Des nuances de sionisme
L’an dernier, les sionistes libéraux ont engagé des efforts visant à obtenir la reconnaissance internationale d'un petit État appelé Palestine. Les pourparlers de paix négociés par les États-Unis, qui ont pris fin au milieu de l’année 2014, étaient la dernière d’une longue série de tentatives d’aboutir à un accord entre les Israéliens et les Palestiniens pour une solution à deux États. L’échec de ces négociations a incité les parlements européens, avec la connivence de l’Autorité palestinienne (AP), à continuer à avancer sur la voie du mini-État, qu’Israël l’accepte ou non.
L’entourloupe était la suivante : les motions parlementaires comprenaient non seulement la reconnaissance de la « Palestine », mais également celle d’un État d’Israël sûr dans le cadre d’une solution à deux États. C’est-à-dire que l’objectif des sionistes libéraux était en réalité une acceptation au niveau international d’un État juif au Moyen-Orient, soixante-six années après la fondation d’Israël.
Mais la solution à deux États a toujours fait l’impasse sur le sort des citoyens palestiniens d’Israël tout comme des quelque six millions de Palestiniens en exil. D’une certaine manière, elle abordait seulement les préoccupations des Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza. Étant donné que c’est cette limitation qui explique en grande partie pourquoi les solutions à deux États ont échoué, certains sionistes modérés vont désormais plus loin : ils veulent au moins satisfaire les citoyens palestiniens d’Israël.
Leur appel est un appel à l’égalité des droits pour tous ceux qui vivent entre le fleuve et la mer, et est considéré comme une solution acceptable par le Bruno Kreisky Forum ainsi que par les parlementaires socialistes européens , entre autres. Mais comme cela a été précisé lors d’un séminaire important organisé au début de l’année 2015 par Voix juives indépendantes, les droits doivent être étendus uniquement à ces personnes (et comprendre également la régularisation du statut des habitants des colonies exclusivement juives de Cisjordanie), mais pas aux réfugiés palestiniens et à leurs descendants. Ces derniers sont une nouvelle fois laissés pour compte.
La vieille nouvelle vision binationale
Dans la mesure où elle prévoit l’égalité des droits, cette vision ne peut pas contourner une réunification de la Palestine en un seul État. Dans le même temps, elle reconnaît la nécessité pour de nombreux juifs et de nombreux Palestiniens d’avoir leur propre « nation ». C’est donc une solution binationale qui est proposée, pas simplement un État pour tous ses citoyens sur le modèle généralisé de la démocratie constitutionnelle. Jamais facile à définir, cette confédération binationale est appelée « Deux États, une patrie » (« Two States, One Homeland ») par ses partisans associés à l'Israel/Palestine Centre for Research and Information et à l’institut Van Leer de Jérusalem.
De même, l’initiative « Une terre, deux États » (« One Land, Two States ») appelle à la formation d’« États parallèles », non séparés géographiquement en sous-États ou en cantons. La population jouirait d’une liberté de circulation, de résidence et d’activité économique dans toute la Palestine historique. En bref, si la répartition exacte des pouvoirs entre la fédération et ses deux unités reste vague, ces visions essaient d’éviter, à cette plus petite échelle, le caractère ethnocratique de la solution à deux États.
La solution binationale remonte à Brit Shalom et à son membre le plus connu, Judah Magnes. À une époque où les juifs représentaient 15, 20 ou 25 % de la population palestinienne, juifs et non-Juifs auraient chacun joui de la moitié des pouvoirs, formant ainsi un système de « parité ». Sans surprise, cette idée n’a pas recueilli de soutien chez les Arabes, qui niaient tout droit collectif et historique des juifs en Palestine, quel que fût le rapport de force. Une certaine idée de la parité, ou d’un droit de veto pour chaque groupe « national », subsiste dans les visions actuelles.
Le discours sur les « droits »
Cette insistance des sionistes plus modérés pour une approche du conflit israélo-palestinien « basée sur les droits » vise à sortir du discours des « solutions », et ce en dépit de leur propre proposition d’une solution binationale et comme si la tâche n’avait pas toujours été de juger les solutions au degré de respect des droits de l’homme qu'elles garantissent. Quoi qu’il en soit, quels droits palestiniens doivent être restaurés ?
Pour les habitants apatrides de la Cisjordanie et de Gaza, l’élimination de la Ligne verte par la solution binationale signifierait enfin une citoyenneté officielle. Fait louable, cette vision implique également que toute proposition d'un État de Palestine morcelé n'est pas tant impraticable qu'indésirable. Cependant, elle renforce également les colonies israéliennes en Cisjordanie, qui, bien qu’elles ne seraient plus uniquement réservées aux juifs aux yeux de la loi, resteraient une insulte au collectif palestinien, bien que tempérée par la restauration officielle de la propriété foncière pour les Palestiniens.
Cette vieille nouvelle solution binationale représente une amélioration évidente pour les citoyens non juifs d’Israël, qui ne seraient plus des citoyens de troisième zone, derrière les juifs ashkénazes et mizrahims ; les privilèges dont Israël bénéficie dans l’utilisation de l’eau et des infrastructures de transport prendraient également fin. Les partisans sionistes modérés de cette idée admettent en outre que c’est toute la Palestine historique qui est « occupée », pas seulement les régions conquises en 1967. Toutefois, le retour chez eux des « déplacés internes » palestiniens (les « présents absents », tel que les définit Israël) reste une question ouverte, puisqu'elle implique l’expulsion des résidents actuels.
