Tel Aviv sur Seine, retour sur une polémique
Ce 13 août, les abords de la Seine, au centre de Paris, avaient des allures de camp retranché. Dès l’arrivée sur les quais bordant le pont de Notre-Dame, un des points d’entrée de la journée « Tel Aviv sur Seine », portiques de sécurité et fouilles systématiques au détecteur de métaux attendaient les militants, journalistes et, accessoirement, les rares touristes qui s’étaient risqués sur les lieux.
« Tel Aviv sur plage, c’est à gauche… »
Un policier, un peu nerveux, nous interpelle dès notre arrivée : « Israël, c’est à gauche. Pour Gaza, c’est à droite. On ne passe pas de l’un à l’autre ; entre les deux, il faut choisir ». Dans sa diligence à orienter les visiteurs, le fonctionnaire ne se rend pas compte qu’il vient de résumer une situation géopolitique qui se rejoue en plein centre de Paris.
Tel Aviv sur Seine : des transats épars, des stands proposant des spécialités « israéliennes » faites de fallafels et de pitas orientaux ou des galettes baptisées « peace » et « love », et quelques chansons tentant de reproduire maladroitement dans les haut-parleurs un Tel Aviv de carte-postale.
Plus de 500 policiers et gendarmes ont été déployés. Un plan sécurité digne des manifestations de la fête nationale le 14 juillet ou de l’arrivée du Tour de France de cyclisme. Sous un chapiteau, des officiers de sécurité de l’entreprise privée Isopro font avancer les visiteurs, après leur avoir demandé de vider leurs poches.
Devant le chapiteau, un homme discret observe la scène. Jean-Claude Nataf, l’un des fondateurs de la branche française de la Ligue de Défense Juive (LDJ). Il fait parfois passer en priorité quelques visiteurs de sa connaissance, dont l’avocat et réserviste de l’armée israélienne Arno Klarsfeld. Un petit coup d’œil, un geste de sa part aux forces de sécurité, et les visiteurs privilégiés franchissent les portiques.
D’autres seront moins chanceux : cinq jeunes hommes vêtus de maillots « Gaza Soccer Beach » se voient refoulés à l'entrée du site par les forces de l'ordre. Ils repartent calment vers « Gaza plage ».
Si, à la fin de la journée, la mairie a revendiqué plus de 11 000 visiteurs, sur place l’impression est nette qu’il y a eu davantage de journalistes et de partisans de la politique du gouvernement israélien que de véritables touristes. Drapeau israélien fièrement brandi, Nanou se prête volontiers au jeu des photographes : « Nétanyahou n’est pas un assassin, je suis là pour montrer mon soutien ». Plus loin, munis de drapeaux et de lunettes arborant l'étoile juive, d’autres dansent sur le sable.
Quelques incidents émaillent la journée. Ici, un photographe indépendant est insulté, menacé par un homme qui semble appartenir à la LDJ, sans que la police n’intervienne. L’accès à Tel Aviv plage lui est refusé. Là, c’est une jeune femme vêtue d’un tee-shirt montrant le drapeau palestinien qui se fera apostropher, puis frapper, par une femme de la file d’attente. Un policier intervient, puis interpelle un collègue : « Qui s’occupe du checkpoint là ? ». Ambiance…
« … à droite, c’est Gaza »
De l’autre côté du pont de Notre Dame, la contre-manifestation rassemble une centaine de personnes. Des banderoles rappelant la guerre contre Gaza de l’été 2014 sont déployées, des tracts sont distribués, des slogans scandés. L’ambiance est tout autant militante que du côté « israélien », avec un panneau qui dénonce « Hidalgo [maire de Paris], sponsor de la colonisation ». Trois manifestants, barbouillés de faux sang, s’allongent sur le sable pour représenter les morts causés par l'armée israélienne.
« Nous sommes là pour protester contre cette initiative de la mairie un an après une guerre qui a fait plus de 2 000 morts, dont 500 enfants », explique Iman, vêtue d’un keffieh et arborant le drapeau palestinien, à Middle East Eye.
Présent sur place, Nicolas Shahshahani, le vice-président d'EuroPalestine qui a lancé la contre-initiative, explique aux militants : « Anne Hidalgo a déroulé le tapis rouge au gouvernement de Netanyahou. On ne peut pas déclarer que la ville de Tel Aviv n’a rien à voir avec la politique d’occupation du pays ».
La présidente de l’association, Olivia Zemor, fait un parallèle entre Tel Aviv sur Seine et les quatre enfants tués par l’armée israélienne sur la plage de Gaza pendant l’opération plomb durci. « C’est une honte d’organiser un tel événement. Puisque nous n’avons pas réussi à l’interdire, nous nous exprimons de notre côté », déclare-t-elle aux journalistes.
Les forces de l’ordre tentent tant que bien que mal de s’interposer entre pro et anti Tel Aviv sur Seine. Mais la rencontre à la mi-journée est inévitable. Des « Israël vaincra » répondent aux « Israël assassin » par-dessus la tête des policiers, impassibles. Certains vacanciers observent des bateaux-mouches, interloqués. Thomas, Parisien, déplore cette situation : « Quelle image donnons-nous de notre ville ? C’est déplorable ».
