Informer sur le Moyen-Orient : le besoin d’un journalisme honnête
Ecrire et rapporter sur le Moyen-Orient n’est pas une tâche aisée, particulièrement durant ces années d’agitation et de bouleversement. Mais je ne me souviens pas d’une autre époque dans l’histoire récente où nous ayons autant eu besoin de journalistes de qualité pour contester les idées reçues, pour réfléchir en termes de contextes, de motifs, d’alliances, et non selon des intérêts idéologiques, politiques ou financiers.
Pour commencer, en abordant la question du Moyen-Orient, l’entité même du « Moyen-Orient » est fortement contestable. Elle est arbitraire et peut seulement être comprise dans la proximité à une autre entité, l’Europe, dont les projets coloniaux ont imposé ce genre de classifications au reste du globe. L’Europe coloniale était le centre du monde et tout était mesuré du point de vue de la distance physique et politique par rapport au continent dominant.
Les intérêts occidentaux dans la région n’ont jamais faibli. En réalité, si l’on se fie aux guerres menées par les Etats-Unis en Irak (1990-1991), le blocus de dix ans suivi d’une guerre et d’une invasion massives (2003), le « Moyen-Orient » est de retour au centre des activités néocoloniales, de colossaux intérêts économiques occidentaux et de manœuvres stratégiques et politiques.
Questionner le terme de « Moyen-Orient », c’est prendre conscience de l’histoire coloniale et de la féroce concurrence économique et politique qui font sentir leurs effets dans tous les aspects de la vie dans la région.
Arundhati Roy a été citée comme disant : « Les ’sans voix’ n’existent pas. Il y a seulement ceux que délibérément on fait taire, ou ceux que l’on préfère ne pas entendre. » Pendant des décennies, si ce n’est des siècles, la région du Moyen-Orient a été une des plus mal comprises dans le monde. Tous ces malentendus et stéréotypes ont dans le passé servi les politiques coloniales, puis les desseins néocoloniaux pour la dépouiller de son héritage, de sa fierté et de ses ressources. Le début du Printemps arabe a produit des vagues d’attente et d’espoir que peut-être le vent avait fini par tourner et que ceux que l’on avait fait taire - au niveau de la région comme au niveau du globe - aurait enfin leur moment pour exprimer ce qu’ils pensent.
Mais le discours du Printemps arabe s’est fondamentalement transformé, et est devenu sectaire dans l’âme. Ceci a conduit à la polarisation d’une grande partie des médias au Moyen-Orient et de la plupart de ceux qui traitent de cette région. Il se résume souvent à la question simple de savoir si vous êtes dans le camp conduit par les Saoudiens ou dans celui mené par les Iraniens. Il laisse peu de marge aux journalistes qui veulent appréhender la question dans sa véritable complexité, et éviter le discours simpliste et sectaire.
C’est une bien triste époque où beaucoup de journalistes sont à vendre, prêts à prêter leurs stylos à celui qui paye le mieux. Le récit présenté au monde n’a, parfois, rien à voir avec la réalité sur le terrain, et n’est rien de plus qu’une mosaïque de stéréotypes, rumeurs, et bavardages d’officiels privilégiés qui n’ont aucune compréhension de la souffrance vécue par les concitoyens, que ce soit en Egypte, en Palestine, au Yémen ou n’importe où ailleurs.
Mais ce n’est pas une fatalité, et il y a des règles à appliquer pour échapper à ces arnaques journalistiques. Et la meilleure chose que vous puissiez faire pour ne pas produire des immondices littéraires est de commencer par ce qui est à la base. Trouvez les personnes qui sont les plus affectées dans les récits que vous rapportez : les victimes, leurs familles, les témoins oculaires et la communauté dans son ensemble. Alors que de telles voix sont souvent négligées ou juste employées pour produire de la ligne, elles devraient être au centre de tout reportage sérieux sur la région, particulièrement dans les lieux déchirés par les conflits et par la guerre.
C’est un fait qu’il peut y avoir plus d’un point de vue sur les mêmes situations, mais ce ne devrait pas être l’aspect dominant dans votre reportage. Mêmes si les polarisations sont inévitables, il faut que ce soit alors pour les bonnes raisons. Les droits de l’homme. La résolution des conflits. La paix. Faites en sorte que la compréhension du coût du conflit soit votre guide dans votre façon d'aborder les questions plus larges et à multiples facettes, sans vous transformer en avocat pour une cause ou une autre. La défense des droits de l’homme - si c'est pour les bonnes raisons - est une mission noble et importante mais qui ne fait pas le journalisme en soi.
J’écris ceci avec la profonde compréhension qui sied à quelqu’un que l’on avait fait taire, sous la domination d’un occupant brutal pendant la majeure partie de ma vie. S’il y a quelque chose dont ce monde a besoin, c’est de journalistes honnêtes qui ne prennent partie pour aucun côté si ce n’est pour celui de l’opprimé. Nous ne pourrons vraiment trouver de solutions aux événements tragiques qui se déroulent autour de nous, tant que nous n’aurons pas compris comment nous sommes entrés dans cette sinistre réalité. Dire la vérité est un bon point de départ.
- Ramzy Baroud (www.ramzybaroud.net) est chroniqueur pour divers médias internationaux, conseiller dans le domaine des médias, auteur de plusieurs livres et fondateur de PalestineChronicle.com. Il complète actuellement ses études de doctorat à l’université d’Exeter. Son dernier livre, My Father Was a Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story (Pluto Press, London), est disponible en version française (Résistant en Palestine. Une histoire vraie de Gaza, éditions Demi-Lune).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une réfugiée syrienne mendie avec ses enfants dans le district de Beyoglu à Istanbul le 17 avril (AFP).
Ramzy Baroud (www.ramzybaroud.net) est chroniqueur pour divers médias internationaux, conseiller dans le domaine des médias, auteur de plusieurs livres et fondateur de PalestineChronicle.com. Il complète actuellement ses études de doctorat à l’université d’Exeter. Son dernier livre, My Father Was a Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story (Pluto Press, London), est disponible en version française (Résistant en Palestine. Une histoire vraie de Gaza, éditions Demi-Lune).
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