En ce qui concerne les droits du troisième groupe de Palestiniens (ceux qui se retrouvent involontairement dans la diaspora), cette pensée binationale est un échec lamentable. Ils devraient pouvoir rentrer chez eux en Israël, récupérer leurs biens et être intégrés en tant que citoyens. Cependant, on propose tout au plus que le nombre de rapatriés soit égal au nombre de colons juifs de Cisjordanie autorisés à rester où ils sont. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une prolongation de l’exclusion raciste des millions de victimes du nettoyage ethnique.
Un nettoyage ethnique
Le sionisme consiste à affirmer l’existence d’un État juif, pas n’importe où, mais en Palestine. Si cet État exclut les 20 % de la Palestine appelés « Judée et Samarie », c’est un sionisme à deux États qui ne s’appuie pas sur les frontières définies par la résolution 181 de l’ONU, mais plutôt sur celles d’« avant 1967 ». Cette forme de sionisme, qui pourrait être libérale par rapport au sionisme jabotinskiste virulent du gouvernement d’Israël, s’avère toutefois avare et militariste envers les Palestiniens à l’extérieur de la Cisjordanie et de Gaza.
Le sionisme « le plus modéré », adopté par les adeptes de la solution binationale, se trouve cependant dans une impasse insoluble. Ses partisans libéraux laïcs doivent constater que la Nakba tout comme le nettoyage ethnique en cours depuis 1948 ne font désormais l’objet d’aucune contestation dans le reste du monde. Cette injustice historique fondamentale doit être reconnue et le mouvement La Paix maintenant et sa solution à deux États doivent être oubliés. Mais cette extension du libéralisme laïc impliquerait l’obligation de gérer les millions de victimes du nettoyage ethnique et leur droit au retour.
Pour s’en assurer, on s’aperçoit que les conclusions tirées par les partisans de la solution binationale du récit palestinien désormais accepté mettant en évidence le nettoyage ethnique initié par le plan Daleth sont plus libérales que celles, par exemple, de l’historien Benny Morris, qui estime qu’en 1948 Israël n’aurait pas dû s’arrêter à la Ligne verte. Les nouvelles initiatives comportent cependant une cohérence troublante avec celles de Morris et d’Ari Shavit, dans son livre Ma Terre Promise publié en 2013. Deux écrivains qui, en réalité, tolèrent le nettoyage ethnique. La position de Shavit, plus précisément, est amorale : ce que le sionisme a perpétré était certes laid, meurtrier, humiliant et appauvrissant, mais cela devait être fait ; c’était soit eux, soit nous, et cela ne peut donc pas être jugé.
De ce point de vue, Israël est ni responsable, ni coupable, et cette position réactionnaire est partagée par les sionistes tant virulents que modérés. S’ils acceptaient réellement la culpabilité du sionisme, les adeptes actuels de la solution binationale devraient adopter le concept du droit au retour (en réalité les trois droits que sont le droit au rapatriement, à la restitution des biens et à une compensation). Mais ce n’est pas le cas. Tout au plus, ils disent que le nouveau régime politique des résidents présents, une fois formé, adopterait ses propres lois sur l’immigration. Mais ils ne mentionnent pas le droit au retour des individus, confirmé par la résolution 194 émise par l’ONU.
La solution binationale ou un État démocratique
Comment pouvons-nous comprendre ce refus d'accepter la communauté palestinienne dans sa totalité et cette indulgence envers les colonies en Cisjordanie ? La résurgence de la solution binationale fait certes avancer le libéralisme du sionisme libéral, mais la ligne de fond semble être en réalité la survie, en toute légitimité, de l’une de ces deux « nations », en l'occurrence l’entité juive. Donner des droits et des pouvoirs politiques égaux aux deux collectifs définis selon des critères ethniques est une façon de contourner une éventuelle délégitimation du collectif juif israélien par une majorité palestinienne qui en résulterait.
A contrario, deux visions antisionistes sont actuellement sur la table. Ces visions attestent la culpabilité du sionisme et insistent sur l’absence de tout lien entre les Palestiniens et la persécution des juifs en Europe. La première prévoit la création d’un État arabe/palestinien unique tandis que la seconde souhaite un seul État démocratique (ODS – « One Democratic State »).
La première vision veut une nation arabe disposant de droits de souveraineté sur la terre et d’autodétermination pour les résidents autochtones, tout en accueillant les juifs européens en tant que minorité non-arabe. Pour la seconde vision, les droits de l’homme et l’égalité des droits politiques sont une évidence, tout comme le droit au retour des Palestiniens et la liberté de rester pour les Israéliens juifs. Mais ces visions sont définies en des termes individuels plutôt que des termes nationaux ou collectifs, bien qu’elles soient enclines à accorder des droits collectifs supposés aux indigènes plutôt qu’aux colonialistes immigrés.
Les adeptes modérés de la solution binationale ne sont pas encore prêts à inclure tous les Palestiniens dans leur proposition d’État : en effet, cela signifierait la fin du sionisme. Cependant, leur approche basée sur les droits les oblige à réfléchir à cet État démocratique engendré par la restauration de la citoyenneté pour les victimes de l’épuration ethnique et leurs descendants, sans qui leur vision binationale restera insuffisante. Espérons qu’ils franchissent cette dernière étape.
- Blake Alcott, économiste écologique officiant à Cambridge et Zurich, est le directeur de One Democratic State in Palestine (England) Limited.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un manifestant palestinien brandit une pancarte lors d’une manifestation contre l’occupation israélienne à Hébron (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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