Qui sont les militants kurdes qui se battent à Cizre ?
Tandis qu’un couvre-feu qui régnait depuis une semaine dans la ville de Cizre, au sud-est de la Turquie, a été levé samedi, les témoignages indiquent que les forces de police turques de ce secteur se sont battues contre le groupe de jeunes appelé YDG-H, qui est affilié au PKK.
Les forces de sécurité turques ont déclaré que les opérations militaires autour de Cizre et d’autres provinces avaient été menées afin de contrer les attaques perpétrées par le PKK et éliminer les barricades et les armes présentes dans ces zones.
Selon le journaliste français Matthieu Delmas, qui se trouvait à Cizre tout au long du blocus, les combattants kurdes qui ont été impliqués dans les affrontements avec les autorités turques au cours de la semaine dernière sont principalement des jeunes d’une vingtaine d’années originaires de Cizre, qui sont nés pendant la politique de la « terre brûlée » mise en place par le gouvernement turc dans le cadre de la lutte contre le PKK dans les années 90.
Ces jeunes constituent le Mouvement de la jeunesse patriotique révolutionnaire (YDG-H), généralement considéré comme la section jeune, militante et urbaine du PKK dans les régions du sud-est de la Turquie, dont la population est majoritairement kurde.
Ce groupe agit depuis plusieurs mois comme une organisation paramilitaire à Cizre, et il a barré l’accès à plusieurs quartiers kurdes au moyen de postes de contrôle armés et de patrouilles, selon un documentaire de Vice News publié en février dernier.
Dans le documentaire, des membres du YDG-H admettent ouvertement être affiliés au PKK et agir sous son commandement ; cependant, des habitants de Cizre affirment que les jeunes de la région ne font pas partie des guérilléros du PKK, d’après des sources présentes sur le terrain.
« Bien que certains membres [du YDG-H] prétendent ne pas être affiliés au PKK, le contraire semble évident. Sinon, comment pourraient-ils se procurer des armes et des kalachnikovs ? », a déclaré Matthieu Delmas. « Ils racontent tous qu’ils ont appris à se battre aux côtés du YPG, à Kobané. »
Les Unités de protection du peuple kurde (YPG) sont une milice apparentée au PKK qui se bat contre le groupe État islamique (Daech) dans la ville syrienne de Kobané ainsi qu’au Kurdistan syrien. Un peu plus tôt cette année, le groupe a libéré la ville de son siège imposé durant des mois par Daech.
« Le YDG-H et le PKK partagent la même idéologie, mais leurs stratégies sont différentes », a expliqué Matthieu Delmas. « Ce sont tous des jeunes, une nouvelle génération de guérilléros qui ont grandi avec la guerre en Syrie et qui ont acquis leur culture du combat à Kobané. »
Depuis sa fondation en 1978 par son actuel dirigeant, Abdullah Öcalan, le PKK suit une stratégie marxiste-léniniste intransigeante. En 1984, le groupe a démarré une violente guérilla qui a entraîné des milliers de morts.
« Tandis que le PKK n’opère qu’à travers la guérilla et qu’il est basé dans les montagnes, les membres du YDG-H ont ramené la zone de combat vers leurs villes natales », a ajouté Delmas.
Selon lui, les membres du YDG-H, qui sont en général âgés de 18 à 25 ans, ne se battent que dans leurs propres quartiers et ont le soutien de nombreux résidents.
« Les membres du YDG-H ne combattent que dans leurs propres quartiers et, par conséquent, tous les habitants les soutiennent. Ils disent que ce sont leurs enfants », a-t-il déclaré à MEE.
Au moins vingt personnes ont été tuées au cours du combat — des « terroristes » selon le gouvernement turc, mais des civils selon les habitants de la région. La majorité d’entre eux ont été tués par balles par des tireurs d’élite, d’après des membres du HDP et des civils de la région.
Des civils ou des combattants ?
Cependant, Matthieu Delmas précise que plusieurs des personnes qui ont été tuées étaient très probablement membres du YDG-H.
« Les habitants de Cizre disent que les forces de police turques n’ont tué que des civils. Même s’il est impossible de faire la différence entre un combattant et un civil au cours d’un enterrement, il y avait forcément des membres du YDG-H parmi les 21 personnes tuées », a expliqué Delmas. « Le YDG-H essaie de tuer les policiers, et réciproquement. »
À la suite d’une attentat-suicide à la bombe — attribué à des activistes du groupe État islamique — qui a tué 33 personnes en juillet à Suruç, à l’ouest de Cizre, des militants du PKK ont repris leur campagne armée à l’encontre des autorités turques.
Le combat qui a éclaté entre le gouvernement turc et les activistes kurdes s’est depuis étendu dans les régions à majorité kurde et dans les villes de Cizre, Diyarbakır, Silopi, et d’autres villes du sud-est. Comme la police turque a pris pour cible des activistes kurdes, on rapporte que les jeunes du YDG-H ont eux aussi tiré sur la police et tué des officiers, et qu’ils ont barricadé les quartiers où ils résident.
Un soutien grandissant pour le PKK
La violence a ralenti le « processus de résolution », officiellement engagé début 2013 avec l’objectif de mettre fin au conflit vieux de 30 ans qui oppose le PKK et l’État turc.
À Cizre, un sentiment de frustration à l’égard de l’État turc a conduit de nombreux habitants à soutenir ouvertement le PKK et son dirigeant actuellement emprisonné, Abdullah Öcalan.
« Dans la ville, tout le monde soutient Öcalan, le PKK et les YDG-H. Ils affirment se battre pour la liberté des Kurdes et pour la démocratie », indique Matthieu Delmas. « Ils soutiennent qu’Erdoğan veut tuer les Kurdes car ils n’ont pas voté pour lui au cours des dernières élections. »
La tentative du groupe d’établir l’indépendance des villes du sud-est de la Turquie par le passé avait déjà été à l’origine de désaccords profonds avec d’autres groupes kurdes.
Lorsque la crise de Kobané a éclaté l’an dernier, la violence armée entre le YDG-H et le Hüda-Par, qui a succédé au Hezbollah kurde, s’est accrue dans le sud-est de la Turquie.
Des membres du YDG-H se sont attaqués à des centres religieux, des locaux associatifs et des salles de fêtes appartenant au Hüda-Par à Diyarbakır, Batman, Bitlis et Sirt, et le Hüda-Par aurait répliqué par les armes puis intensifié le conflit, selon un reportage d’al-Monitor datant d’octobre 2014.
Le maire de Diyarbakır avait alors déclaré que le Hüda-Par avait eu recours aux armes avec le soutien du gouvernement, tandis que des représentants du Hüda-Par avaient accusé le PKK d’importer en Turquie le chaos qui règne en Syrie, toujours selon al-Monitor.
D’après des sources officielles turques, depuis juillet dernier, plus de cent membres des forces de sécurité turques ont été tués lors d’attaques du PKK et de groupes apparentés, et des centaines d’activistes du PKK ont été tués au cours d’opérations en Turquie et au nord de l’Irak, incluant notamment des frappes aériennes.
Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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