Les États-Unis ont parié sur le mauvais cheval en Syrie
L’Occident – les États-Unis en tête – essaie depuis longtemps de trouver ou de créer des alliés dans le conflit syrien, remportant guère voire aucun succès. Les précédentes collaborations avec des groupes comme le mouvement Hazm et le Front révolutionnaire syrien (FRS) ont échoué de façon flagrante, les armes fournies par les États-Unis finissant entre les « mauvaises mains ». L’émergence du groupe État Islamique (EI) en Syrie et la métamorphose de l’État islamique d’Irak ont provoqué une nouvelle ère de partenariats risqués pour les États-Unis, ces derniers se retrouvant en contact indirect avec des organisations désignées comme terroristes, telles qu’Asaïb Ahl al-Haq et le PKK.
En Syrie, l’attaque de l’EI sur Kobané a constitué le point de départ d’un nouveau partenariat entre les États-Unis et les YPG – Unités de protection du peuple, la branche syrienne du PKK – Washington fournissant à ces dernières une couverture aérienne et des armes lourdes. Dans les faits, les YPG sont constituées en grande partie de miliciens du PKK fortement influencés par les cadres du mouvement retirés dans les montagnes et partageant la même idéologie radicale. Même si l’on suppose qu’il est possible de traiter avec le PKK et les YPG séparément, ces dernières demeurent une organisation ayant des liens puissants avec un groupe terroriste, le PKK.
Par exemple, il y a sans conteste moins de différences entre le PKK et les YPG qu’entre al-Qaïda dans la péninsule arabique et al-Qaïda dans le sous-continent indien, dans la mesure où les interférences entre les miliciens et dirigeants du PKK et des YPG dépassent le seuil de la simple « affiliation ». Dès lors, le soutien militaire apporté par les États-Unis aux YPG peut être au mieux qualifié de risqué, les YPG étant intrinsèquement liées au PKK et coopérant en outre avec d’autres groupes terroristes comme le Parti communiste marxiste-léniniste et le Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple, dont l’un des derniers forfaits a été l’attentat-suicide contre l’ambassade américaine à Ankara.
Certes, un homme sur le point de se noyer s’agripperait même à une brindille… mais l’alliance avec les groupes affiliés au PKK atteindra-t-elle son objectif et remédiera-t-elle à l’épidémie de l’EI en Syrie dans le moyen à long terme ?
La réponse la plus probable est non ; et la raison réside dans la composition démographique de la Syrie et la nature du PKK/YPG, qui devrait alarmer les États-Unis et leurs alliés.
Tout d’abord, le PKK/YPG n’est pas nécessairement le partenaire le plus efficace dans la lutte contre l’EI. Concrètement, nous ne disposons pas de précédents nous permettant de comparer les faits d’armes des YPG à ceux d’autres combattants. Le soutien donné aux deux groupes précités, le Hazm et le FRS, consistait seulement en l’approvisionnement en armes et ne comportait pas la composante essentielle des bombardements aériens, ceux-là mêmes qui ont permis aux YPG de récupérer les territoires perdus à l’EI.
Sans les frappes aériennes de la coalition, les YPG n’auraient probablement pas pu reconquérir Kobané. L’EI avait capturé la ville plutôt aisément, et les YPG pouvaient uniquement la récupérer avec l’aide des frappes aériennes de la coalition et le soutien reçu depuis la frontière turque. Malgré les efforts déployés pour construire le mythe des légendaires combattants des YPG, ceux-ci ont eu le luxe de se battre uniquement contre l’EI, contrairement aux rebelles syriens qui ont dû combattre sur plusieurs fronts simultanément. L’efficacité militaire des YPG sans les frappes aériennes de la coalition reste donc à prouver.
Les YPG n’ont pas les capacités militaires nécessaires pour effacer l’EI de la carte syrienne car ils ne disposent pas des compétences essentielles pour combattre de façon efficace en l’absence des frappes aériennes de la coalition. De nouvelles recrues inexpérimentées sont venues grossir les rangs des YPG, notamment de nombreux enfants-soldats, selon un rapport de Humans Rights Watch. Celles-ci n’ont aucune expérience de la guérilla urbaine, contrairement à certains miliciens de l’EI qui, depuis l’invasion de l’Afghanistan par les Russes, ont développé leur expérience des combats en zone urbaine. Ce n’est donc pas une coïncidence si les pertes encourues par l’EI en Syrie ont été causées principalement par les bombardements aériens, et non par les combattants des YPG.
