Les sanctions sont-elles le nouvel ennemi d'Israël ?
Depuis plus d'une semaine, les Israéliens ont le sentiment d'être attaqués, comme si un nouvel ennemi menaçait leur existence même. Le sentiment de danger que représente pour Israël ce nouvel ennemi a été exprimé par le Premier ministre Benjamin Netanyahou et a fait la une des principaux journaux. Ces temps-ci, l'ennemi n'est pas l'Iran, ni le Hezbollah ou le Hamas, mais le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) qui étend son ombre sur Israël.
Tout a commencé une semaine plus tôt, lorsque les Palestiniens ont exprimé leur souhait de voir Israël exclu de la FIFA (Fédération internationale de football association) pour violation présumée des droits des footballeurs palestiniens. La proposition n'a même pas été votée, puisque Jibril Rajub, le président de l'association palestinienne, l'a retirée au dernier moment. À présent, au lieu de célébrer sa victoire et de poursuivre ses activités, Israël a fait de sa lutte contre le boycott son problème le plus urgent.
Le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a évoqué le mouvement du boycott plusieurs fois cette semaine, déclarant qu'« après avoir échoué à vaincre Israël sur le plan militaire, ils [les ennemis d'Israël] tentaient d'utiliser une nouvelle arme contre lui : le boycott ». Yediot Ahronot, le journal le plus diffusé d'Israël (qui est généralement un fervent ennemi de Netanyahou), a lancé une campagne contre le mouvement BDS, consacrant ses premières pages à ce sujet.
La lutte contre ce mouvement pro-palestinien, tenace mais d'envergure plutôt limitée, a donné à deux milliardaires juifs américains (Sheldon Edelson et Haim Saban), dont les opinions politiques divergent en général (Edelson soutient les candidats républicains alors que Saban est très proche de Hillary Clinton), l'occasion, rare, d’unir leurs forces. Au début de la semaine, ils ont mis leurs désaccords de côté et se sont rencontrés à Las Vegas afin de coordonner une campagne à l'échelle mondiale contre le mouvement BDS.
La nouvelle ministre israélienne de la Culture, Miri Regev, a été nommée pour diriger un organe interministériel qui s'occupera de la question. Gilad Arden, le ministre chargé des menaces stratégiques, a mis en place sa propre équipe pour gérer le problème. Ces mesures viennent s'ajouter aux actions d'une équipe existante, déployée au sein du ministère des Affaires étrangères et qui a été formée pendant les semaines qui ont précédé le vote de la FIFA.
Isolement sur le plan international
Les avertissements formulés cette semaine par des politiciens et des journalistes israéliens à propos d'un processus insidieux d'isolement sur la scène internationale se sont concrétisés ce mardi, lorsque l'Union nationale des étudiants du Royaume-Uni (British National Union of Students - NUS) a décidé de rejoindre le mouvement BDS. Il est vrai que ce mouvement est essentiellement symbolique, puisque les organisations étudiantes, qui se comptent par milliers, sont libres de choisir de quelle manière elles pourront rejoindre le mouvement, si elles le font ; mais le message que la plupart des Israéliens ont reçu était clair : leur pays est assiégé.
La question est de savoir pourquoi des personnalités israéliennes, officielles ou non, s'engagent dans une telle campagne, qui, certainement, amplifie l'importance du mouvement BDS et donne à ses militants un sentiment de satisfaction. Il existe certainement une explication politique à ce phénomène. Le nouveau gouvernement Netanyahou, qui est sans doute le gouvernement le plus à droite de l'histoire récente d'Israël, a besoin de cette menace internationale pour combattre ses propres ennemis internes, imaginaires ou réels.
Tzipi Hotovely, la ministre adjointe des Affaires étrangères (qui a sidéré les diplomates étrangers la semaine passée en expliquant qu'Israël occupait la Cisjordanie pour accomplir la promesse divine faite au peuple juif), a demandé ce mardi au gouvernement suisse d'annuler une exposition que l'organisation israélienne dissidente, Breaking the Silence, était sur le point de tenir à Zurich. Le fait de dépeindre l'opposition à la politique du gouvernement comme une coopération avec des ennemis extérieurs permet de la combattre plus facilement de l'intérieur.
