabie saoudite. « En revanche, si vous n’entendez parler de l’Arabie saoudite que par les médias, êtes-vous informé ? »

« Je veux me faire ma propre opinion. Je vois ce qui se passe à Djeddah et je pense qu’ils essaient de s’améliorer pour le mieux », raisonne-t-il. 

Et les prix élevés et les princes casse-pieds que Per Kjellqvist a rencontrés ne l’empêcheront pas de revenir. « J’ai apprécié le peuple saoudien. Il était si accueillant. »  

Il envisage déjà son prochain voyage, cette fois à l’intérieur des terres, traversant le pays à moto.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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