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La France, nouvelle meilleure amie des monarchies du Golfe

La France a récolté des récompenses commerciales dans les pays du Golfe grâce au soutien inconditionnel qu'elle apporte à leurs politiques antagonistes dans la région
La visite cette semaine à Paris du vice-prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane et la signature d’accords économiques et militaires d’un montant estimé à 12 milliards de dollars soulignent l’approfondissement des relations entre la France et les monarchies du Golfe.
 
En mai, le Président François Hollande est devenu le tout premier dirigeant occidental à avoir assisté à un sommet des dirigeants du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ; au cours des six derniers mois, la France a également signé un accord de 3 milliards de dollars avec Riyad pour approvisionner l’armée libanaise en armes, un accord de 7 milliards de dollars pour vendre des Rafale au Qatar et un accord de 5 milliards de dollars pour vendre ces mêmes avions à l’Égypte, facilité par un important soutien politique et potentiellement financier des Émirats arabes unis.
 
Le rapprochement de la France avec les pays du Golfe peut ressembler à une aubaine pour renforcer la présence de Paris au Moyen-Orient : il s’agirait de « combler le vide » créé par la frustration des pays du Golfe face à ce qu'ils perçoivent comme l’attitude trop modérée des États-Unis vis-à-vis de l’Iran. Mais en fait, la réalité indique le contraire : les nouveaux liens de proximité entre la France et les États du Golfe indiquent un soutien de plus en plus inconditionnel pour les politiques régionales de ces États. La capacité d'Hollande à exercer une influence de manière indépendante a décru.
 
La France soutient l’opération militaire menée par l’Arabie saoudite au Yémen, malgré le fait que d’autres pays occidentaux, notamment les États-Unis, se méfient de ses nombreux pièges (sur le plan sécuritaire, politique et humanitaire) et font pression pour qu’une stratégie de sortie soit initiée.
 
Une alternative à Washington
 
Les États du Golfe utilisent Paris pour s’assurer la couverture politique occidentale tant désirée pour leurs positions de plus en plus antagonistes dans la région. En courtisant la France, les pays du Golfe envoient un message à Washington, indiquant qu’ils peuvent se tourner vers d’autres puissances pour obtenir du soutien.
 
Il est clair que le matériel militaire français est utile pour les États du Golfe, en les aidant à diversifier leur arsenal dans une période de bouleversement sans précédent au niveau régional. Les Rafale seront des ajouts précieux pour les États du Golfe qui entreprennent désormais activement des opérations de combat dans la région, que ce soit au Yémen, en Libye ou dans le cadre de la coalition contre l’État islamique. Toutefois, malgré les frustrations actuelles, les États du Golfe continuent finalement de se tourner vers les États-Unis pour leur dispositif de sécurité et l’apport d’un soutien militaire clé, et c’est cette dynamique politique qui est le moteur de leur engagement de plus en plus profond avec Paris.
 
Évidemment, la France engrange des récompenses commerciales considérables pour ce soutien. Alors que la situation économique de l’Europe n’a jamais été aussi précaire, Hollande a placé la France à l’avant du peloton (ce qui suscite souvent la jalousie des autres pays européens tels que le Royaume-Uni) pour récolter les gains matériels du malaise des pays du Golfe, de leur désir d’obtenir un certain soutien occidental et de leur volonté de dépenser à des niveaux jamais vus.
 
Que ce soit en apportant un soutien total à l’intervention au Yémen ou en prenant une position radicale face aux conditions proposées à l’Iran dans le cadre des négociations sur le nucléaire, Paris a réussi à se présenter comme le plus proche allié occidental des pays du Golfe, et a été récompensé en conséquence.
 
Dans certains cas, tels que l’Iran et la Syrie, où Paris a rejoint les États du Golfe dans leur appel à des mesures plus énergiques pour évincer Bachar al-Assad, cela n’a pas nécessairement impliqué une prise de distance significative par rapport à la lecture analytique de la situation faite par la France (bien qu’il semble y avoir quelques inquiétudes à Paris quant à la volonté des États du Golfe de coopérer avec le Front al-Nosra, groupe affilié à al-Qaïda opérant en Syrie).
 
Un alignement sans prise de responsabilité
 
Dans d’autres domaines, tels que la décision de vendre des avions de chasse au gouvernement égyptien, qui a permis à la France de prendre les devants dans le processus de relégitimisation du gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi par l’Union européenne, ou dans l’appel au soutien pour l’intervention saoudienne au Yémen, cet alignement ne se vérifie pas nécessairement, la France s'inquiétant des conséquences possibles ou probables pour la stabilité régionale et, par extension, pour les intérêts européens et français.
 
Dans tous les cas, la France a été capable de prendre ces positions sans engager une part importante de responsabilité, ce qui l’aurait par exemple poussée à initier des mesures militaires unilatérales pour soutenir sa rhétorique forte ou à témoigner d’une volonté réelle de bloquer l’accord nucléaire négocié par les États-Unis.
 
Tout comme les États du Golfe, la France continue de se tourner vers les États-Unis pour prendre les décisions décisives dans la région tout en profitant de la réticence américaine pour agir comme bon lui semble. Ironiquement, si Washington répondait de manière plus énergique, conformément aux ambitions proclamées des pays du Golfe et de la France, Paris serait susceptible de perdre rapidement sa nouvelle position privilégiée avec les États du Golfe.
 
À bien des égards, ces liens entre la France et le CCG sont clairement avantageux pour les deux parties, mais en fin de compte, ces relations restent peu susceptibles d’aboutir à un partenariat stratégique significatif.
 
La France engrange peut-être de nouvelles récompenses commerciales, mais son rôle en tant qu’acteur disposant d'une influence régionale significative est sans doute revu à la baisse, étant donné que Paris s’aligne de plus en plus aveuglément sur les politiques des États du Golfe, même lorsque celles-ci contribuent à nourrir les conditions qui alimentent de nouvelles menaces pour les intérêts européens, que ce soit le terrorisme ou la colossale augmentation des flux de réfugiés.
 
Pour leur part, les États du Golfe savent que malgré l’utilité et l’attrait de la couverture politique apportée par Paris, la France sera au final incapable et peu encline à prendre des mesures significatives pour les aider à répondre à leurs préoccupations fondamentales à l’échelle régionale.

 
- Julien Barnes-Dacey est chercheur principal en politique pour le programme du Conseil européen des relations étrangères sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Il a travaillé en tant que journaliste dans tout le Moyen-Orient. Basé en Syrie de 2007 à 2010, il a réalisé des reportages pour le Wall Street Journal, le Christian Science Monitor et le Financial Times, et a officié en tant que producteur sur le terrain pour Channel 4 News (Royaume-Uni) et Al-Jazeera. Auparavant, il était rédacteur en chef de Niqash, un service irakien d’information en ligne, et a travaillé pour le Cairo Times en Égypte de 2003 à 2004.
 
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
 
Photo : le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius (à droite) échange des documents avec Hashim Yamani, président de King Abdullah City for Atomic and Renewable Energy (AFP). 
 
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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