Toute la journée, s’il a été possible de passer de « Gaza » à « Tel Aviv », l’inverse aura été plus compliqué en raison des portiques à repasser sans cesse. « Pour le coup, c’est réussi, on a bien recréé un système d’apartheid sur les bords de la Seine », ironise Pierre, venu en « observateur neutre ». La pluie, indifférente, finira par tomber sur les deux manifestations, entre le pont d’Arcole et le pont de Notre Dame.
De quoi Tel Aviv sur Seine est-il le « non » ?
La polémique entourant la manifestation a d’abord été politique. L’annonce faite par la maire de Paris, Anne Hidalgo, d’organiser la manifestation avait soulevé la colère de Danielle Simonnet, conseillère de la ville de Paris et secrétaire nationale du Parti de Gauche, qui avait dénoncé sur son blog l’initiative.
Interrogée par MEE, Danielle Simonnet explique : « Je trouvais qu’il était indécent de fêter l’ambiance de Tel Aviv à un an du triste anniversaire de l’attaque contre gaza, qui a fait plus de 2 000 morts. Je trouvais que la ville de Paris, qui est aussi jumelée avec Ramallah, aurait dû faire un Paris plage pour la paix, avec Ramallah aussi. C’était une faute politique de faire une manifestation uniquement avec Tel Aviv ».
La polémique enflant sur les réseaux sociaux, la maire de Paris, Anne Hidalgo, s'est justifiée en début de semaine. « Je ne saurais rendre une ville ou une population comptable de la politique de son gouvernement », a-t-elle écrit dans une tribune publiée par Le Monde. Bruno Julliard, premier adjoint de la ville, a lui aussi appelé à ne pas faire « l’amalgame entre la politique brutale du gouvernement israélien et Tel Aviv, ville progressiste ».
Le Premier ministre français, Manuel Valls, a pour sa part marqué son soutien en twittant : « Soutien total à l'initiative de la Ville de Paris et à #TelAvivsurSeine. Halte au déferlement de bêtise ».
Dans la même veine, Florian Philippot, le vice-président du Front National, a estimé que cette affaire, qui provoque « autant d'hystérie », démontre « la montée du communautarisme en France ».
Les opposants au projet de la mairie se sont vus accusés, dans la foulée, d’antisémitisme, de communautarisme et d’« importer le conflit en France ».
Des accusations que réfute point par point le Front de Gauche. Eric Coquerel, conseiller régional d'Île-de-France, explique ainsi à MEE : « Certains en France, dont le CRIF [Conseil Représentatif des Institutions Juives de France], estiment que dès qu’on critique la politique de Netanyahou, on est antisémite. La seule façon de résoudre ce conflit est de le faire politiquement, de juger politiquement. Comment ? En se basant sur des faits connus. Malgré les résolutions de l’ONU, tous les diplomates estiment que la situation devient intenable. Et pas seulement pour le peuple palestinien, pour le peuple israélien aussi. On ne devient pas un État colonisateur qui opprime un autre peuple sans qu’il y ait des conséquences sur la nature de votre société, qui devient forcément plus oppressive ».
Quant à l’idée d’importer le conflit, Eric Coquerel la balaie d’un geste : « En France, on s’oppose à l’injustice. On s’est mobilisé contre l’Afrique du sud, était-ce une importation ? Je me suis mobilisé pour les Kurdes, est-ce une importation ? Cette rhétorique, que tient notamment Manuel Valls, laisse penser que de façon sous-jacente, en traitant de cette question, on gêne des communautés en France. Ce n’est pas de cette façon qu’il faut traiter la question. Ceux qui importent ce conflit sont ceux qui, justement, utilisent cette rhétorique ».
Danielle Simonnet s’oppose également à cet argument, qu’elle juge « fallacieux ». « Ce qui contribue à importer le conflit est l’organisation d’une manifestation déconnectée d’un message en faveur de la paix ; ce qui importe ce sont ces check-points à Paris où la LDJ donne ses instructions à la police, instaurant un délit d’opinion contre toute personne soupçonnée de sympathie envers les Palestiniens. Créer une discrimination lors d’un événement qui se prétendait festif, voilà ce qui importe le conflit ».
Eric Coquerel souligne en outre l’étroite collaboration entre Paris et les autorités israéliennes dans l’organisation de la journée : « Tel Aviv est présentée comme une sorte de Copa Cabana enclavée en Israël. Mais le maire de Tel Aviv ne s'est pas opposé aux dernières mesures prises par le gouvernement [Netanyahou]. La mairie de Paris a travaillé avec la mairie de Tel Aviv, appuyée par le ministère du Tourisme israélien ».
Benjamin Barthe, journaliste au Monde, aura peut-être écrit l’article résumant le mieux cette journée où on aura vu la Seine prendre les allures du conflit moyen-oriental. Estimant que la ville de Paris vit toujours sous « le paradigme d’Oslo », qui pose que « les torts sont également partagés, que les deux parties sont animées de bonne volonté, et qu’en les réunissant donc autour d’une même table, la paix finira par émerger sous la forme de deux États pour deux peuples », il conclut : « la grille d’analyse que [la mairie] applique au conflit israélo-palestinien est définitivement périmée ».
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