Bibi ou Bouji : dans les deux cas, rien ne change
Il existe cinq Etats d'Israël, et seulement deux vont se rendre aux urnes aujourd'hui. Il y a l'Etat juif, qui est une démocratie pour ses citoyens juifs uniquement. Ces électeurs font preuve de peu de sensibilité envers leurs dirigeants politiques et sont prêts à les renverser, voire à les envoyer en prison.
Il y a l'Etat dans lequel vivent les citoyens non juifs d'Israël ; ces derniers peuvent voter, mais après soixante-sept années, ils ne sont toujours pas intégrés dans cet Etat et cette société. Cet Etat a fait de la discrimination un art en produisant plus de cinquante textes de loi conçus dans les faits, si ce n'est dans le texte, pour restreindre les droits des non-juifs de racheter les terres qui leur ont été confisquées autrefois par l'Etat, de développer leurs villages, de construire ou de vivre dans les communautés juives. Les droits que les tribunaux israéliens faisaient autrefois respecter sont cassés par les lois créées par la Knesset. De plus en plus, ceux que les Israéliens appellent les Arabes israéliens se définissent comme des Palestiniens de 1948. Il y a un monde de différence entre les deux. Ceux-là aussi voteront aujourd'hui.
Puis il y a l'Etat de Jérusalem, dans lequel les habitants de Jérusalem-Est ont le statut de résident mais sont apatrides. Ils n'ont ni passeport, ni citoyenneté. Dans le cas contraire, ils perdent leur statut de résident. Pour limiter leur nombre, les armes de prédilection sont la judaïsation et une série de lois, comme la loi sur le « centre de vie », dont le but est de faire en sorte que conserver ce statut de résident soit le plus difficile possible. Les enfants d'Hanan Ashrawi, négociatrice chevronnée au sein de l'OLP, ont perdu leur carte d'identité bleue.
Vient ensuite la Cisjordanie, qui vit sous l'apartheid israélien, plus cruel à certains égards que son antécédent sud-africain. Sous ce régime, la Cisjordanie a été découpée à l’aide d’un couteau géant. Des routes séparées, des blocs de colonies, des murs et des postes de contrôle permettent de veiller à ce que la terre que tous les Israéliens appellent encore Judée et Samarie perde toute cohésion ou cohérence physique pour ses habitants palestiniens, et en gagne autant pour les colons. Le réseau de voies rapides forme un lien ombilical entre les colons et la côte ainsi que le centre économique d'Israël. Les routes accessibles aux Palestiniens transforment un trajet de quinze minutes en un périple de trois heures. Ensuite, il y a Gaza, un camp de prisonniers, pour lequel Israël a trouvé en l'Egypte de Sissi un compagnon pour monter la garde.
La campagne électorale est restée fidèle à la nature même de l'Etat juif, dans la mesure où elle a été le théâtre d'un concours d'identités. Pour la plupart, elle a tourné le dos à la question principale à laquelle n'importe quel futur dirigeant du pays devra faire face : la résolution du conflit. Si l'électorat se comporte comme s'il ne pouvait rien y faire, cela a également été le cas de la campagne électorale elle-même.
Les élections, que Netanyahou a convoquées et que ce dernier doit désormais regretter, ont permis de chauffer à blanc l'appareil de sécurité. Cela a remis en question la revendication centrale de Netanyahou, qui affirme être digne de confiance en ce qui concerne la sécurité d'Israël. Un Premier ministre contre lequel une phalange d'anciens chefs de la sécurité, dirigée par Meir Dagan et Shabtai Shavit, deux anciens chefs du Mossad, font campagne en dénonçant la fausse image qu'il donne de la menace nucléaire représentée par l'Iran ainsi que sa mauvaise gestion des relations avec l'Amérique, est un Premier ministre qui court au désastre.
Pointé du doigt par l'armée et l'appareil de sécurité, débordé par la droite religieuse du pays, Netanyahou a adopté une position de plus en plus à droite. Au début du mois, il a affirmé qu'il n'y aurait « aucun retrait » de Cisjordanie s'il était réélu et qu'il ne ferait « aucune concession » aux Palestiniens, bien que son bureau ait nié que cela annulait l'engagement qu'il avait pris pour la création d'un Etat palestinien lors d'un discours à l'université Bar-Ilan en 2009 et qu'il avait ensuite crié sur tous les toits. A la fin de la campagne, le peu d'ambiguïté qu'il restait autour de l'objection centrale de Netanyahou contre la création d'un Etat palestinien s'est envolé.
Netanyahou a déclaré : « Je pense que quiconque facilite la création d'un Etat palestinien aujourd'hui et procède à l'évacuation des territoires donnerait à l'islam radical des raisons d'attaquer Israël. Il existe ici une menace réelle d'un gouvernement de gauche qui pourrait se joindre à la communauté internationale et suivre ses ordres. »
Néanmoins, en observant son principal adversaire (ce qui a du sens dans la mesure où il existe un challenger crédible), on ne trouvera rien pour nous soulager.