Une attaque préventive
Une autre raison pourrait être que Netanyahou se prépare pour un avenir proche. Selon les prévisions, l'accord entre l'Iran et les nations du P5+1 (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Chine, la Russie, plus l'Allemagne) concernant son programme nucléaire sera signé fin juin. L'hypothèse est que, le jour suivant la signature de l'accord, le conflit israélo-palestinien sera de nouveau à l'ordre du jour.
La France est aussi censée réitérer son initiative pour faire adopter une résolution par le Conseil de sécurité de l'ONU appelant à la création d'un État palestinien indépendant dans un délai de deux ans. Dans une interview diffusée hier sur Aroutz 2, une chaîne de télévision israélienne, Barack Obama, le président des États-Unis, a clairement laissé entendre que son gouvernement ne défendrait pas nécessairement Israël face à de telles initiatives, puisque Netanyahou est dans l'incapacité de convaincre le monde entier de son engagement pour une solution à deux États.
Netanyahou pourrait penser qu'une attaque concertée visant les initiateurs et les défendeurs du mouvement du boycott, et qui définirait de tels actes comme ayant un caractère « antisémite », pourrait tenir lieu d'attaque préventive face à des moyens de pression qui pourraient être utilisés dans le futur à l'encontre d'Israël en ce qui concerne le problème palestinien. Netanyahou a utilisé des tactiques similaires pour que les États-Unis et la communauté internationale prennent des sanctions à l'encontre de l'Iran. Cette stratégie lui a plutôt bien réussi, exerçant une pression sur le régime de Téhéran.
Israël pourrait aussi craindre qu'une impulsion amorcée par une union étudiante au Royaume-Uni puisse se transformer en un mouvement de boycott beaucoup plus large. Il est peu probable que les gouvernements occidentaux soient impliqués dans le futur, comme ce fut le cas avec l'apartheid en Afrique du Sud, mais des syndicats de travailleurs, des fonds de pension et d'autres organisations similaires de la société civile, en Europe ou même aux États-Unis, pourraient rejoindre le mouvement. Israël est largement tributaire du commerce extérieur et toute sanction, même légère, pourrait lui porter préjudice.
Quelles que soient les raisons de la quasi-hystérie provoquée en Israël par le mouvement BDS, l'une des conséquences de ce dernier se fait déjà ressentir. Même les Israéliens conservateurs, qui d'ordinaire ne ressentent pas d'urgence à trouver un accord avec les Palestiniens, demandent au gouvernement d'établir une forme de dialogue avec eux pour que la pression exercée sur Israël se relâche et pour montrer à la communauté internationale que des progrès sont réalisés.
Danny Ayalon, l'ancien ministre adjoint des Affaires étrangères ayant exercé sous la direction d’Avigdor Lieberman, a été jusqu'à dire aujourd’hui sur Aroutz 2 qu'« Israël avait besoin d'un processus de paix et devait faire preuve de compassion à l'égard des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza. » Une telle déclaration lui aurait valu d'être étiqueté comme étant de gauche quelques mois plus tôt. Grâce à la campagne menée contre le mouvement BDS, Israël est en train de redécouvrir le problème palestinien, mais aussi la question des checkpoints et même de l'occupation. Il sera intéressant de voir quelles seront les conséquences de cette révélation.
- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien, lauréat du prix Napoli de journalisme pour son enquête sur les oliviers volés à leurs propriétaires palestiniens. Il est l'ancien directeur du département de l'information du journal Haaretz et exerce maintenant son métier en tant que journaliste indépendant.
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Photo : manifestants anti-Israël (WikiMedia Commons).
Traduction de l’anglais (original) par Stiil Traduction.
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