Russie, Israël et Syrie : une vérité qui dérange
Tout au long du conflit syrien, le régime et ses partisans ont tenté de présenter l’opposition à la révolution comme synonyme d’opposition à Israël. Les objectifs de cette campagne de propagande consistent à s’attirer un soutien, à saper l’insurrection et à contrecarrer la répulsion généralisée dans la région face à la brutalité du régime syrien et au soutien militaire direct qu’il reçoit de ses alliés étrangers (principalement l’Iran, la Russie et le Hezbollah libanais).
Ces efforts ont subi un revers lorsque le Hamas – la composante palestinienne de « l’axe de la résistance », qui comprend le Hezbollah, Damas et Téhéran – a publiquement approuvé la révolution, saluant « le peuple héroïque de Syrie qui lutte pour la liberté, la démocratie et la réforme ».
Le soutien de la Russie au président syrien Bachar al-Assad a affaibli davantage les références anti-israéliennes de son camp. L’implication militaire directe de Moscou en Syrie – via la mise en place de bases, l’envoi de troupes et les frappes aériennes – aurait sauvé un régime qui, cet été, semblait proche de l’effondrement. Au départ, celle-ci a été dépeinte par les partisans d’Assad et les Israéliens comme une menace potentielle pour les ambitions et la marge de manœuvre d’Israël en Syrie.
Toutefois, la participation directe de la Russie a permis de mettre en évidence ses liens de plus en plus étroits avec Israël. Cette solide relation est minimisée par Israël afin de ne pas contrarier les États-Unis, par la Russie pour ne pas aliéner Damas et Téhéran, et complètement ignorée par l’« axe de la résistance » – sans le Hamas maintenant – de manière à éviter tout embarras.
Cette alliance prétend défendre la cause palestinienne (alors que le régime d’Assad affame et bombarde les réfugiés palestiniens de Yarmouk). Or Moscou, allié clé de l’alliance, est également un allié clé du pays même auquel l’axe est censé résister (bien que ce rôle de résistance a longtemps été réduit à de simples paroles en l’air puisque l’alliance tue activement des Syriens à la place).
Alors qu’Israël massacrait des civils palestiniens dans la bande de Gaza l’année dernière, le président russe Vladimir Poutine déclarait : « Je soutiens la lutte d’Israël, car il tente de protéger ses citoyens. » Quelques mois plus tôt, Israël – comme l’Iran, le Liban et la Syrie – avait refusé de condamner l’annexion de la Crimée par la Russie.
Au moment où la solidarité avec Gaza contre l’attaque d’Israël s’exprimait au niveau régional et international, Assad a mis un coup au Hamas – qui gouverne le territoire – en parlant d’« amateurs qui portent le masque de la résistance en fonction de leurs intérêts pour améliorer leur image ou consacrer leur autorité ».
Cela de la part de quelqu’un qui – comme l’Iran – n’a jamais résisté directement à Israël, même contre l’occupation du territoire syrien et les violations répétées de la souveraineté syrienne (il semble qu’on puisse sacrifier plus facilement des vies palestiniennes et libanaises au nom de la résistance).
Sauver Assad n’est « pas nécessairement » mauvais pour Israël
Moscou a prévenu Israël avant de lancer sa campagne aérienne en Syrie le 30 septembre. Quelques jours avant, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a rencontré Poutine en Russie. Netanyahou n’était pas accompagné par la presse, mais avait emmené ses principaux généraux qui, comme l’a fait remarquer le journal israélien Jerusalem Post, « accompagnent très rarement le Premier ministre lors de ses voyages à l’étranger ».
Cela a fait naître des spéculations sur l’étendue de la collusion bilatérale concernant la campagne aérienne, que Netanyahou n’a pas critiquée (en octobre, un de ses confidents a confié à Reuters qu’« un partenariat russe avec l’Iran et le Hezbollah pour sauver Assad n’est pas nécessairement mauvais pour nous »).
Immédiatement après sa rencontre avec Poutine, Netanyahou a déclaré que Moscou lui avait donné l’assurance qu’il ne ferait pas obstacle à des frappes israéliennes sur les transferts d’armes syriens au Hezbollah – ce que Poutine n’a pas nié.