Ensuite, d’un point de vue géographique, les YPG contrôlent deux territoires déconnectés et hétérogènes en Syrie qui sont peuplés non seulement de Kurdes mais aussi d’Arabes et de Turkmènes, qui nourrissent de profondes suspicions envers les YPG et leurs visées « séparatistes » en Syrie. Les Kurdes, sans même parler de ceux qui sont affiliés aux YPG, ne sont pas majoritaires d’un point de vue démographique tant dans les zones contrôlées par les YPG que dans celles conquises par l’EI. C’est la raison pour laquelle, ainsi que l’ont indiqué des témoins oculaires et plusieurs médias occidentaux, les YPG ont eu recours à des manœuvres démographiques consistant à chasser les Arabes et les Turkmènes ou à les empêcher de retourner chez eux après avoir séjourné en Turquie comme déplacés internes ou réfugiés.
Les tensions ethniques et la politique autoritaire des YPG expliquent pourquoi les habitants non-kurdes des zones contrôlées par le groupe ne soutiennent guère ses opérations militaires. Pour pallier leur infériorité démographique, les YPG ont parfois eu recours à la conscription forcée et ont fait venir des miliciens du PKK, souvent munis de passeports turcs. Il n’est pas difficile d’imaginer que ce besoin d’importer des combattants s’accroîtra proportionnellement à l’expansion des YPG vers les territoires contrôlés par l’EI.
Un aspect qui devrait encore plus alarmer les États-Unis est l’idéologie radicale des YPG et leurs liens avec le terrorisme, y compris le narco-terrorisme. Malgré les communiqués de relations publiques rassurants émis par les leaders des YPG, la situation sur le terrain est particulièrement inquiétante.
Les YPG sont une organisation marxiste avec de fortes tendances totalitaires et intolérantes. Leur nationalisme tardif s’est heurté aux résidents non-kurdes ; et même les Kurdes ne partageant pas l’idéologie des YPG/PKK n’ont pas pu échapper à la répression.
Des dizaines de milliers de Kurdes ont fui en Turquie et au nord de l’Irak non pas à cause de la menace de l’État islamique mais simplement à cause des politiques autoritaires des YPG. Les attentats-suicides, à l’exemple de celui commis par un milicien du PKK âgé de 16 ans dans l’est de la Turquie, sont un élément supplémentaire de cette idéologie radicale, qui sanctifie les kamikazes et légitime la morts de civils.
Le soutien apporté aux YPG va également à l’encontre de la politique déclarée de Washington en faveur des rebelles anti-Assad en Syrie. Ce n’est un secret pour personne que les YPG ont des relations politiques, économiques et même sécuritaires fonctionnelles avec le régime d’Assad. Ils ont obtenu de celui-ci le territoire qu’ils contrôlent à présent, par le biais d’un accord et sans le moindre combat. Récemment, le vice-président du Parti de l'union démocratique (PYD) kurde syrien, Salih Muslum, a déclaré que son groupe était prêt à se fondre dans l’armée d’Assad si les deux parties concluaient un accord de principe.
Jusqu’à présent, les YPG ont évité de combattre contre les troupes d’Assad et ont même aidé le régime à plusieurs occasions dans sa lutte contre les rebelles syriens. Ceci met les États-Unis dans une position pour le moins inconfortable en Syrie, où ils soutiennent à la fois les rebelles syriens et l’un des partenaires d’Assad dans le pays, les YPG.
La lourde dépendance des YPG aux frappes aériennes de la coalition, leur manque de compétences militaires, leur position démographique désavantageuse, leur idéologie radicale et leurs liens avec le terrorisme en feront un handicap à moyen et long termes pour les États-Unis.
Le pragmatisme machiavélique du groupe, ses relations secrètes ou déclarées avec le régime syrien et ses soutiens régionaux tels que l’Iran, l’animosité qu’il inspire parmi de nombreux Syriens, qu’ils soient partisans des rebelles ou du régime, en feront un partenaire inefficace dans la guerre contre l’EI. Les contribuables américains et les Syriens devront alors payer le prix le plus lourd de cet autre pari manqué en Syrie.
- Ufuk Ulutas est directeur de recherche en politique étrangère à la fondation SETA, un think tank apolitique basé à Ankara ayant des filiales à Istanbul, à Washington DC et au Caire. Il est également éditorialiste pour le quotidien Akşam et présente actuellement un programme télévisé centré sur la politique étrangère sur la chaîne TRT-Haber.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des combattants des Unités de protection du peuple (YPG) conduisent un tank dans le quartier d’al-Zohour, dans la ville d’Hassaké, au nord-est de la Syrie, le 2 août (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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