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Obama n’a pas réussi à empêcher le soutien qatari et saoudien à un affilié d’al-Qaïda

Une source membre de la famille royale saoudienne a dit à Middle East Eye que Riyad et Doha financent une cellule affiliée à al-Qaïda active en Syrie
La couverture médiatique du sommet de Camp David entre Barack Obama et les membres du Conseil de coopération du Golfe a porté en grande partie sur le succès d’Obama à convaincre les États du CCG de le soutenir dans les négociations de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran.
 
Mais la nouvelle la plus significative de ce sommet est bien la décision d’Obama de ne pas enter en conflit frontal avec l’Arabie saoudite et le Qatar quant à leur financement d’une émanation d’al-Qaïda en Syrie qui affiche les succès les plus spectaculaires dans la guerre djihadiste contre le régime d’Assad.
 
Pendant des mois s’est envenimé le conflit opposant la politique de l’administration Obama à celle de l’Arabie saoudite et du Qatar au sujet de la guerre en Syrie.
 
L’Amérique s’efforce d’armer et de former plusieurs milliers de rebelles dans le but exclusif de lutter contre les forces de l’État islamique ; Saoudiens et Qataris, de leur côté, ont lancé une nouvelle initiative avec la Turquie en vue de renforcer les capacités du Jabhat al-Nosra (le Front al-Nosra), l’affilié officiel d’al-Qaïda en Syrie, et ses alliés djihadistes, par la création d’une nouvelle coalition militaire dans la province d’Idlib destinée à reconquérir du terrain sur le régime Assad.
 
Une source, membre de la famille royale saoudienne, impliquée dans les questions de défense et de sécurité, a confirmé pour cet article l’existence d’une nouvelle coalition militaire bénéficiant du soutien saoudien et qatari. Cette source a déclaré que l’Armée de conquête est une coalition temporaire dans la région d’Idlib, dont 90 % des troupes appartiennent aux seuls Jabhat al-Nosra et Ahrar al-Sham. A eux seuls, Saoudiens et Qataris fournissent, toujours d’après cette source, 40 % du financement de la coalition, et celle-ci couvre d’elle-même 60 % de ses propres besoins – principalement grâce aux prises de guerre.
 
Ahrar al-Sham est également soupçonné d’être fortement influencé par al-Qaïda, voire sous son contrôle. Membre fondateur et haut représentant d’Ahrar al-Sham, Mohamed Bahaiah a révélé, dans des messages postés dans les médias sociaux associés à l’organisation, qu’il fait partie des hauts responsables d’al-Qaïda. Jabhat al-Nosra et Ahrar al-Sham ont toutes deux coupé leurs liens avec le groupe État islamique, bien qu’il fut un temps où Ahrar al-Sham combattait aux côtés de ce dernier.
 
Percée d’Idlib
 
La nouvelle coalition a étonné les observateurs étrangers quand elle a conquis le 28 mars la capitale de la province d’Idlib – l’événement le plus important de la guerre syrienne depuis la capture de Racca par l’État islamique en mai 2013. L’institut pour l’Étude de la guerre à Washington, DC a qualifié la prise d’Idlib par la coalition de « victoire pour al-Qaïda en Syrie » et prédit qu’une grande partie de la communauté djihadiste mondiale y verrait un nouveau motif d’adhésion à la stratégie globale d’al-Qaïda.
 
A la lumière de ces faits, on aurait pu s’attendre à ce que le rôle de l’Arabie saoudite dans la fondation de cette nouvelle force sous contrôle du Front al-Nosra provoque d’une façon ou d’une autre une confrontation au sommet. Dans l’une de ses colonnes, en octobre dernier, David Ignatius, journaliste au Washington Post, avait expliqué l’irritation de l’administration Obama : suite à l’opération montée en 2013 par la Turquie, le Qatar et les Emirats arabes unis, des armes destinées à des groupes syriens aboutirent au final entre les mains du Jabhat al-Nosra et de l’État islamique.
 
Cette colonne avait paru le jour où le vice-président Joe Biden, en réponse à la question d’un étudiant  à l’université d’Harvard, avait dit que Turquie, Arabie saoudite et Emirats arabes unis avait « versé des fonds par centaines de millions de dollars, et fourni des armes par dizaines et milliers de tonnes à quiconque se battrait contre Assad ». Avec, à ses yeux, ce résultat : « Au final, les bénéficiaires s’appellent al-Nosra et al-Qaïda ainsi que les éléments djihadistes extrémistes venus de toutes les régions du  monde ». (Quelques jours plus tard, Joe Biden a présenté des excuses à la Turquie et aux Emirats arabes unis, qui l’accusaient d’avoir insinué par cette déclaration  qu’al-Nosra ou al-Qaïda avait été intentionnellement approvisionnés.)
 
Or, actuellement, c’est tout à fait délibérément que les gouvernements d’Arabie saoudite et du Qatar aident le Front al-Nosra et l’allié d’al-Qaïda, Ahrar al-Sham ; et cette politique a sérieusement aggravé la menace de voir al-Qaïda s’emparer du pouvoir en Syrie, alors même que, pour l’instant du moins, al-Qaïda est ouvertement opposé à l’État islamique.
 