En effet, bien que la Russie déploie ses systèmes les plus avancés de défense aérienne dans le conflit syrien, Israël a effectué la semaine dernière plusieurs raids au nord de Damas sans entrave et aurait ciblé un convoi du régime composé de quatre camions chargés de missiles balistiques. Tant pis pour l’espoir des partisans d’Assad de voir Moscou couper les ailes d’Israël en Syrie.
Le ministre israélien de la Défense, Moshe Yaalon, a résumé la situation entre son pays et la Russie vis-à-vis de la Syrie de la manière suivante : « Nous ne les dérangeons pas et ils ne nous dérangent pas non plus. » Cependant, cela va beaucoup plus loin que de simplement rester en hors du chemin de l’autre.
Amos Gilad, directeur de la division politique et sécurité du ministère de la Défense israélien, a souligné le mois dernier « l’excellente coordination concernant la sécurité » qui « a commencé juste après la rencontre entre Netanyahou et Poutine », qui a eu lieu quelques jours avant le lancement de la campagne de l’air russe.
Une ligne directe a été mise en place et des exercices aériens communs ont été menés. Après de nouvelles discussions avec Poutine fin novembre, Netanyahou a annoncé une coordination militaire accrue concernant les frappes aériennes en Syrie.
Triangle avec la Turquie
Moscou et Israël ont cherché à faire de ce dernier un bénéficiaire de la dispute concernant l’avion de chasse russe abattu par la Turquie. Poutine a cité Israël comme une alternative aux importations turques et Israël a exprimé sa volonté de combler le vide. Il investit également 2,4 millions d’euros supplémentaire dans une campagne visant à attirer les touristes russes suite aux restrictions sur les voyages en Turquie et en Égypte, pays qui représentaient à eux deux un tiers de l’ensemble des touristes russes l’année dernière.
Dans une démonstration publique et évidente d’opportunisme politique suite à la destruction de l’avion militaire par la Turquie, les responsables israéliens ont expliqué que des avions de chasse russes pénètrent parfois dans l’espace aérien israélien, mais que de tels incidents sont résolus en communiquant.
Israël entretient des relations étroites avec la Russie de Poutine. C’est le premier pays qu’il a visité après sa réélection en 2012, et comme le souligne le correspondant d’Haaretz Anshel Pfeffer : « Tout au long de sa présidence, il a fait en sorte de rencontrer les dirigeants israéliens chaque année. » Depuis 2014, la Russie est le plus grand fournisseur en pétrole brut d’Israël.
Cependant, les graines de ces liens étroits ont été semées avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, qui a entraîné un afflux de juifs d’ex-URSS en Israël. Ils représentent maintenant plus d’un million de citoyens sur les 8,2 millions que compte Israël – le troisième plus grand nombre de russophones à l’extérieur des anciens états soviétiques et le plus élevé par rapport à la population totale.
La Russie compte la plus grande communauté d’expatriés en Israël au monde, presque tous des russophones natifs. Le russe est maintenant la troisième langue la plus parlée en Israël après l’hébreu et l’arabe.
En tant que tel, il n’y a rien de surprenant à ce que des liens bilatéraux étroits se tissent. Cependant, dépeindre une plus grande implication de la Russie en Syrie comme un obstacle à la puissance et aux ambitions d’Israël relève au mieux de l’ignorance et, au pire de la tromperie, pour le camp pro-Assad.
L’« axe de la résistance » devient de plus en plus tributaire de la Russie, un pays dont les relations avec Israël ne cessent de se renforcer – une vérité qui dérange et sur laquelle l’alliance et ses partisans continuent à fermer les yeux.
- Sharif Nashashibi est un journaliste et analyste primé spécialiste des affaires arabes. Il collabore régulièrement avec Al-Arabiya News, Al-Jazeera English, The National et The Middle East Magazine. En 2008, il a reçu une distinction de la part du Conseil international des médias « pour avoir réalisé et contribué à des reportages systématiquement objectifs » sur le Moyen-Orient.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un artiste se tient à côté des effigies du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou (à gauche) et du président russe Vladimir Poutine, lors des préparatifs des festivités juives de Pourim, le 10 février 2014 à Jaljulia, une ville du centre d’Israël (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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