Mahmoud Abbas va-t-il laisser la place aux « amis » de Marouane Barghouti ?
Les questions relatives au quotidien des Palestiniens apparaissent rarement dans la presse israélienne, à moins qu’elles soient directement liées à des attaques contre des soldats ou des civils israéliens. Pourtant, la semaine dernière, les journaux et sites web israéliens (principalement orientés à droite) ont accordé beaucoup de place à des reportages alléguant que le président palestinien Mahmoud Abbas faisait actuellement construire un palais de luxe d’une valeur de 13 millions de dollars près de Ramallah, signalant que ces fonds provenaient du budget à sec de l’Autorité palestinienne et que tout cela représentait un nouvel exemple de la corruption existant au sein de l’Autorité palestinienne.
Dror Idar, chroniqueur en chef à Israel Hayom, le journal au plus grand tirage d’Israël considéré par beaucoup comme un porte-parole du Premier ministre Benyamin Netanyahou, n’a pas été dérangé par ce spectacle d’extravagance.
Selon lui, la construction de ce palais n’est qu’une preuve de plus que les Palestiniens vivent une vie normale et indépendante en Cisjordanie et que la présence de l’armée israélienne dans la région permet uniquement de protéger les Palestiniens eux-mêmes. « Sans la présence israélienne autour de Ramallah, quel drapeau aurait flotté au-dessus de ce palais ? Quelle aurait été sa couleur ? », s’est interrogé Idar, faisant évidemment allusion au drapeau noir de l’État islamique.
Maan News Agency, un des principaux sites d’information palestiniens, a confirmé l’existence d’un projet de construction d’un tel palais à la périphérie de Ramallah, mais a nié le fait que ce palais est destiné à l’usage personnel du président Abbas.
Nasser Laham, rédacteur en chef de Maan, m’a expliqué que le nouveau palais est destiné à remplacer la Mouqataa, siège actuel de l’Autorité palestinienne, et à accueillir les dirigeants étrangers. « La Mouqataa a été construite par le mandat britannique : il était temps de le remplacer », a-t-il expliqué.
Alors que les rumeurs d’une démission imminente d’Abbas se font de plus en plus entendre, cette anecdote reflète l’état d’esprit populaire en Israël vis-à-vis du président palestinien : un dirigeant corrompu, sourd aux besoins réels de son peuple, dont l’emprise sur le pouvoir dépend presque entièrement des baïonnettes israéliennes. Selon cette croyance populaire israélienne, alimentée par les médias et Netanyahou en personne, Abbas est conscient de cette situation, et sait au fond de lui-même, en dépit de sa rhétorique anti-israélienne, que c’est grâce au contrôle israélien que la vie en Cisjordanie est relativement bonne.
L’armée israélienne voit Abbas d’un autre œil, en quelque sorte. Les hauts gradés israéliens reconnaissent souvent que la célèbre « coordination en matière de sécurité » entre l’Autorité palestinienne et Israël, très critiquée par les opposants d’Abbas au Hamas mais aussi au sein de son propre mouvement, le Fatah, est cruciale pour la sécurité d’Israël.
L’Autorité palestinienne fournit des renseignements à Israël et arrête des activistes du Hamas et du Jihad islamique, affirment-ils ; de même, Abbas lui-même n’est « pas intéressé par le terrorisme », pas même « sous la table », a déclaré Yoram Cohen, chef du Shabak (les services secrets israéliens), à la fin de l’année dernière.
Pourtant, en dépit de leurs divergences de points de vue, l’armée et Netanyahou s’accordent sur la ligne de fond : le statu quo profite à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens, et Abbas lui-même est le symbole de ce statu quo. Sa démission n’est donc certainement pas souhaitée, et leur semble aussi hautement improbable. Pourquoi devrait-il prendre une telle mesure s’il a tant à perdre ?
Mais Abbas semble voir les choses différemment. Dans deux semaines, le Conseil national palestinien (CNP), « parlement » de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), va élire un nouveau comité exécutif pour l’OLP, après qu’Abbas et d’autres hauts responsables ont démissionné du comité exécutif actuel la semaine dernière. Comme Abbas sera probablement réélu à la tête du comité, il est facile de voir ce processus comme une simple manœuvre politique. Ce n’en est pas une.
Abbas n’était pas seulement l’un des architectes des accords d’Oslo conclus avec Israël en septembre 1993 ; il a continué à faire pression pour négocier un accord sur le statut final avec Israël, même pendant les jours sombres de la seconde Intifada, en critiquant ouvertement les dirigeants palestiniens qui ont soutenu la lutte armée.