Isaac Herzog, de l'Union sioniste, qui comprend le Parti travailliste et d'anciens likoudniks comme Tzipi Livni, adopte un discours d'intégration. « Je le promets : je serai le Premier ministre de tous. De la droite, de la gauche, des colons, des haredim, des druzes, des Arabes, des Circassiens ; je serai le Premier ministre du centre et de la périphérie. »
Toutefois, la vision de l'Union sioniste d'un règlement final du statut de la Palestine indique le contraire :
« Démilitariser l'Etat palestinien, conserver les blocs de colonies en Judée et en Samarie [Cisjordanie] sous la souveraineté israélienne ; renforcer Jérusalem et son statut de capitale éternelle de l'Etat d'Israël et assurer la liberté religieuse et l'accès aux lieux saints à toutes les religions, tout en maintenant la souveraineté israélienne ; résoudre le problème des réfugiés palestiniens par la création d'un Etat palestinien et non à l'intérieur d'Israël. »
Quels blocs de colonies ? Interrogé sur les territoires qu'il conserverait lors d'un événement organisé par le Jerusalem Post, Herzog a répondu : « Dans un monde idéal, j'aimerais tout garder. » Il a cependant indiqué qu'il conserverait les blocs de colonies de Goush Etzion, de Ma'aleh Adumim et d'Ariel, et que le Jourdain serait sa « frontière de sécurité ».
Pas de droit au retour pour les Palestiniens, pas d'évacuation des blocs de colonies (pas même de retour symbolique à la Ligne verte, ligne de départ fixée par l'Initiative de paix arabe), Jérusalem désignée comme « la capitale éternelle de l’Etat d'Israël »... qu'est-ce qui a changé ici par rapport à la carte produite par Ehud Barack, mis à part, bien sûr, le fait que Herzog rejette le droit symbolique de revenir à l'Israël de 1948 ? De même, aucun changement au sujet de Gaza : la bande côtière disparaît de la scène tant que le Hamas n'est pas démilitarisé.
Pour le deuxième Etat d'Israël et sa minorité non sioniste de nationalistes, de communistes et d'islamistes palestiniens, ces élections sont à l'origine d'une opportunité inespérée. Le relèvement du seuil électoral permettant d'entrer à la prochaine Knesset, une mesure conçue par Avigdor Lieberman pour limiter la représentation arabe à la Knesset, pourrait avoir l'effet inverse. Jamal Zahalka, le leader du Balad, est parvenu à réunir les partis sous une seule et même liste, ce qui constitue une première historique. Si le taux de participation des électeurs palestiniens se rapproche de celui des électeurs juifs, la liste pourrait rafler jusqu'à quinze sièges, ce qui en ferait le leader de l'opposition, un bloc que le gouvernement israélien serait tenu de consulter en vertu de la loi. De toute évidence, la représentation à la Knesset des non-sionistes est appelée à augmenter par rapport aux onze sièges actuels, bien que le mouvement de boycott gagne également du terrain.
Parmi tous les scénarios que ces élections pourraient produire (et Netanyahou a lutté contre un adversaire qui revendique un discours de « tout sauf lui »), le scénario le moins probable est celui d'un gouvernement prêt à faire les concessions radicales de territoires nécessaires à la formation d'un Etat palestinien indépendant. Le plus probable est celui d'un gouvernement qui continue comme si de rien était.
Cela ne signifie pas qu'il n'y aura aucun mouvement. Sous le vernis, des rencontres ont lieu entre des partis que vous ne verriez pas discuter ensemble. Mais parmi les tribus d'Israël, la gauche libérale ashkénaze est aujourd'hui le dernier des endroits où vous devriez rechercher l'inspiration. Alors qu'ils sont invités à choisir entre le libéralisme et le sionisme, c'est le sionisme, entériné par la loi du retour, qui fait surface encore et encore. L'impératif moral et historique de s'installer en Israël qu'ils perçoivent les rend aveugles aux droits moraux et historiques des autres.
Alors que ce conflit se rapproche de sa huitième décennie, il est moins question de cartes, de frontières ou de l'étiquette donnée à l’éventuelle solution (un Etat, deux Etats ou aucun Etat). L'élément précurseur essentiel permettant d'arriver à une solution – une volonté de reconnaître l'égalité des droits des non-juifs d'accéder aux terres, à l'eau, aux ports, à l'espace aérien, aux ressources pétrolières et gazières, aux produits de la pêche, etc., dans un des cinq Etats qu'Israël contrôle – est absent. Je laisse aux autres le soin de juger si ce refus est mieux représenté par Bibi, qui dit refuser les concessions, ou par Bouji, pour qui un monde idéal est un monde dans lequel Israël conserverait toutes les terres qu'il occupe.
- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il était précédemment journaliste au Guardian où il a occupé les positions de rédacteur en chef adjoint et contributeur principal de la rubrique Actualités internationales, éditeur de la rubrique Affaires européennes, chef du bureau de Moscou, correspondant européen, et correspondant en Irlande. Avant The Guardian, Hearst était correspondant pour la rubrique Education au journal The Scotsman.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Légende photo : à Tel Aviv, un panneau d'affichage rotatif montre Benjamin Netanyahou, Premier ministre israélien et candidat du Likoud, et Isaac Herzog, député israélien, chef du Parti travailliste et co-leader de l'Union sioniste (AFP).
Traduction de l'anglais (original).
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