Pourquoi le PKK perdra aussi cette manche
Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a relancé sa campagne armée contre l'État turc, ou, pour être plus précis, a repris cette guerre qui n'a été interrompue que brièvement. Depuis que le PKK a tué quatre membres des forces de sécurité turques dans la ville de Suruç en juillet dernier, il est apparu que le PKK n'avait jamais cessé de se préparer à une reprise de sa campagne au cours des trois dernières années du processus de paix.
Alors que l'État réalisait des progrès importants et sans précédent en vue de résoudre le problème kurde et d'instaurer la paix dans le sud et le sud-est du pays, le PKK entreposait des armes dans diverses zones du pays. Il organisait également de nouveaux groupes pour les déployer dans différentes villes kurdes, et posait même des explosifs sur des cibles potentielles en vue d'une nouvelle manche de la guerre. Pourtant, il est très probable que le PKK, qui a perdu auparavant plusieurs manches de sa guerre sanglante et futile, perde également celle-ci.
Le processus de paix, qui a été soutenu par le leader historique du PKK, Abdullah Öcalan, et dans lequel le parti s'est engagé directement et indirectement, a été initié sur la base de l'hypothèse que le PKK cesserait toute activité armée, retirerait ses forces de Turquie ou les pousserait à se livrer à la justice, et se lancerait progressivement dans un processus de démantèlement. En échange, il a été convenu que le gouvernement engage des mesures législatives et politiques visant à libérer l'État turc des pratiques nationalistes discriminatoires, à reconnaître les droits culturels des Kurdes et à fournir les efforts nécessaires afin de développer les régions à majorité kurde du sud et du sud-est après plusieurs décennies de négligence.
Depuis 2012, le gouvernement AKP a rempli ses promesses dans une large mesure, tandis que le PKK a engagé un processus de tromperie stratégique. Il semblerait que les dirigeants de la branche militaire du parti aient imaginé que les résultats indécis des élections turques du mois de juin constituaient pour eux une occasion de faire chanter l'État turc. L'autre raison possible de la décision prise par le parti de reprendre sa guerre pourrait être la tension entre la branche armée et la branche politique du mouvement. Après le succès électoral majeur du Parti démocratique des peuples (HDP), la branche armée pourrait avoir commencé à craindre de se faire couper l'herbe sous le pied.
En tout cas, le PKK n'a pas seulement repris la guerre : il l'a fait dans un esprit de vengeance et avec une violence extrême. En réponse aux violences déclenchées par le PKK, l'État turc a lancé une série de raids aériens dévastateurs contre les bases du parti dans la montagne de Qandil et a arrêté des centaines de ses partisans à travers le pays. L'État a également pris des mesures rapides contre tous les chefs de conseils municipaux qui ont tenté de faire sécession de l'État central.
Rien n'indique un déclin dans la volonté et la détermination de l'État à mener cette bataille jusqu'au bout, malgré les dizaines de victimes parmi les forces de sécurité et les forces armées. Toutefois, les mesures militaires et de sécurité prises par Ankara ne sont en aucun cas le principal facteur déterminant l'issue de cette série d'affrontements entre le PKK et l'État turc.
Contrairement aux autres pays du Moyen-Orient dont la communauté kurde est relativement importante, tels que l'Irak, la Syrie et l'Iran, il n'est plus possible de parler d'une patrie exclusivement kurde en Turquie. Indéniablement, il existe des régions et des villes à majorité kurde, en particulier dans l'est et dans le sud-est. Mais les Kurdes vivent aussi en grand nombre dans les villes d'Anatolie centrale et occidentale, ainsi qu'à Ankara et à Istanbul. En fait, la population kurde la plus importante vit à Istanbul, pas à Diyarbakır.