Mais les priorités en politique étrangère de l’administration américaine ont radicalement changé. Les relations américano-saoudiennes sont dominées par une priorité absolue : défendre l’accord nucléaire avec l’Iran, en cours de négociation, contre toute attaque intérieure ou étrangère. Pendant sa conversation téléphonique avec le roi Salmane le 2 avril, cinq jours après la prise d’Idlib par le Front al-Nosra, Barack Obama n’a trahi aucun signe d’insatisfaction quant au rôle des Saoudiens dans le financement de l’affilié d’al-Qaïda. D’après la Maison Blanche, Obama s’est limité à n’évoquer que les « activités iraniennes de déstabilisation dans la région », tout en promettant que les négociations nucléaires avec l’Iran « n’émousseraient pas les préoccupations américaines » quant à ces activités.
 
Dans une de ses colonnes, le 12 mai, juste avant le sommet de Camp David, David Ignatius a dénoncé la nouvelle disposition en vertu de laquelle Turquie, Arabie saoudite et Qatar s’étaient mis à soutenir le Front al-Nosra, parce que cela permettrait à l’« Armée de la conquête » de remporter des victoires militaires si importantes qu’elles feraient pencher la balance contre le régime d’Assad dans la guerre en Syrie. Il a qualifié l’initiative qatari-saoudienne de soutenir al-Qaïda en Syrie d’« épineux problème », tout en suggérant qu’il restait gérable, car on pouvait raisonnablement espérer qu’une faction du Jabhat al-Nosra ferait publiquement sécession d’avec al-Qaïda pour rejoindre l’Armée de la conquête.
 
Selon des sources diplomatiques à Washington, les Etats du CCG ont participé au sommet en espérant que l’administration Obama apporterait son soutien à une « zone d’exclusion aérienne » au-dessus de la frontière turco-syrienne. Or, Obama recherchait un tout autre accord. Immédiatement après le sommet, Ignatius a indiqué que les deux parties avaient obtenu ce qu’elles voulaient : les Saoudiens et leurs alliés du CCG « l’assurance par les Américains de leur détermination à contester l’ingérence iranienne dans la région », et Obama l’approbation officielle par le CCG de son accord avec l’Iran sur le nucléaire.
 
L’une des dispositions de l’accord conclu lors du sommet prévoyait en effet que l’administration Obama accepterait qu’Arabie saoudite et Qatar continuent de financer la nouvelle puissance militaire d’al-Nosra. Cette question est couverte dans un très long appendice à l’accord conjoint, prévoyant que, « Les Etats membres du CCG ont décidé d’intensifier leurs efforts contre les groupes extrémistes en Syrie, notamment en fermant le robinet des fonds privés ou de toute forme d’assistance à l’État islamique, au Front al-Nosra, et à d’autres groupes extrémistes violents... ».
 
Mais, en réalité, Obama a conclu avec Riyad et Doha une entente toute différente sur la question. Pour reprendre la façon dont David Ignatius a formulé la position américaine à ce sommet, « Obama et les autres responsables américains ont exhorté les dirigeants du Golfe qui financent l’opposition de garder leurs clients sous contrôle, pour être sûr que le régime post-Assad ne soit pas noyauté par des extrémistes à la solde de l’État islamique ou d’Al-Qaïda ».
 
Les Saoudiens campent sur leurs positions à l’égard de la Syrie. La source membre de la famille royale saoudienne a indiqué que si Riyad soutient la coalition contrôlée par al-Nosra, c’est « parce qu’elle n’a pas d’autre alternative ». Les Saoudiens avaient auparavant tenté d’aider l’Armée syrienne libre, mais avaient « lamentablement fait chou blanc ». Et puisque l’Arabie saoudite « ne pourrait jamais soutenir l’État islamique » (qu’elle appelle « son pire ennemi »), cet accord a été « dicté par les circonstances ».
 
Obama est bien conscient que la chute du régime d’Assad risque de porter un régime terroriste à la tête de la Syrie. S’il a décidé de tolérer – au moins pour l’instant – les politiques de l’Arabie saoudite et du Qatar (qui rendent cette issue encore plus vraisemblable), c’est tout simplement parce qu’il y trouve son compte. Cependant, les conséquences à long terme de cette décision et ses retombées politiques futures risquent d’être énormes, ce qui suggère qu’Obama devra sans doute réexaminer la question assez rapidement.
 
- Gareth Porter, journaliste d’investigation indépendant, fut le lauréat 2012 du prix Gellhorn du journalisme. Il est l’auteur d’un livre, récemment publié : Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (Une crise fabriquée de toutes pièces : les origines secrètes de la hantise d’un Iran nucléaire).
 
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
 
Photo : 19 Décembre, 2014, région au sud d’Alep, ville syrienne au nord du pays, des combattants du Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaïda, occupent une position conquise pendant leur campagne contre les forces restées fidèles au gouvernement (AFP).
 
Pour plus d’informations, visiter le site : http://www.middleeasteye.net/columns/obama-s-fail-saudi-qatari-aid-al-qaeda-affiliate-1176814251#sthash.4tDaYyXZ.dpuf
 
Traduction de l'anglais (original) par Dominique Macabies.
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