Après avoir été élu président palestinien suite à la mort de Yasser Arafat en 2004, les négociations avec Israël sont devenues le seul outil qu’il a utilisé dans ses efforts visant à mettre fin à l’occupation israélienne. Toutefois, alors que les pourparlers sont quasiment au point mort depuis plus d’un an, il est très difficile de faire avancer cette politique.
Lors d’une réunion avec des hauts responsables du Fatah il y a quelques semaines, Abbas a reconnu l’échec total de cette voie. Il a estimé qu’il n’y a aucune chance d’entamer des négociations constructives avec le gouvernement israélien actuel. Selon des personnes ayant participé à la réunion, Abbas a promis « des développements importants » au sein du leadership du peuple palestinien dans les prochains mois. Les rumeurs concernant sa démission à venir ont commencé à circuler.
Abbas sait que sa politique à l’égard d’Israël a échoué, indique Nasser Laham, dont l’agence de presse Maan News Agency a été la première à relayer la nouvelle de la démission d’Abbas du comité exécutif de l’OLP.
Laham s’attend à ce qu’Abbas soit réélu par le CNP à la tête du nouveau comité exécutif de l’OLP, mais prévoit un changement de sa composition. Il estime que la vieille garde du Fatah pourrait être remplacée par des dirigeants plus jeunes. « La génération de Marouane Barghouti [un dirigeant du Fatah de 56 ans actuellement emprisonné en Israël] va diriger l’OLP, explique Laham. Ce sera le moment pour les amis de Marouane. »
Abbas lui-même n’a toujours pas décidé s’il démissionnera de son poste de président de l’Autorité palestinienne, affirme Laham. Après la réunion du CNP, Abbas doit se rendre en Iran puis à l’Assemblée générale des Nations unies à New York, indique-t-il ; si à la fin du mois de septembre, il n’y a pas de percée dans les négociations, il pourrait prendre « des mesures unilatérales ». Laham n’est pas prêt à miser dessus, mais une démission est assurément sur la table. Ce n’est pas un jeu.
Si Abbas est devenu l’incarnation du statu quo, sa démission secouera certainement cette réalité assez commode dans la vision israélienne. L’armée israélienne considère cette éventualité avec inquiétude, si ce n’est de la panique. Cela pourrait signifier la fin de la coopération étroite entre l’appareil sécuritaire de l’Autorité palestinienne et l’armée israélienne, forçant ainsi les soldats israéliens à doubler voire redoubler leurs incursions dans les villes et villages palestiniens. Cela pourrait également signifier la perte de précieux renseignements fournis aujourd’hui par les forces de sécurité palestiniennes.
Une autre crainte d’Israël est que la situation interne en Cisjordanie ne se détériore rapidement et ne force Israël à endosser de nouveau la responsabilité civile des villes palestiniennes, charge qu’Israël avait abandonnée volontiers après les accords d’Oslo et la formation de l’Autorité palestinienne. Un retour à la réalité pré-Oslo, lorsqu’Israël gérait les systèmes de distribution d’eau et d’assainissement en Cisjordanie et payait les salaires des employés municipaux, constitue presque un cauchemar pour Israël.
Laham pense que cela est moins probable. L’une des principales réussites d’Abbas est, selon lui, d’avoir rétabli d’une certaine manière la loi et l’ordre dans les villes palestiniennes après le chaos de la seconde Intifada. Laham a raison de faire remarquer que Ramallah est la « capitale » arabe la plus calme de la région, et que les successeurs d’Abbas, quels qu’ils soient, n’abandonneront pas facilement cette stabilité.
Laham reconnaît qu’il n’y a pas de mécanisme existant pour le remplacement d’Abbas. « Ce n’est pas l’Amérique, et ce n’est même pas l’Arabie Saoudite », remarque-t-il. Il est donc presque impossible de parier sur celui qui prendra la place d’Abbas, que ce soit à la tête de l’OLP ou à la présidence de l’Autorité palestinienne.
Pourtant, Laham estime bel et bien que les prochains dirigeants du peuple palestinien, « les amis de Marouane » comme il les appelle, s’éloigneront davantage de la solution à deux États si chère à Abbas et se rapprocheront de la solution à un seul État. Et cela pourrait être à l’origine d’un plus grand casse-tête pour Israël, plus grand même que le fait de renoncer à la coopération en matière de sécurité.
- Meron Rapoport, journaliste et écrivain israélien, a remporté le prix Naples de journalisme grâce à une enquête qu’il a réalisée sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président palestinien Mahmoud Abbas (au centre) prie avant une réunion avec les membres du conseil exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), à Ramallah (Cisjordanie), le 22 juin 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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