Cette présence kurde aux quatre coins du pays n'est ni nouvelle ni accidentelle, mais profondément enracinée. En raison de la nature complexe et contradictoire du système républicain discriminatoire à l'encontre des Kurdes, les Arabes et les Circassiens, ainsi que d'autres minorités ethniques, des millions de Kurdes vivant en dehors des zones à majorité kurde se sont pleinement intégrés dans le milieu culturel et économique de leur nouvelle patrie.
Des figures politiques kurdes occupent des positions influentes au sein de la structure du gouvernement et de diverses institutions gouvernementales, sans être pour autant contraintes de nier ou de désavouer leurs origines. Au cours des dernières décennies, un grand nombre de Kurdes ont accédé à la notoriété en tant que ministres, militants et dirigeants de parti, que ce soit dans des partis de tendance islamiste ou même au sein du Parti républicain du peuple, dont le leader actuel est un Kurde alaouite. Même l'ancien Premier ministre et président de la République Turgut Özal avait des racines kurdes.
En ce sens, on ne peut pas affirmer que le PKK représente la majorité des Kurdes de Turquie. Malgré le succès spectaculaire et inattendu obtenu par le HDP lors des dernières élections, la moitié voire plus des suffrages kurdes sont toujours en faveur de partis non nationalistes, principalement pour l'AKP, mais aussi en faveur d'autres partis islamiques plus petits et des laïcs du Parti républicain du peuple.
D'autre part, il ne fait aucun doute que la longue décennie de règne de l'AKP a contribué à réduire les sentiments nationalistes et fascistes radicaux en Turquie, et à renforcer un climat plus consensuel et pluraliste. Pourtant, cela ne signifie pas que le nationalisme turc soit mort ou qu'il ait perdu tout pouvoir. Si la reprise des armes a pour objectif de mettre à l’épreuve la détermination des nationalistes turcs, il est certain que le PKK sera confronté à une réaction nationaliste pas moins féroce que les violences qu'il a déchaînées. De par sa relation étroite avec la naissance et le développement de l'État républicain, le nationalisme turc est considéré comme l'une des entités nationalistes les plus féroces et les plus réactionnaires du Moyen-Orient.
Ces dernières semaines du mois de septembre, lors desquelles le nombre de victimes a crû au sein des forces de sécurité et militaires turques, peuvent être un signe de l'impact de cette guerre sur les sentiments nationalistes turcs. Des rassemblements massifs ont eu lieu dans plusieurs villes, dont un certain nombre ont été le théâtre de violences et d'attaques contre des propriétés kurdes. Bien que les dirigeants politiques turcs aient agi rapidement dans le but de contenir et mettre fin à ces violences, il apparaît de plus en plus clairement que la propagation de la violence sociale ne favorisera pas la stabilité en Turquie et ne sera pas non plus à l'avantage du PKK.
En outre, personne dans la communauté internationale ne semble disposé à soutenir la quête sécessionniste du PKK en Turquie. L'expérience kurde en Irak a montré très clairement qu'un tel appui est une condition essentielle pour la réussite de tout projet visant à créer une entité politique kurde.
La Turquie subit actuellement un revers grave et douloureux dans sa tentative historique de résolution pacifique et pluraliste du problème kurde. Ce revers coûtera sans aucun doute très cher à la Turquie dans son ensemble, et à la région à majorité kurde en particulier. Le PKK doit être tenu pour responsable de ce revers. Il est peut-être temps que les sages de la branche politique du PKK comprennent les répercussions désastreuses de la reprise de la guerre et exercent les pressions nécessaires sur le leadership du parti afin que celui-ci mette fin à sa campagne armée. La violence ne servira certainement pas les intérêts du peuple kurde, ni, bien sûr, les intérêts de la Turquie.
- Basheer Nafi est chargé de recherche principal au Centre d'études d'Al-Jazeera.
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Photo : des manifestants brandissent des drapeaux turcs et marchent en direction de la Grande Assemblée nationale de Turquie depuis la place Sıhhıye, lors d'une manifestation de masse organisée par des ONG à Ankara (Turquie) contre les attaques du PKK (AA).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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